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Plusieurs livres islamiques proposant des interprétations extrêmes des textes sacrés et notamment du Coran ont été vendus dans des supermarchés.
Plusieurs livres islamiques proposant des interprétations extrêmes des textes sacrés et notamment du Coran ont été vendus dans des supermarchés.
©Reuters

Endoctrinement

Au Carrefour de Sartrouville (Yvelines), comme dans 1000 autres grandes surfaces en France, la maison d'édition libanaise Albouraq a mis en vente plusieurs livres islamiques proposant des interprétations extrêmes des textes sacrés, notamment du Coran. Une opération commerciale qui connaît un "grand succès", selon le directeur commercial de la maison d'édition.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Plusieurs livres islamiques proposant des interprétations extrêmes des textes sacrés et notamment du Coran ont été vendus dans des supermarchés. Le phénomène a même provoqué une réaction du ministre de l'Intérieur qui dit vouloir " s'occuper de cette littérature salafiste". Assistons-nous à une augmentation et une banalisation de la vente de ce type d'ouvrages ? 

Guylain Chevrier :Le fait que des grandes surfaces vendent ce type d’ouvrage en dit long sur la banalisation dans ce domaine et le prolongement de celle-ci dans notre société. Cette banalisation dans la diffusion ne se fait pas sans qu’elle ait été précédée par un besoin apparu chez une partie des musulmans de trouver, dans des textes qui relèvent d’une radicalisation de l’islam, le prolongement d’un engagement. C’est tout le problème de savoir où commence et où s’arrête cet attachement identitaire, cet engagement, qui aujourd’hui peut déboucher, y compris sur le djihadisme, comme s’en inquiète le ministère de l’Intérieur à raison.

Il en va de ces livres comme du contexte plus général concernant l’approche de l’islam. La lecture de cette religion comme des autres se fait à la lumière de textes de référence, particulièrement du Coran. Quelle lecture fait-on des textes sacrés, les considère-t-on comme intouchables et à suivre littéralement ou laisse-t-on une marge d’interprétation qui correspond aux conditions réelles, actuelles d’une société comme la notre, avec des adaptations nécessaires à une certaine modernité à prendre en compte ? Voilà le problème.

Par exemple, le fait que la Bible a été rédigée par des hommes, alors que le Coran est conçu comme ayant été directement dicté par Dieu et délivré aux hommes par son prophète, fait que la parole divine n’en est que plus sacrée. On trouve dans le Coran lui-même des paroles extrêmement violentes envers les mécréants, les juifs, les apostats…alors que l’on ne fait que de dire que l’islam est une religion de paix. Pour comprendre cette affirmation, il faut voir plus large, prendre en compte aussi les relations réelles, telles que celles entre juifs et arabes dans des pays comme l’Algérie où la cohabitation a longtemps été pacifique et amicale, et une histoire où la civilisation arabo-musulmane a été porteuse de progrès dont nous avons une partie de l’héritage. Ce n’est pas ce passé qui est en cause aujourd’hui mais la réalité des relations sociales et l’idée que l’on se fait de leur évolution, ici et maintenant.

Il y a un contexte aussi très français à ces questionnements. On ne peut pas dire que de ce côté le Conseil français du culte musulman soit d’une clarté limpide : lorsqu’il porte plainte pour délit de blasphème contre le journal Charlie Hebdo pour la publication de caricatures humoristiques sur le prophète, il encourage l’intolérance ; lorsqu’il se prononce contre une loi interdisant le port du voile intégral pourtant caractéristique d’une dérive intégriste relative au salafisme, il n’alerte pas les musulmans de certains risques ; lorsqu’il critique la Charte de la laïcité à l’école mise en place par Vincent Peillon, parce que pressentie comme risquant de stigmatiser les musulmans par sa simple existence, il encourage tous les musulmans à un sentiment totalement injustifié de persécution ; lorsqu’encore, ce sont des avocats représentant la mosquée de Lyon et la mosquée de Paris qui expliquent dans un ouvrage sur le intitulé Droit et religion musulmane que "le droit est sans prise sur la foi" (Dalloz, 2005, page 36) l’inquiétude gagne encore.

On est ainsi en droit de s’interroger à propos de ceux censés jouer un rôle constructif de médiation entre ces musulmans qui sont concernés par le risque de se perdre et notre République. De plus, la moindre critique de l’islam est immédiatement frappée par le CFCM "d’islamophobie", en nuisant de façon permanente au débat essentiel sur la modernisation de l’islam dont dépend la juste intégration de millions de musulmans dans la France républicaine de notre temps.

Récemment, le Conseil français du culte musulman (CFCM), a initié une "Convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble". Celle-ci était présentée comme prenant en compte ce à quoi devaient faire face les musulmans aujourd’hui, entre adoption de la laïcité et questionnements de la modernité. On explique que cette Convention dans sa première partie regroupe 9 articles et traite des questions qui font débat, comme l'article 3 "la femme musulmane", qui rappelle que le "Coran confère une égalité totale aux femmes et aux hommes". Le document cite ce verset, Coran 2-228 : "Et les femmes ont des droits sur les hommes semblables à ceux que les hommes ont sur elles". Sauf que, à bien y regarder, on trouve l’opposé de cette interprétation dans le Coran : A chaque fois qu’il est question des rapports entre hommes et femmes, que ce soit dans la sourate 2 ou dans la sourate 4, voilà ce qui est écrit : Sourate 2-228 ; (les femmes) "Elles ont des droits équivalents à leurs obligations, conformément à la bienséance. Mais les hommes ont cependant une prédominance sur elles. Et Allah est Puissant et sage." Ce verset ne fait que répéter ce que l’on trouve à la sourate 4 qui est consacrée plus particulièrement aux femmes : Sourate 4-34 ; "les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celle-ci…" Tous les ouvrages consacrés à l’islam soulignent le statut juridique inférieur de la femme, la moindre valeur du témoignage d’une femme, de sa part d’héritage, du fait qu’un homme peut avoir plusieurs épouses alors que le divorce de la femme passe par sa répudiation du fait de son époux… Encore une façon d’interpréter qui empêche de mener le véritable débat sur ce sujet si important qui est celui de l’égalité entre hommes et femmes, qui est un des éléments "ciment" de notre modernité et qui est ici éludé par cette interprétation fort à propos.

La confusion qui nait de ce refus de poser en grand le débat des rapports entre islam et République est une grave voie d’eau qui participe de laisser des malentendus prendre racine nuisant à la prévention nécessaire au risque du radicalisme.

De quoi ces lectures sont-elles le symptôme ?

Dans un contexte qui est celui d’une économie de sous-emploi, l’ascenseur social fonctionne moins bien et la tentation est forte de rabattre des problèmes économiques et sociaux sur la question des discriminations qui existent, mais ne résument pas la réalité des difficultés d’intégration économique ou de mobilité sociale des populations issues de l’immigration en référence. On cherche aussi du côté du passé, une filiation  entre cette discrimination générale supposée et un passé colonial de la France qui n’aurait pas encore été soldé dans les populations du cru, expliquant les réticences à s’intégrer des musulmans, selon certains. Il y a donc une certaine victimisation qui, bien entretenue, peut amener à un rejet de la France et de ses valeurs, pour trouver dans la religion voire la radicalisation, une sorte de refuge.

En réalité, on a laissé depuis une trentaine d’années dériver les choses, avec pour marqueur la première affaire du voile à Creil en juin 1989. Il en a tout d’abord été des atermoiements des responsables politiques qui ont laissé cette situation sans réponse et donc se dégrader, où on ne respectait plus l’école laïque, jusqu’à ce qu’enfin, la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique soit votée.

On a ainsi vu s’opérer depuis une aggravation continue de la situation, avec une affirmation de plus en plus fermée d’une partie de l’islam en France, sur le mode du refus du mélange au-delà de la communauté de croyance. Cela s’est manifesté à travers l’accentuation de la visibilité dans l’espace publique de cette conception de l’islam, que l’on a pu croire un moment largement subie mais en fait de plus en plus revendiquée, avec une extension notable du port du voile qui s’accompagne de celle de vêtements traditionnels dont la djellaba est aussi l’expression, parallèlement à la montée de revendications à caractère religieux sur un mode de reconnaissance communautaire. On est passé d’un voile discret à un voile de plus en plus ostensible jusqu’au voile intégral, avec des prières de rue massives, un respect du jeune du Ramadan présenté par les médias eux-mêmes comme l’événement incontournable pour tous les musulmans qui, peu pratiqué il y a vingt ans, l’est majoritairement aujourd’hui…

Finalement, autant de signes de la mise en place d’une communauté concernant de nombreux musulmans, se refermant sur elle-même, avec tous les risques que cela peut laisser supposer, dans l’ombre de nombreux conflits dans le monde où l’islam est engagée et avec lesquels, comme c’est le cas de la Syrie ou s’agissant du conflit israélo-palestinien, l’identification se fait avec des organisations islamistes voire djihadistes.

On a effectivement accompagné ce mouvement par une série de reculs, tels : le financement de lieux de culte par des collectivités territoriales, par des montages divers validées par les institutions de la République comme le Conseil d’Etat à travers un certain nombre d’arrêts qu’il a rendu entre 2007 et 2008 ; l’apparition de table sans porc regroupant des enfants de famille musulmane dans les cantines scolaires sur le fondement des menus sans porc ; l’accompagnement de sorties scolaires par des mères voilées contrairement aux exigences relatives à la mission de service public de l’école, qu’autorise l’actuel ministre de l’éducation à travers le traitement de ces situations au cas par cas ; les piscines ouvertes à des horaires spécifiques uniquement pour les femmes par différentes municipalités et ce, y compris de gauche, au moment où le combat pour la parité passait pour l’apogée du combat en faveur de la libération des femmes ; dans certains établissements sociaux, la prise en charge communautaire de personnes selon leur origine et religion par des éducateurs en affinité identitaire avec elles, sans réaction de personne…

La République parait aussi troublée, incertaine, manquant de fiabilité, ne se respectant pas elle-même et offrant sa poitrine à des maux qu’elle a dépassés en séparant de l’Etat les Eglises dont le principe se trouve remis en cause par ses représentants eux-mêmes. Il en va d’une crise du politique qui, si elle touche tout un chacun, ne donne pas les gages à nos compatriotes musulmans d’être un appui solide pour savoir déjouer les pièges de l’enferment communautaire, mais aussi de la dérive radicale qui peut advenir sous le jeu de circonstances favorables à quoi les livres incriminés participent, mais pas sans tout un fond qui en autorise les effets.

Il ya-t-il une évolution dans le profil de ces lecteurs depuis quelques années ? Si oui, comment l’expliquer ?

Sans doute, cette évolution est aussi la conséquence de ce qui se passe dans notre société au regard de l’affirmation de plus en plus aigüe de l’attachement, l’appartenance à une religion qui sert de socle identitaire transnational, s’élevant au-dessus de l’identification à tel ou tel pays d’accueil, ici, au nôtre. On voit bien au sein même d’une certaine communauté musulmane se définissant comme composée de membres ne se mélangeant plus avec des non-musulmans, une nouvelle minorité apparaitre qui croît, plus marquée encore par les signes ostensibles, une volonté d’affichage de la religion à travers des signes qui expriment un retour du sacré dans l’espace public non sans un certain trouble, pratiquant à la lettre les prescriptions faites aux pratiquants par les voix les plus rigoureuses, s’accompagnant souvent du rejet des valeurs libérales occidentales, avec une attitude très revendicative vis-à-vis des exigences d’accommodements de la règle commune. Cette réalité qui marque une tendance nouvelle à travers sa visibilité peut inquiéter. Ces musulmans qui se distinguent des autres au sein de leur propre communauté en appuyant sur leur mise à part, sont l’expression d’un phénomène de communautarisation qui va avec un rejet de l’intégration, qui est le terreau idéal pour les exposer à ce genre de lecture.

Ces lectures participent-elles à une sorte de radicalisation d’une partie de la population ? Quels sont les autres moyens ?

Si on ne réagit pas, il y a danger. Trop d’ingrédients sont présents entre les difficultés d’intégration, le repli identitaire croissant, des conflits dans le monde qui nourrissent une radicalisation avec parfois un sentiment de haine de l’Occident, pour que l’on continue de faire comme si il n’y avait rien à voir. Il faut faire preuve de pédagogie et associer les représentants réguliers de l’islam de France mais sur un contrat clair en levant les confusions. La croyance est par essence à caractère passionnel, elle doit être très bien encadrée pour ne pas servir d’instrument à ceux qui y voient le moyen d’exercer une pression politique sur la société pour qu’elle cède une part de ce qu’elle est au religieux, conçu comme la finalité de tout devant se soumettre à son ordre unique. Nous avons-nous-mêmes connus cela dans notre histoire et n’avons pas le droit de l’oublier sous peine du risque d’un terrible retour des choses, sans compter encore ce que nourrit aussi ce radicalisme du côté des extrêmes qui y trouvent là leur compte. La prévention s’inscrit dans le chapitre de la responsabilité, de la citoyenneté et de la raison.

Quels sont les remèdes à ces livres ?

Il y a une responsabilité de ceux qui en font la promotion en les banalisant sur des rayons de supermarchés où ils ne devraient jamais trouver de place, généralement pour de basses raisons marchandes d’accommodement local à une population ainsi incitée à mal orienter sa lecture de la religion.

Il y a bien sûr une responsabilité des autorités religieuses et représentatives des musulmans quant à les dissuader d’aller vers ce à quoi invitent ces livres en sachant les dénoncer sans ambigüité. Mais elle est aussi engagée au regard de notre République, pour montrer la compatibilité de l’islam avec nos institutions, ainsi que rassurer les autres membres de notre communauté nationale sur la place qu’entend occuper cette religion dans notre pays.

Nos représentants et gouvernants y ont aussi leur responsabilité, quant à savoir "faire aimer la République". Cela commence par la défendre en donnant des signes clairs quant à ce quelle entend montrer d’elle-même dans sa cohérence, dans ce qu’elle offre. C’est bien ce qu’attendent voire demandent bien des musulmans, qui ne parviennent pas à se faire entendre ! Il n’y a rien de pire que la République tienne un double langage, d’un côté dans le discours défendant la séparation des Eglises et de l’Etat, et pratiquant un clientélisme politique, par le jeu des accommodements raisonnables, de l’autre. Ce qui l’affaiblit nécessairement de façon grave dans ce contexte tendu et à haut risque.

Il y a une tension qui a vu le jour entre une conception d’un islam se mettant à part et refusant le mélange, et notre société qui a lentement fabriqué ce creuset français de l’intégration qui passe par un brassage des hommes et des femmes de tous horizons, une mixité assumée à travers un mélange qui garantit la concorde nationale et la qualité du vivre-ensemble. C’est à cet endroit, selon le projet réussi de convaincre des avantages des libertés que notre République procure à tous, que se joue véritablement l’intérêt à un moment donné pour ces livres ou de les ignorer.

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