Tout ce que les chiffres ne nous disent pas sur la réalité de la productivité française<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour une heure de travail en France, le PIB équivaut à 59.3 USD, contre 58.5 en Allemagne, ou encore 50 en Espagne.
Pour une heure de travail en France, le PIB équivaut à 59.3 USD, contre 58.5 en Allemagne, ou encore 50 en Espagne.
©Reuters

Bêtes et méchants

Un classement international classe la France en queue de peloton pour la compétitivité, et la faible hausse de la productivité dans le pays. Une analyse simpliste qui omet de prendre en compte de nombreux facteurs (et pas que pour la France).

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le vendredi 25 avril, le Boston Consulting Group (BCG) publiait une étude consacrée à l’analyse des 25 premiers pays exportateurs, afin de dresser un bilan général de « compétitivité ». Sans surprise, La France ne ressort pas bien classée et doit se contenter de la 23e place, juste devant l’Australie et la Suisse. Dans un classement qui fait la part belle aux Etats-Unis et au Mexique, pays étant parvenus à améliorer leur position mondiale, le constat peut sembler alarmant. Et les commentaires ne se sont pas privés pour pointer les défaillances françaises en la matière : compétitivité, productivité sont en bernes. Pourtant, et bien qu’il soit aisé de critiquer la situation de la France, les arguments déployés sont ici bien fragiles.

Compétitivité

La notion de compétitivité appliquée à un pays, afin de le comparer avec d’autres, n’est rien d’autre que la transposition d’une notion habituellement réservée aux entreprises et appliquée à la dimension d’un état. Pourtant, une telle analogie est bien plus une source d’erreurs de jugement qu’un juste étalonnage. En effet, alors qu’il est aisé de se rendre compte si une entreprise est compétitive par rapport à une autre, la dimension de l’Etat pose un problème supplémentaire. Car un Etat n’est pas une entreprise et l’exemple de la France est édifiant. Le PIB français est en effet composé de 27% d’exportations, pour 29% d’importations, le solde représente le déficit commercial de la France pour un montant compris entre 2 à 3% du PIB. Ces chiffres nous indiquent que si la France devait être gérée comme une entreprise, l’entrepreneur à ses commandes devra prendre en compte un point nouveau pour lui : 70% de ses clients sont ses employés. Et cela change massivement l’approche qui doit être menée. Car dans de telles conditions, baisser les salaires ne semble plus une idée si géniale que ça. Cela ne signifie rien d’autre que l’appauvrissement de ses clients.

Malgré la mondialisation, les grands pays industriels ne sont pas pour autant des économies grandes ouvertes vers l’exportation. Les Etats-Unis, malgré leur bon positionnement, n’exportent que 14% de leur PIB, soit moitié moins que la France. La problématique des « salariés-clients » est donc encore bien plus forte ici. La Chine n’exporte quant à elle que 27% de son PIB, ce qui vient encore amoindrir l’idée d’une mondialisation totale menée par ce pays. Par contre, un grand pays européen semble bien tourné vers les exportations : l’Allemagne, qui consacre de son côté plus de 50% de son PIB vers les exportations. De ce fait, l’intérêt allemand repose bien plus sur les clients extérieurs, que sur ses « salariés-clients » intérieurs. Les approches sont donc opposées et il est un fait que l’économie allemande dépend avant tout de clients dont elle ne maîtrise rien. Au contraire des Etats-Unis, par exemple.

Le rapport du BCG met en évidence les qualités de compétitivité de certains pays : l’Indonésie, l’Inde, la Thaïlande, le Mexique, ou la Chine qui occupent les 5 premières places du classement. De l’autre côté du spectre, la Suisse, la France et l’Australie ferment la marche. Ce qui ressort en premier lieu de ce constat est que les pays les plus compétitifs ne semblent pas être les pays ou le niveau de vie est le plus élevé. Que la Suisse ferme la marche malgré un niveau de vie parmi les plus élevés au monde devrait interpeler quant à la pertinence de la critique faite. La compétitivité, et donc la capacité à exporter toujours plus, est-elle réellement le signe d’une bonne santé économique ? La réalité penche plutôt dans le sens inverse. Si tel était le cas, comment serait-il possible de constater que les Etats-Unis n’ont pas connu un excédent commercial depuis 1975 ? Que le Japon ait été en excédent tout au long de ses 20 années de crise ? Parce que la balance commerciale d’un Etat ne nous dit rien de l’état d’une économie. Si l’objectif de quelques pays est de briller sur ses exportations, il n’est inutile de rappeler que c’est bien plus l’élévation du niveau de vie qui a de l’importance. 

Productivité

Le rapport produit par le BCG a pu donner lieu à quelques commentaires bien sentis sur le niveau de la productivité française, pointant par exemple l’exceptionnelle avancée de l’Espagne dans ce domaine (+23% pour l’Espagne selon le rapport, contre +5% pour la France).  La France serait donc « vraiment trop nulle ». Il est vrai que l’Espagne est parvenue à accroître sa productivité au cours des dernières années, et ce notamment grâce à un taux de chômage qui dépasse les 27%, soit un niveau plus haut que les Etats-Unis des années 30. L’explosion du chômage espagnol a permis de « sortir » les personnes les moins productives de l’économie, offrant alors au pays « l’exceptionnel » avantage accroître sa productivité : le rendement est meilleur maintenant. La France devrait donc s’inspirer de cette belle recette ? Malgré un taux de chômage très élevée en France, il est avéré que les entreprises n’ont pas licencié autant qu’elles auraient pu le faire au regard des conditions économiques qui frappaient le pays. Ce qui a eu pour effet de voir la productivité française peiner un peu face à ses « concurrents ».

Une situation qui s’observe très bien dans le graphique ci-dessous. La productivité française progresse plus rapidement que celle de l’Espagne entre 2004 et 2007. Ensuite, la force du chômage en Espagne conduit à une belle progression de la productivité. Ce qui s’appelle un trompe l’œil quant à la situation réelle du pays.

Productivité Horaire France –Espagne 2004-2011

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Et malgré cela, selon les données fournies pour l’année 2012 par l’OCDE, la France n’a pas l’air si mauvaise. Une heure de travail en France est encore plus productive qu’en Allemagne. Pour une heure de travail en France, le PIB (calculé ici en dollar) équivaut à 59.3 USD, contre 58.5 en Allemagne, ou encore 50 en Espagne. (Soit un avantage encore supérieur de 20% par rapport aux espagnols). Malgré le tassement, la France reste au premier plan dans ce domaine. Il est alors régulièrement invoqué que les Français travaillent moins que les autres. La réalité est que les salariés français travaillent 1479 heures par année, contre 1393 en Allemagne, soit un différentiel de 6% en faveur de la France.   

Si la France veut améliorer sa « compétitivité », ce n’est pas en licenciant ou en baissant les salaires qu’elle y parviendra. Il s’agit avant tout de mener une politique de croissance qui sera seule à même d’inciter les entreprises à investir de façon massive dans l’appareil productif, de renforcer l’innovation, pour au final permettre de satisfaire la clientèle locale (les clients-salariés). Il s’agit d’une politique de plein emploi. Ce qui n’est en rien une utopie ou un vœu pieu, il ne s’agit que d’un choix politique. En retrouvant le plein emploi, la France pourra se permettre de réduire le niveau de son Etat providence, se débarrasser de ses contraintes fiscales, et enfin faire de ce pays un compétiteur international.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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