Essais cliniques : sommes-nous tous devenus des cobayes de l’industrie pharmaceutique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des patients subiraient des essais cliniques en même temps que leur traitement.
Des patients subiraient des essais cliniques en même temps que leur traitement.
©Reuters

La dictature du bien

Si les patients étaient jusque-là soignés avec des traitements efficaces et adaptés, ils devront désormais subir des essais cliniques en même temps. Une pratique effrayante qui s'est généralisée .

Nicole  Delépine

Nicole Delépine

Nicole Delépine ancienne responsable de l'unité de cancérologie pédiatrique de l'hôpital universitaire Raymond Poincaré à Garches( APHP ). Fille de l'un des fondateurs de la Sécurité Sociale, elle a récemment publié La face cachée des médicaments, Le cancer, un fléau qui rapporte et Neuf petits lits sur le trottoir, qui relate la fermeture musclée du dernier service indépendant de cancérologie pédiatrique. Retraitée, elle poursuit son combat pour la liberté de soigner et d’être soigné, le respect du serment d’Hippocrate et du code de Nuremberg en défendant le caractère absolu du consentement éclairé du patient.

Elle publiera le 4 mai 2016  un ouvrage coécrit avec le DR Gérard Delépine chirurgien oncologue et statisticien « Cancer, les bonnes questions à poser à mon médecin » chez Michalon Ed. Egalement publié en 2016, "Soigner ou guérir" paru chez Fauves Editions.

 

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Atlantico : Nicole Delépine, vous militez actuellement pour que le service d’oncologie pédiatrique que vous dirigez à l’hôpital de Garches ne ferme pas à la suite de votre départ à la retraite prévu le 18 juillet. Les enfants atteints de cancer placés sous votre responsabilité seraient ensuite soignés dans le cadre de protocoles standardisés impliquant des essais cliniques. Comment faire la part des choses entre le traitement et l’essai clinique ? Autrement dit, comment soigner et en même temps progresser dans la prise en charge des patients ?

Nicole Delépine : Différencier un traitement connu d’un protocole d’essai thérapeutique , aussi  appelé "test" est relativement facile. Un traitement éprouvé a déjà été utilisé, analysé et publié, évalué de fait selon l’expression à la mode ! il représente l’ "état actuel de la science" On connait ses résultats et ses risques souvent à long terme  et on peut ainsi adapter le traitement à chaque patient en fonction de ses caractéristiques personnelles et de ses réponses au traitement. De plus un traitement éprouvé ne comporte jamais de tirage au sort. Le patient peut obtenir les publications concernant ce schéma et les étudier avec son médecin traitant.

Au contraire un essai thérapeutique vise à répondre à un problème non résolu ; ses résultats comme ses risques ne sont par définition pas connus puisqu’il s’agit d’un traitement au moins en partie expérimental.

La plupart des essais pratiquent le tirage au sort entre deux groupes qui recevront un traitement différent pour mettre plus facilement en évidence des différences entre le groupe témoin qui reçoit en général le traitement utilisé dans l’essai précédent (dit abusivement traitement "standard" car les résultats ne sont souvent pas encore publiés ) et le groupe du "nouveau traitement" qui ajoute souvent une molécule nouvelle  .

Ce schéma d’essai avec plusieurs drogues correspond aux essais dits phase 3 ou 4 dans lesquels sont inclus d’emblée des enfants atteints de cancer (80 % selon les données de l’institut Gustave Roussy) trop selon nous.

 C’est ce combat qui alimente la polémique actuelle . Nous pensons avec les familles qui se battent pour que le service accordé il y a dix ans par le ministère de la santé  dans cet esprit que les parents  doivent bénéficier du "choix veritablement eclaire entre traitements connus et valides et essais experimentaux". Droit fondamental de l’homme ,reconnu dans le code de santé publique et dans la loi européenne sur les essais cliniques qui confirme que l’intérêt collectif ne doit jamais primer sur l’interet individuel. Pour que ce droit ne soit pas virtuel certains centres (dont Garches) doivent avoir l’autorisation de pratiquer ces traitements conventionnels qui ont fait leur preuve.

Il faut  différencier  ces essais de phase 3 imposées d’emblée dans la majorité des cas aux enfants cancéreux, des essais phase I où l’on essaie de déterminer la dose maximale tolérable d’un nouveau médicament donné seul et la phase 2 dans laquelle on tente de voir les maladies qui voudraient bien répondre et qui  sont rarement pratiquées en première intention chez les patients  n’ayant jamais été traités .

Néanmoins l’arrivée des essais dits "précoces" sur le marché tend à inclure de plus en plus vite des adultes dans des essais de première intention  au nom de bénéfice de l’innovation thérapeutique (remboursée d’après une liste établie au ministère et payée rubis sur l’ongle par la securité sociale à 100 %). On voit aussi de plus en plus de petits inclus rapidement dans les essais de phase 1 donc tout de suite après les expérimentations animales après un seul échec de traitement par un essai phase trois. Ceci était inconcevable il y a encore peu d’années. Pour vérifier qu’on ne vous inclue pas dans un essai sans vous le dire, demandez les résultats publiés du protocole ; lisez également le schéma de traitement proposé et vérifiez qu’il ne prévoit pas de tirage au sort. Quand on soigne, on doit évaluer ses résultats pour améliorer le traitement. Cela se pratique de tout temps. Il n’y a pas besoin pour cela de faire un essai. Lorsqu’on donne un anticancéreux et qu’on constate  que la tumeur ne diminue pas, on change de traitement, si elle fond, on continue. C’est par l’observation minutieuse de la réponse des malades au traitement que les progrès sont réalisés et non pas par les essais.

C’est pour éviter les erreurs d’appréciation de cas cliniques isolés  qu’on a progressivement proposé de mettre en place dans les années 1960  des études statistiques permettant de vérifier sur de plus grands nombres la véracité reproductible des découvertes individuelles ou de petits groupes . D’abord un progrès théorique comme aide à l’appréciation de l’efficacité d’un nouveau médicament ou d’une nouvelle méthode de traitement ,la méthode est devenue le but oubliant ses biais, ses limites et sa déconnexion du patient .L’essai vérifie , il n’invente pas , ne créé pas.

Aujourd’hui, et pas seulement dans le traitement des cancers, on souscrit à des "protocoles" : est-on toujours bien mis au courant par le corps médical de ce qu’ils impliquent ?

Malheureusement de très nombreux témoignages montrent que la loi n’est pas toujours respectée. On tente trop souvent de faire croire au malade qu’il s’agit seulement de soins, "que tout le monde fait la même chose.." que "c’est le traitement standard" et on ne l’informe qu’exceptionnellement des traitements disponibles ayant fait leurs preuves.

Désinformation des malades mais aussi désinformation des médecins. Le plan cancer désire également que les médecins ne soient pas informés ou qu’ils oublient les traitements connus. Un de ses buts officiels  est l’ "acculturation" des médecins et il est frappant de constater que certains déconseillent aux étudiants de lire des articles parus il y a plus de 3 ans considérés comme ringards... Cet abandon des traitements qui guérissaient trois quart des enfants en 1985 et plus de la moitié des adultes du monde anglo-saxon  risque d’être péjoratif car personne ne sait ce que donneront à long terme ces nouveaux traitements basés sur la génétique .

La volonté de la ministre au mépris du peuple de fermer un service qui soigne avant de chercher (ce qui n’exclue en rien le recours aux essais quand les autres possibilités sont épuisées) est logique si on suit ce plan. Malheureusement cette hégémonie du traitement du cancer est incompatible avec l’Etat de droit dans lequel nous vivons officiellement. C’est pourquoi les recours devant les juridictions françaises et européennes sont déposés. Espèrons que le temps juridique ne sera pas trop long pour la détresse des familles perdues après avoir échappé à un essai dont elles ne voulaient pas et risquant de se voir renvoyer dans ce circuit monopolistique. Mais rien n’est encore perdu tant est grande la révolte populaire pour défendre la liberté de soigner et pas seulement en cancérologie.

Une fois la phase de test en laboratoire passée, dans quelle mesure est-on certain de la fiabilité de certains traitements ? Des produits pouvant encore présenter des risques, car traités sur un échantillon restrictif, sont-ils mis en circulation de manière parfaitement assumée ?

Nous ne sommes pas contre les essais thérapeutiques lorsqu’ils sont nécessaires et qu’ils respectent l’éthique définie par le code de Nuremberg et la déclaration d’Helsinki de l’Association Médicale Mondiale ,textes que la France prétend respecter. Certains essais sont incontournables même s’ils sont éthiquement discutables ainsi que le précise l’avis 73 du Comité Nationale d’Ethique. Mais ces vérifications portent sur un petit nombre de malades peu représentatif de la population qui recevra le médicament et ne devraient être entrepris que chez des patients dont le cancer est avancé et clairement consentant.

Les essais de phase 3 tentent d’évaluer chez des malades l’intérêt réel du médicament (efficacité, toxicité , éventuelles interactions avec les autres médicaments) ; ce type d’essai est censé protéger les futurs malades des médicaments inutiles ou dangereux . Malheureusement les firmes  qui paient les médecins pour réaliser ces essais ont réussi à convaincre nos dirigeants, sous le prétexte de "propriété intellectuelle" de garder pour elles les données brutes sans aucun contrôle indépendant. Cela leur permet de ne pas publier un essai qu’elles jugent défavorable et même de truquer les données (fait établi lors des procès qui ont sanctionné la catastrophe sanitaire du VIOXX (23000 morts aux USA). Tant qu’un médicament n’a pas été utilisé à large échelle, on ne peut donc jamais être certain de son innocuité. C’est le but de la pharmacovigilance qui n’existe en France quasiment que sur le papier ainsi que l’a rappelée le scandale du médiator. Si nos dirigeants voulaient assurer vraiment la sécurité sanitaire ils imposeraient un régime de copropriété (Labo-ministère de la santé-malades) pour les essais destinés à obtenir l’Autorisation de Mise sur le Marché et la transparence complète sur les dossiers et les prises de décision et leurs auteurs. Ce n’est toujours pas le cas et de prochaines catastrophes sanitaires sont prévisibles d’autant que la traçabilité des circuits de fabrication et de commercialisation  des médicaments n’est pas mieux assurée que celle des lasagnes..

A quel niveau se situe le problème ?

Malheureusement à tous ces niveaux. L’industrie pharmaceutique est privée et vise seulement à engranger des bénéfices. Elle y parvient d’ailleurs fort bien puisque son bénéfice moyen représente le quart de son chiffre d’affaires. Pour consolider ses bénéfices, elle se comporte certainement comme le plus grand corrupteur actuel des états, de leurs dirigeants et des experts sous différentes formes (argent, pouvoir, trafic d’influence pesant sur l’emploi etc). Les sommes en jeu sont considérables : un ministre de la santé italienne a reçu six cent millions de lires pour rendre obligatoire la vaccination contre l’hépatite B. La recherche indépendante qui pourrait être source de progrès est asphyxiée et le développement à toute allure des partenariats publics privés l’a quasiment fait disparaitre et les pétitions initiées par des associations et des politiques ne sont absolument pas entendues .

La corruption des médecins est multiforme : financière bien sûr (congrès, logiciels, ordinateurs) mais aussi honorifique et de pouvoir et de carrière : si vous faites allégeance, votre carrière sera boostée car les big pharma vous imposeront dans les grands congrès qu’elles financent, feront de vous un auteur prolifique (allant même jusqu’à écrire à votre place si besoin), qui publiera dans les plus grandes revues (dont elles assurent l’essentiel des revenus par la publicité) et qui sera donc logiquement choisi pour être professeur.

A ce niveau les liens d’intérêts financiers peuvent  être considérables (plusieurs centaines de milliers d’euro par an pour certains professeurs leaders d’opinion et experts d’agence). Les big pharma veilleront aussi à ce que vous acquériez le maximum de pouvoirs dans les sociétés savantes et les agences de l’état pour mieux les servir.

Les agences sont infiltrées par les conflits d’intérêt et pas seulement l’agence du médicament (malgré les efforts de son directeur actuel démissionnaire), mais aussi l’INCa et les ARS pour ne citer que certaines qui s’occupent de notre sécurité sanitaire.Elles sont structurellement  en situation grave de conflits d’intérêt car leur budget de fonctionnement dépend parfois des entreprises qu’elles sont censées contrôler ! Leurs experts aux liens d’intérêts multiples et non déclarés achèvent de leur enlever toute crédibilité. La loi anticorruption de 2011 a en effet été vidée de toute efficacité par les textes d’application rédigés par Marisol Touraine  sous la dictée des laboratoires  en fin 2013 (voir pour le développement le site du Formindhep qui déploie une grande énergie pour mettre en évidence ces liens incestueux qui ne sont visibles qu’après des heures de recherche sur le net .

Au-delà de l’opacité organisée, les associations anticorruption et même l’Ordre des médecins se sont émus des décrets vidant la loi de son sens ! en vain. Ainsi il suffit que les avantages qu’on vous concède comme médecin aient fait l’objet d’un "contrat commercial" pour que vous n’ayez pas besoin de les déclarer ! Ou que vous touchiez l’argent des big pharma par l’intermédiaire d’une agence de publicité (qui ne sont pas soumises à déclaration).

Les patients ne mériteraient-ils pas d'être davantage informés ?  Pourquoi n’est-ce pas le cas ?

L’information des patients est un devoir déontologique qui s’impose à tout médecin comme à tout chercheur. Mais quel malade veut-il  que son traitement soit tiré au sort au lieu d’être adapté à son cas en fonction des données acquises de la science ? Comme les Big pharma et leurs complices certains médecins, experts et politiques veulent toujours plus d’essais pour gagner toujours plus d’argent et / ou plus d’avantages de toute nature  il ne faut surtout pas que les malades soient informés d’où la campagne de calomnie à  notre égard. Quand à de nombreux médecins et soignants, ils souffrent de ne rien pouvoir dire ni faire faute de perdre leur emploi, leur chance aux concours, leur respectabilité etc .Il n’est pas si facile de se faire insulter en place publique juste parce qu’on veut respecter le serment d’Hippocrate ! 

Croyez-vous que les soignants de tous types de Raymond Poincaré soient fiers que les petits d’oncologie pédiatrique soient gardés par des vigiles, des caméras et interdits de visite sans demande écrite ? Ils se taisent sous peine de "carrière brisée"  les a-t-on prévenu dès le 13 mai leur proposant des mutations immédiates. Ils sont toujours là à soigner les patients deux mois plus tard dans cette atmosphère carcérale et nauséabonde qui n’a pas de raison d’être que le harcèlement qui ne changera rien au problème fondamental: choix ou pas choix .Je  les en remercie sincèrement.

Le ministère de la santé que certains mauvais esprits proposent de rebaptiser ministère de l’industrie pharmaceutique et des assurances privées s’oppose de toutes ses forces à la transparence et au choix thérapeutique. Mais le mur de Berlin  est bien tombé...

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