Les choix douloureux de restriction d’accès que les musées européens vont devoir faire pour préserver le patrimoine<!-- --> | Atlantico.fr
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La fréquentation des musées européens, comme le Louvre, est en hausse
La fréquentation des musées européens, comme le Louvre, est en hausse
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Préserver ou exhiber ?

Tandis que la fréquentation des principaux musées internationaux augmente, la question de la préservation des œuvres se pose. Les musées doivent donc favoriser l'une de leurs deux missions que sont la préservation d'un patrimoine, et la démocratisation de son accès. Difficile de trouver l'équilibre.

Jean-Michel Tobelem

Jean-Michel Tobelem

Jean-Michel Tobelem est docteur en gestion, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et d’études supérieures de droit public.
Il est directeur de l’Institut d’étude et de recherche Option Culture.
Jean-Michel Tobelem est l'auteur des ouvrages Musées et culture, le financement à l’américaine et Le Nouvel âge des musées, les institutions culturelles au défi de la gestion, il dirige une collection consacrée à la gestion de la culture et anime le blog www.option-culture.com
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Atlantico : Globalement, les principaux musées ont gagné des visiteurs cette année. Le Britsh Museum a battu son record et affiche 6,3 millions de visiteurs l'an dernier. Quant au Uffuzi de Florence, il a augmenté sa fréquentation de 5%.  L'augmentation du nombre de visiteurs entraîne un effet de foule dans les musées. Quels risques représente la foule pour les collections des musées ? 

Jean-Michel Tobelem : Il s'agit là d'une toute petite partie des musées. La plupart d'entre eux ne connaissent pas cette augmentation de fréquentation. Les visiteurs trop nombreux risquent de porter atteinte à l'intégrité des collections. D'abord à cause de risques connus comme le toucher des oeuvres. Mais aussi à cause de risques qui le sont moins comme la respiration des visiteurs qui, répétée des millions de fois, n'est pas sans conséquence. Mais, peu de musées signalent des oeuvres bousculées ou tombées à cause de la foule, il y en a autant dans les gros musées que dans les plus petits. Des mesures sont prises pour protéger les oeuvres de ce risque ; des vitres de verres entourent certaines peintures, statues, photographies... Il y a aussi des mesures d'éloignement via de petites cordelettes. 

Les musées sont-ils partagés entre d'un côté la volonté de démocratiser leur accès et de l'autre celle de prendre soin de leurs collections qui peuvent être abîmées par la foule ? 

Effectivement et ces deux points constituent la mission des musées. Il s'agit d'une part de protéger et de conserver des oeuvres léguées par les générations précédentes pour les générations futures. Il y a donc bien une fonction de conservation des musées mais s'il ne s'agissait que de cela, les oeuvres seraient dans des coffres-forts. D'un autre côté, il y a le côté ludique. Les musées sont là pour éduquer le public afin qu'il puisse se délecter à la vue des oeuvres. Cette tension existe donc bel et bien. 

Des solutions sont utilisées pour limiter la foule ; utiliser des billets limités dans le temps et augmenter le temps d'ouverture des musées. Sont-elles efficaces ? Y en a-t-il Autres ? 

Pour cette petite partie des musées qui connaissent un phénomène de surfréquentation, des mesures sont mises en place. Contre le phénomène de surfréquentation, nous ne sommes pas démunis. Les musées peuvent ouvrir davantage en termes de jours ou d'horaires. Pendant les périodes touristiques, beaucoup de musées changent leurs horaires. L'autre solution peut être une meilleure répartition dans le flux de la journée. Des initiatives notamment sur le plan tarifaire sont également mises en place afin que les visiteurs privilégient les horaires où le musée est moins fréquenté. Dans les grands établissements, plusieurs parcours sont aménagés afin d'éviter la concentration des visiteurs dans certains endroits. Cela permettra d'éviter les salles vides à des heures de haute fréquentation. Les musées peuvent aussi inciter à faire des réservations, c'est même obligatoire pour certains établissements comme la Galerie Borghèse. 

Des musées, comme celui du Vatican, qui s'attend à accueillir 6 millions de visiteurs grâce à la notoriété du pape, installent des systèmes d'air conditionné afin d'éviter la chaleur et l'humidité entraînées par la foule. Quels sont les risques propres à ces deux éléments ? Cette solution est-elle efficace ? 

Les oeuvres d'art sont fragilisées par l'humidité, la lumière et la chaleur... Par exemple, certaines tapisseries ne sont exposées que quelques jours par an afin d'éviter les risques d'une trop longue exposition à ces conditions. La chaleur et l'humidité abîment les oeuvres, cela provoque des craquelures et de la crasse qui s'accumule. Ainsi, la Victoire de Samothrace, célèbre statue exposée au Louvre a été nettoyée afin d'éviter son vieillissement accéléré. L'air conditionné ne suffit pas. Les musées contrôlent également le taux d'humidité et la chaleur.

Comment sensibiliser cette foule à des oeuvres d'art qu'elles photographie bien plus qu'elle ne regarde ? 

Il ne faut pas forcément voir ce phénomène comme quelque chose de négatif. Les musées prennent le relais de l'école dans l'éducation aux arts, il est important que les gens s'y sentent bien pour y revenir. Aujourd’hui le public a à sa disposition des moyens de reproduction. Si on photographie une oeuvre c'est qu'on ressent un intérêt pour elle, la photographie est aussi associée à un processus de mémorisation. En outre, grâce aux réseaux sociaux, on peut partager la photo auprès de son réseau. Cela incite à parler des musées. Grâce à la photographie on regarde les images plus en détails, on peut aller sur internet pour en apprendre davantage sur l'oeuvre que l'on a photographié et même lire un livre à son sujet. 

Est-ce que la foule peut-elle être un élément rédhibitoire pour les personnes qui souhaitent visiter des musées ? 

Oui, un amateur d'art comme une personne plus ou moins intéressée par l'art peuvent tous deux être refroidis à l'idée d'aller dans un musée s'il faut attendre plusieurs heures pour y entrer. Les conditions d'accueil des visiteurs est un problème à résoudre en priorité. Il faut faire en sorte que les visiteurs n'attendent pas trop longtemps, qu'ils soient bien traités, il faut aussi apporter un véritable contenu éducatif, ne pas se contenter de les faire défiler devant les oeuvres. Ces problèmes d'organisation doivent être réglés par les institutions elles-mêmes. Le projet pyramide du Louvre vise à régler ce problème, c'est un projet prioritaire qui aurait déjà dû être réglé. Il faut que la qualité d'accueil des musées devienne une priorité. 

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