Sécurité : pourquoi nos aéroports restent des passoires<!-- --> | Atlantico.fr
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Un passager enlève sa ceinture lors du passage de la sécurité à l'aéroport de Francfort.
Un passager enlève sa ceinture lors du passage de la sécurité à l'aéroport de Francfort.
©Reuters

Sécurité illusoire

Le poète escaladeur Hervé Couasnon a réussi à prendre l'avion sans billet depuis Charles de Gaulle pour Rome. Au même moment les Etats-Unis ont annoncé un renforcement de leurs mesures de sécurité dans les aéroports européens : pourquoi les aéroports demeurent toujours des vrais passoires malgré les contrôles.

Christophe  Naudin

Christophe Naudin

Christophe Naudin est criminologue, docteur de la Sorbonne, chercheur enseignant pour l’Université Paris II Panthéon-Assas. Spécialisé dans la lutte contre la criminalité identitaire et le terrorisme aérien, il est également formateur pour la police nationale et la gendarmerie nationale. Il a exercé pendant 20 ans dans de nombreux pays sur les 5 continents, dans le cadre de la coopération technique policière et de défense.

 
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Atlantico : Alors même qu'un renforcement de la sûreté dans les aéroports européens était annoncé, Hervé Couasnon, appelé le "poète escaladeur", est parvenu à embarquer sans billet dans un avion à Paris, pour montrer selon lui les failles de protection des aéroports. Comment expliquer qu'il ait pu échapper aux contrôles ? Quelles sont les failles de sûreté ?

Christophe Naudin : Monsieur Couasnon n’a pas réellement réussi à tromper les dispositifs de sûreté de l’aéroport Charles de Gaulle, puisqu’il a été interpellé par la Police aux Frontières à bord d’un appareil en partance. Sa démonstration aurait été réussie s’il était arrivé à Rome, destination finale du vol dans lequel il s’était imposé. Il y serait peut être parvenu si l’avion n’avait pas été complet… Y’a-t-il eu une faille dans le contrôle des passagers par la compagnie aérienne, avant l’embarquement : probablement, mais je ne peux l’affirmer.

Monsieur Couasnon a fait son expérience sur un vol intra Schengen, non concerné par le renforcement des mesures de sûreté pour les vols vers l’Amérique du Nord. Les failles de sûreté sont multiples dans le dispositif de protection aéroportuaire : les deux principales sont un personnel de sûreté inadapté à la mission de sûreté défense qu’il effectue, et une posture de communication institutionnelle basée sur l’invulnérabilité (ce qui est dangereux et faux).

Il n'est pas le seul à avoir tenté de déjouer les contrôles des aéroports : en 2012, des journalistes de Canal +, entre autres, étaient montés dans un avion avec des armes en soute et en cabine. La sûreté aéroportuaire s'est-elle dégradée ces dernières années ?

D’une façon générale, la sûreté aéroportuaire s’est plutôt améliorée depuis 2006. De nombreux efforts ont été déployés de la part des services techniques de la DGAC et de leur tutelle, les sociétés privées qui emploient les agents de sûreté ont fait preuve de réels efforts. Les technologies de détection sont plutôt excellentes, mais elles sont mal maîtrisées par les opérateurs et pire encore par leurs donneurs d’ordre. Il est exact que de nombreuses évaluations plus ou moins spectaculaires sont réalisées par des journalistes et même par des passagers lambda. Souvent ces expériences sauvages fonctionnent et donnent une idée de la réalité des principes de protection du transport aérien. Il faut voir dans ces expériences l’incapacité et l’obstination de notre administration à éviter de communiquer sur les résultats de la majorité des "tests opérationnels" mis en œuvre régulièrement par les services de l’Etat. Pourquoi ? Parce que les résultats sont catastrophiques. Tout le monde le sait, mais personne n’ose l’avouer publiquement.

Le personnel des aéroports est-il bien formé et en nombre suffisant ? Quels sont les outils technologiques à leur disposition ?

Lorsque l’on évoque la défense nationale, la question de son efficacité à défendre le pays et la nation est-elle liée à une problématique sociale ? Non, évidemment. De la même façon, il ne faut pas considérer la sûreté aéroportuaire d’un point de vue social. A ce jour, une forte majorité du personnel de sûreté est recruté par le biais de la reconversion professionnelle et de pôle emploi, et c’est ce qui ne convient pas (sauf rares exceptions individuelles). L’idée que nous avons en France des métiers de la sûreté est erronée, car on imagine trop souvent qu’il s’agit de tâches simples ne nécessitant pas de qualifications. C’est tout le contraire ! Une évolution favorable est en train de se produire, mais elle est trop lente et prendra plusieurs décennies.

Les outils technologiques à disposition des opérateurs en sûreté sont :

1 -  des appareils d’imagerie radioscopique de sûreté, qui sont tout à fait comparables aux appareils médicaux de radiologie. Ce sont d’ailleurs les mêmes sociétés qui les fabriquent. Le principe de fonctionnement : la détection de la matière en fonction de l’identification des atomes qui la compose. Cela parait simple, cela ne l’est pas ! Une aptitude visuelle ophtalmologique est indispensable puisque la détection des menaces se fait sur une base colorimétrique. Or, le daltonisme des opérateurs n’est jamais contrôlé à l’embauche (ni après) alors qu’un homme sur 10 est atteint de cette pathologie. Ces appareils de radioscopie de sûreté sont très perfectionnés, mais utilisés à 20% de leur capacité du fait d’une formation lacunaire trop courte. Il existe des appareils de toutes tailles – du sac à main au camion - , certains fonctionnent de façon conventionnelle, d’autres ont des moyens de détection automatiques.

2 – Des tomographes, qui sont la réplique exacte des scanners médicaux que l’on trouve dans les hôpitaux, et qui sont capables de détecter dans le détail la nature de la matière inspectée à l’intérieur d’un contenant. Temps de formation minimal souhaité pour des opérateurs aguerris en radioscopie : 120 heures ; dans la réalité les sociétés ne veulent pas dépasser les 24 heures.

3 – Des détecteurs de traces qui fonctionnent par chromatographie à grande vitesse en phase gazeuse (HSGC) ou par spectrométrie différentielle. Là encore, c’est très technique et cela demande quelques connaissances de bases en physique et en chimie.

4 – Des portiques de détection des masses métalliques, des appareils très capricieux et peu efficaces, généralement mal utilisés. Il existe bien des portiques à ondes millimétriques qui permettent de détecter sans difficultés toutes les matières extracorporelles transportées (armes ou explosifs par exemple), mais la France est le seul pays à avoir choisi de ne pas les utiliser pour des raisons très discutables, alors qu’il y en a 8000 en fonction dans le monde.

Quel coût représente cette sureté ? Et combien faudrait-il pour l'améliorer ?

En France, le coût de la sûreté est environ de 800 millions d’euros annuel, dont une petite partie correspond aux prestations humaines. L’amélioration des mesures n’est pas une question de budget, mais de gestion. Il faudrait impérativement changer le mode de recrutement, pour réaliser des prestations de sûreté de meilleure qualité, discriminatoires, aléatoires, avec un personnel moins important, plus qualifié et mieux formé. Les résultats seraient meilleurs avec une masse salariale constante et moins de personnel.

Au plan social, il est évident qu’il faut contraindre les gestionnaires d’aéroports à améliorer les conditions de travails des agents de sûreté, qui sont anormales.

Au plan technique, l’implémentation générale des portiques à ondes millimétriques sur tout le territoire national et la généralisation des contrôles passagers à la frontière et en sûreté par la biométrie multimodale constituerait un progrès exponentiel n’entrainant pas nécessairement de surcharge financière.

Au plan national : simplification des mesures par l’introduction de l’aléatoire (plus efficace que le contrôle systématique qui est routinier et médiocre) et mise en place d’un uniforme national sur tous les aéroports français.

Face à de  "nouvelles menaces" terroristes signalées par les États-Unis, Paris a suivi Londres et Bruxelles et renforce les contrôles. Comment se met en place concrètement le renforcement de la protection des aéroports dans cette situation ? A ma connaissance, il n’y a aucune nouvelle menace signalée par les Etats-Unis ni aucun autre pays. L’appel à la vigilance des Etats-Unis est dû à la fête nationale du 4 juillet et à l’anniversaire des attentats de Boston. Par diplomatie, certains pays ont cru bon répondre favorablement à la sollicitation des Etats-Unis, sans pour autant mettre en place des mesures visibles particulières.Il n’y a aucun renfort spécifique de la sûreté dans les aéroports français ni ailleurs. Il y a sans doute un rappel et une application plus précise des consignes et des process de contrôle des passagers du fret et des bagages.

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