Particule de Dieu : 2 ans après sa découverte, le Boson de Higgs livre quelques secrets mais en recèle encore de nombreux<!-- --> | Atlantico.fr
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La découverte du boson de Higgs a été officiellement annoncée en juillet 2012.
La découverte du boson de Higgs a été officiellement annoncée en juillet 2012.
©DR

Les mystères de la matière

Avant que le Boson de Higgs ne soit découvert en 2012, les physiciens n'avaient qu'une vision théorique de la structure de la matière de notre univers. Maintenant que la théorie est vérifiée, ils s'apprêtent à lancer de nouvelles expériences grâce à l'accélérateur de particules du CERN, qui pourraient avoir des conséquences colossales pour notre avenir.

Yves Sirois

Yves Sirois

Yves Sirois est Directeur de Recherche au CNRS. Il a participé à la découverte du Boson de Higgs en 2012.

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Atlantico : Le 4 juillet 2012 était officiellement annoncée la découverte du Boson de Higgs. Ce boson serait la manifestation du champ de Higgs, qui remplit tout le vide qui se trouve autour de nous et dans l'espace. Pouvez-vous nous expliquer un peu plus précisément c’est qu’est-ce "champ de Higgs", et la place qu’occupe le "boson" ?

Yves Sirois : Le boson de Higgs est au champ de Higgs ce que le photon est au champ électromagnétique. Le boson de Higgs est le quanta associé au champ de Higgs. Il faut savoir que toutes les particules dans la théorie fondamentale, appelée le "modèle standard", peuvent  être vues comme les "oscillations" de champs quantiques. Ces champs unifient notre description des particules, que ce soit les particules dites de "matière" comme l’électron ou les "véhicules des interactions" comme le photon. Ils permettent une description simultanément cohérente avec la mécanique quantique et la relativité qui peut rendre compte de la création de particules via l’équivalence masse-énergie.

La découverte du boson de Higgs démontre donc l'existence d'un nouveau champ : le champ de Higgs. Ce champ a des propriétés très particulières qui tiennent à sa nature unique: il est différent de tous les autres champs liés à la matière ou aux interactions. Par le mécanisme de Brout-Englert-Higgs (prix Nobel 2013), son état le plus stable correspond à une valeur moyenne non-nulle dans le vide. C'est ainsi qu'on dit qu'il "remplit" le vide.  Ce faisant, il permet aux bosons Z et W, les véhicules de l'interaction faible, d'acquérir une masse. Les particules de matière se propageant dans le vide acquièrent aussi une masse.

Les moyens déployés pour trouver le boson de Higgs sont colossaux : l’accélérateur de particules LHC construit à cet effet aurait coûté, salaires compris, 8,9 milliards d’euros. Pourquoi cette recherche du boson de Higgs est-elle si essentielle ?

Les moyens déployés sont colossaux et les retombées scientifiques, techniques, et sociétales des expériences auprès du LHC sont ou seront tout aussi considérables. 

Rappelons tout d’abord qu’il s’agit au LHC de recherche fondamentale sur des sujets très vastes concernant les interactions électromagnétiques, faibles, et nucléaires fortes. La recherche et la découverte du boson de Higgs ne représentent qu'une partie des activités scientifiques au CERN, qui attire en Europe les meilleurs scientifiques du monde entier dans le domaine de physique des hautes énergies. La curiosité, cette envie de comprendre les lois fondamentales de la nature, est une qualité humaine fondamentale. C’est ainsi que la connaissance partagée par l’humanité, au-delà des frontières politiques, et qui alimente des centaines de thèses de doctorats dans les Ecoles et Universités du monde entier, contribue de façon importante au progrès humain. Il est tout à fait fascinant de penser qu'une particule comme le boson de Higgs, si difficile à détecter, et dont la découverte a demandé la construction de détecteurs qui s'appuient sur de véritables prouesses technologiques, ait une importance aussi considérable dans notre récit de l'histoire de l'Univers. Il s'avère que les interactions faibles, les plus ténues, semblent être les acteurs majeurs de la construction de notre univers. Ce pas dans notre compréhension de l’histoire de l’univers, de cette histoire de la matière qui mène ultimement à la vie humaine, génère un profond sentiment d'émerveillement, mais aussi d'humilité devant la précieuse fragilité de la vie.

La recherche fondamentale en général, et au LHC en particulier, s’appuie des détecteurs et un collisionneur qui ont considérablement irrigué la technologie en repoussant les limites existantes. La physique des particules est historiquement à l’origine de l’essentiel des techniques menant aux outils d’imagerie utilisés en médecine, comme la tomographie ou l’usage d’accélérateur en proton-thérapie pour traiter le cancer. Le développement de la technologie des aimants supraconducteurs utilisée par l’imagerie magnétique résonante (IRM) a été poussé par les exigences de détecteurs de physique. L’invention du "world wide web"  au CERN qui a résulté du besoin de communiquer au sein des grandes expériences au-delà des barrières techniques, dans un monde hétérogène,  a eu un impact massif sur la société dans le monde entier.

Pour en revenir au boson de Higgs, et à l’impact sur la physique : il s’agit de la découverte de la clef de voûte pour le modèle standard, cette théorie qui résulte du mariage des deux grandes révolutions conceptuelles du 20ième siècle, la relativité et la mécanique quantique, et qui prend sa racine avec la découverte de l’électromagnétisme au dix-neuvième siècle. Nous n’en sommes qu’au début de l’étude de ce nouveau boson.  Nous venons tout juste de découvrir le boson et déjà notre récit de l'histoire de l'univers et de la matière s'en trouve bouleversé, à jamais. Le boson de Higgs occupe une place absolument essentielle dans la théorie. L'existence du champ de Higgs permet de comprendre l'origine des masses, et donc de la possibilité pour la matière de s'organiser. De plus, l’existence du boson de Higgs permet aussi de sauver la théorie d'un désastre annoncé à plus petite distance (ou plus haute énergie, ce qui est équivalent) : en l'absence d'un boson de Higgs, la théorie donnerait des résultats absurdes à très hautes énergies - à l'échelle du TeV (une énergie correspondant en distance à environ un millième de la taille d'un proton). Nous disposons aujourd'hui, et pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, d'une théorie valable en principe à toutes les échelles, possiblement jusqu'à l'échelle de Planck (unité de temps en physique ndlr) !

D’ici 2015, les scientifiques du CERN propulseront des particules subatomiques dans le LHC à des vitesses encore plus importantes qu’en 2012. Qu’attendent-ils de cette expérience ? Qu’espèrent-ils trouver ? 

La découverte du boson de Higgs est celle d'un nouveau continent dont nous n'avons fait qu'esquisser les contours. Il faut maintenant en dresser la carte détaillée. Nous connaissons désormais la masse du boson de Higgs qui était un paramètre libre de la théorie. Une fois cette masse connue, la théorie est extraordinairement prédictive. Nous devons donc observer la production et la désintégration du boson de Higgs dans tous les modes possibles et confronter les résultats avec les prédictions de la théorie. La moindre déviation significative pourrait désormais être le signe d'une nouvelle physique, au-delà du modèle standard, et le potentiel de découverte dans des territoires encore inexplorés, à plus haute énergie, est considérable.

Le triomphe apparent du modèle standard est bien paradoxal. Le mécanisme de Brout-Englert-Higgs est une idée de génie du point de vue de la physique. Le problème est qu'on ne sait absolument pas comment enclencher ce mécanisme. Les paramètres qui permettent d'enclencher le mécanisme sont mis à la main dans la théorie. On a, semble-t-il, sauvé la théorie mais au prix d'un ajout arbitraire. Il en résulte que la masse du boson de Higgs n'est protégée par aucune symétrie de la théorie. Nous avions une théorie dont les bosons d'interaction (appelé bosons de jauge) sont les conséquences inévitables des symétries de la théorie, comme si nous avions compris les lois fondamentales écrites en langage de symétries (appelé symétries de jauges) par la Nature. Et voilà qu'on doit introduire un boson qui n'est pas un boson de jauge.

Il est possible d'imaginer des théories où le secteur de Higgs émerge de façon beaucoup plus naturelle à partir de symétries fondamentales, et d’éviter ainsi de dépendre d’une solution "ad-hoc".  C'est le cas pas exemple pour la supersymétrie qui prédit l'existence de plusieurs bosons de Higgs avec en spectre de masse fortement contraint. Il est possible que ce que nous avons découvert ne soit que le premier élément d'un continent beaucoup plus vaste et fascinant. Nous pourrions par exemple y découvrir la fameuse matière noire.

A plus haute luminosité, nous pourrons étudier la production de paires de bosons de Higgs et ainsi accéder à une mesure de l'auto-couplage du champ de Higgs. Cet auto-couplage est essentiel pour comprendre le mécanisme de Brout-Englert-Higgs.

Qu’a-t-on découvert depuis 2012 ?

Aujourd'hui, 2 ans après l'annonce de la découverte, les expériences ATLAS et CMS ont essentiellement complété les analyses finales pour l'ensemble des données du run I (2010-2012) au LHC à 7 TeV et 8 TeV.

Par rapport aux analyses de découvertes et aux divers résultats préliminaires ou partiels publiés depuis la découverte, il s'agissait de finaliser les calibrations pour les électrons, les photons et les leptons taus, et de ré-optimiser les sélections des événements pour améliorer la sensibilité aux divers modes de production et de désintégration du nouveau boson. On a de plus profité d'avancées théoriques permettant un meilleur contrôle des bruits de fond.

Les résultats confirment de façon magistrale que le boson découvert en 2012 est un boson de Higgs. On a désormais mesuré la masse avec une précision de 2 pour mille ! Pour cette valeur de masse, toutes les observations sont à ce jour conforme aux  prédictions de la théorie. Ceci avec toutefois une précision de l'ordre de 10 à 30%  dépendant des processus. On est limité par les statistiques.

Nous avons par ailleurs mis en évidence le couplage du boson de Higgs au lepton tau, cousin de l'électron et du muon. Nous savons que les particules sont organisées en 3 familles, 3 "répliques". Nous sommes familiers avec la première car elle est suffisante pour expliquer toute la matière qui nous entoure (les électrons, les quarks formant les protons et les neutrons). Nous possédons désormais pour la première fois un boson, le boson de Higgs, qui permet d'expliquer la différence entre un électron et son cousin de 3ième famille, le lepton tau.  C'est la première preuve du rôle du champ de Higgs dans l'origine des familles de particules élémentaires. A plus haute luminosité, nous pourrons étudier la désintégration du boson de Higgs en paires de muons et confirmer directement ce rôle particulier du champ de Higgs, et ainsi progresser dans notre compréhension de la structure de la matière.

Quelles applications concrètes les recherches ont-elles permis jusqu’ici ?

Au dix-neuvième siècle, W. E. Gladstone, qui devint premier ministre britannique, demanda à M. Faraday à quoi pouvait bien servir l'électromagnétisme. Qui songerait aujourd'hui à poser cette question ? Qui aurait pu penser que la relativité d'Einstein serait un jour si importante pour le bon fonctionnement du moindre système GPS ?

Le boson de Higgs est une clef de voûte pour le modèle standard, une théorie qui résulte du mariage des deux grandes révolutions conceptuelles du 20ième siècle, la relativité et la mécanique quantique. Nous venons tout juste de découvrir le boson et déjà notre récit de l'histoire de l'univers et de la matière s'en trouve bouleversé, à jamais.  

Il est simplement trop tôt pour spéculer sur des applications concrètes, mais toutes les étapes précédentes de cette formidable aventure intellectuelle ont mené à des révolutions technologiques.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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