Quelle cible publicitaire êtes-vous ? Pourquoi vous avez peut-être intérêt à utiliser les fonctions Facebook et Google pour connaître ce que les géants du Web et les annonceurs savent de vous<!-- --> | Atlantico.fr
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Facebook et Google offrent à leurs utilisateurs la possibilité d'accéder à leur profil de ciblage.
Facebook et Google offrent à leurs utilisateurs la possibilité d'accéder à leur profil de ciblage.
©Reuters

Vie privée

Facebook et Google offrent à leurs utilisateurs la possibilité d'accéder à leur profil de ciblage, afin de le rendre plus précis (ou bien de le dénaturer).

Cyril Rimbaud

Cyril Rimbaud

Cyril Rimbaud est fondateur du labo Curiouser, un laboratoire d’études et de formation pour les entreprises et marques qui veulent approfondir leur connaissance du monde digital. Il est également enseignant (au CELSA entre autres), Creative Technologist et casseur de mythes publicitaires sur Internet.

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Arnaud  Auger

Arnaud Auger

Arnaud Auger, auteur de Facebook Marketing. Après avoir étudié au CELSA en Marketing digital, en Philosophie (Éthique des affaires) à Paris-Sorbonne et en Entrepreneuriat à HEC Paris, il a travaillé en agence de marketing digital en Europe, aux États-Unis et en Asie. Social Media Manager pour Unilever, il a formé les marques du groupes à la communication sur Facebook. Intervenant & conférencier (CELSA, Sup de Pub, GEM Grenoble, Novancia...), après avoir aussi créé sa Startup, il est aujourd'hui consultant marketing et innovation à l'international notamment dans la Silicon Valley et en Inde.

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Atlantico : Facebook a ouvert son système publicitaire aux utilisateurs qui vont pouvoir avoir accès à leur profil de ciblage. Cette démarche est liée à la volonté du réseau social d'affiner le profil de ses membres en exploitant les données provenant de sites ou d'applications extérieurs. Pourquoi le mastodonte donne-t-il cette "liberté" aux utilisateurs ? 

Arnaud Auger : Comme le dit le célèbre adage "Si c'est gratuit, c'est que c'est vous le produit". Le principal actif de Facebook - sinon le seul véritable - c'est sa communauté de membres et surtout, à la fois la fréquence de leurs visites (en moyenne, un Français ayant l'application mobile Facebook va l'ouvrir 14 fois par jour) et l'ensemble et la précision des données sur chacun. Facebook permet ainsi aux marques ou même aux petits commerçants, de cibler très précisément, par exemple, les 130 000 hommes, à Paris, de 25-30 ans, célibataires ou non, ayant fait des études supérieures, employé, aimant le football, Adidas et Karim Benzema. Facebook permet d'aller même beaucoup plus loin (ciblant les personnes travaillant dans telle entreprise, tel secteurs, de telle opinion politique, de telle religion etc.)

C'est ça la véritable richesse de Facebook, les données que chacun met à disposition. Du coup, des scandales comme ceux faisant état que la NSA utilisait ces données menace gravement l'actif de confiance que les utilisateurs peuvent avoir en la plateforme et donc, à terme, l'écosystème Facebook tout entier. D'autant que des concepts comme SnapChat montrent aussi une prise de conscience et une volonté grandissante des internautes du "droit à l'oubli". L'Etat major du groupe créé par Mark Zuckerberg et entré en bourse l'a bien compris et prend ainsi les mesures en conséquence pour rassurer les utilisateurs, leur donner une impression de transparence. C'est à mon avis la première raison de cette "liberté" accordée aux utilisateurs. 

La deuxième raison c'est évidemment une manière aussi habile d'éduquer les utilisateurs aux potentiels du ciblage et pourquoi faire que chacun puisse devenir publicitaire sur Facebook. A fortiori à une époque où l'auto-entrepreneuriat prend le vent en poupe.

Cyril Rimbaud :Tout d'abord il serait intéressant que les journalistes se mettent à questionner les informations qu'ils reçoivent. L'info sur l'"ouverture de leurs datas aux utilisateurs" est ainsi un communiqué de presse qui s'est baladé copié/collé sur différents médias. Ce communiqué de presse ne nous apprend pas grand chose de nouveau car les utilisateurs ont déjà accès (et depuis longtemps) à leurs datas, comme expliqué ici.

Alors pourquoi cette annonce ? 
- Cette nouvelle fonctionnalité annoncée n'existera peut-être (et surement) jamais (ce sont des promesses).
- Pendant ce temps là, Facebook utilise l'historique de vos applications et de vos navigateurs pour cibler (et retargeter) sa publicité. Ca c'est nouveau, et ça, Zuckerberg avait dit qu'il ne le ferait pas il y a 3 ans. Et cette fonctionnalité existe déjà (c'est une réalité qui démarre dans 2 semaines aux US).
- En ce moment, il y a pas mal de services, startups qui travaillent sur la notion de réappropriation des datas publicitaire à l'utilisateur. De vie privée et vie publique. C'est un axe de buzz intéressant et je pense qu'ils ont essayé de l'utiliser. 
Bref, c'est juste un effet d'annonce pour cacher ce qu'il est vraiment en train de se passer chez Facebook : l'arrivée de l'analyse comportementale à partir de toute les données de navigation de l'utilisateur.
Alors, vous me direz que ça existe déjà. Oui, mais pas mélangé au profil sociologique, ni au graph social (qui sont les datas ajoutées par FB). 
Une des façons d'éviter ce ciblage (il n'y a pas que Facebook qui fait ça), c'est là : http://www.aboutads.info/choices/

Google utilise le même procédé. Techniquement quel est le cheminement que doit faire l'utilisateur pour accéder à son profil publicitaire ?

Cyril Rimbaud :Il suffit de cliquer ici : https://www.google.com/settings/ads/onweb/ Et oui, effectivement Google fait déjà du retargeting depuis des années !

Concrètement, de quoi cette opportunité protège-t-elle l'utilisateur ? 

Arnaud Auger : Cette opportunité "protège" l'utilisateur en un sens contre lui-même en lui permettant de mieux voir comment les données qu'il entre sont exploitées donc sera mieux éclairé au moment d'entrer ces données à nouveau ou non.

Cyril Rimbaud : De rien. Ce n'est pas parce qu'on a accès à ses datas, et qu'on peut les modifier que ça nous protège. Il s'agit uniquement de concessions faites aux différentes réglementations locales sur la vie privée pour avoir l'air moins agressifs. 

C'est très bien (si on essaie d'avoir nos datas privées de notre banque on les aura de manière incomplète et incompréhensible 3 mois après), mais ça ne change rien.  

Cette ouverture est faussée car elle ne donne pas le choix à l'internaute de refuser le ciblage et la publicité car il y sera exposé automatiquement. Est-ce plus judicieux pour un utilisateur de compléter ce profil ou au contraire de le dénaturer ? 

Arnaud Auger : Non, il n'est pas judicieux selon moi de vouloir "dénaturer"  son profil et ce, pour 2 raisons : la première, c'est qu'en vous inscrivant vous avez donné votre accord aux règles générales d'utilisation qui stipulent que vous n'avez pas le droit d'entrer de fausses informations vous concernant. La deuxième, plus pragmatique, est que vous aurez de toutes façons des publicités, autant avoir des publicités qui peuvent vous intéresser, pertinentes pour vous.

Cyril Rimbaud : Tout à fait vrai. L'utilisateur peut modifier les quelques données personnelles que le service s'autorise à lui dévoiler. Mais cette question pose une autre question, celle de la maturité de l'internaute. 

L'internaute malin possède (au moins) 2 navigateurs. L'un qu'il sait infesté par les publicités, les adwares, connecté à ses profils G+ et Facebook. Et l'autre avec Adblock, Ghostery et sans aucune connexion à ces réseaux. 
D'un côté il aura un outil web bourré de pub, et de l'autre il gardera l'esprit Internet en naviguant. A lui de comparer les 2 navigateurs quand il va acheter quelque chose pour éviter du Yield Management basé sur le besoin.
L'internet peu mature va, lui, être soumis à une grosse pression publicitaire (désagréable, mais c'est subjectif), à des annonces permanentes, à du retargeting nocif, et à du Yield Management a priori (le voyage que vous recherchez absolument sera forcément plus cher que les autres).

Ils ont également la liberté de refuser certaines publicités par le biais du bouton "opt-out" mais le chemin est tumultueux car il faut renouveler l'opération à chaque changement de navigateur et/ou d'équipement électronique. Au final, l'utilisateur n'est-il pas constamment  pris dans le piège ? 

Arnaud Auger : Je ne crois pas que l'utilisateur soit "pris au piège". Premièrement, je ne trouve pas les opt-out si tumultueux, et si, les choix dans Facebook ou Google (via la connexion Gmail) sont attachés au profil et sont donc pris en compte sur tous les dispositifs techniques de connexion (même si chacun à ses spécificités). Deuxièmement, ces plateformes mettent à disposition de tous ceux qui veulent s'y inscrire des règles d'utilisation, il n'y a pas de piège. Si vous ne voulez pas que vos données soient utilisées, il ne faut pas utiiser ces plateformes, de la même manière que si vous voulez doubler par la droite, il ne faut pas utiliser les routes françaises qui soumettent les conducteurs au code de la route. 

Après, il est vrai que Facebook ou Google doivent aussi bien se conformer aux lois en matière d'informatique et liberté qu'imposent aussi les États. On ne peut pas exiger de ses membres qu'ils respectent des règles et soi-même ne pas respecter les règles qu'imposent les États. Le piège est plus là étant donné la puissance qu'acquièrent ces groupes multi-milliardaires en dollars et en utilisateurs. Mine de rien, la Chine montre qu'un État, même s'il n'est pas des moindres, peut encore affirmer son autorité face à ces géants du web. Et ensuite, il ne faut pas oublier que le pouvoir revient aussi à chaque utilisateur même si pour chacun d'entre nous, il peut paraître difficile de se passer de Facebook ou Google.

Cyril Rimbaud :Bienvenue au 21e siècle !

J'ai donné la réponse plus haut. Il y aura les internautes malins (ou matures) et les autres. Un peu comme dans la vie offline finalement. Il y a ceux qui arrivent toujours à avoir des offres pas chères et ceux qui lisent le spam de leur boite aux lettres. 

A l'heure où les internautes sont de plus en plus conscients que la gratuité est au prix de leurs données engendrant à une méfiance croissante vis-à-vis des rois du web, la démarche de Facebook n'est-elle pas une offense supplémentaire et inquiétante ? 

Arnaud Auger : Au contraire, Facebook comme je le disais a bien compris les risque de cette méfiance croissante et essaie d'y apporter malgré tout des réponses. J'expliquais dans mon livre, Facebook Marketing (éditions Pearson), que contrairement à ce que prétendent les textes de Facebook (notamment les Conditions Générales d'Utilisation), la plateforme n'est pas neutre dans le rapport qu'elle instaure entre les utilisateurs et les marques mais beaucoup plus "brand-friendly", construite au profit des marques (pour faire des profits), ne serait que dans le fait qu'il existe un bouton "J'aime" mais pas de bouton "Je n'aime pas" sur les pages de marques. C'est toujours vrai mais des changements comme ceux annoncés au dernier F8 (conférence organisée par Facebook pour les développeurs d'applications utilisant ses technologies), montre quand même que Facebook veut un peu plus rééquilibrer la balance (par exemple en permettant aux utilisateurs de se connecter de manière anonymes aux applications ou de choisir option par option les données transmises).

Cyril Rimbaud : On peut dire que la propriété (et la valeur) de ses données personnelles est un sujet plus qu'actualité. Pendant que certains font des claquettes inutiles avec des lois comme Hadopi, des entreprises étrangères ont acquis (volées ?) ces informations de valeur sans contreparties et sans régulation légale ou financière.

"Mes données personnelles m'appartiennent-elles ?" est donc une problématique fondamentales. Il y a bien quelques rares chercheurs qui travaillent sur ce sujet. Mais il s'agit dans l'ensemble d'un débat oublié par les médias et politiques trop occupés à servir la soupe à Zuckerberg et Google.

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