Elections algériennes : qui dirige vraiment l’Algérie ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Abdelaziz Bouteflika est favori à sa propre succession
Abdelaziz Bouteflika est favori à sa propre succession
©REUTERS/Francois Lenoir

En catimini

Les Algériens sont appelés aux urnes le 17 avril pour élire leur président au cours d’un scrutin a priori sans surprise, Abdelaziz Bouteflika apparaissant comme le grand favori malgré ses ennuis de santé. L'occasion tout de même de faire un tour d'horizon des forces politiques en présence dans le pays.

La campagne électorale pour les présidentielles algériennes, qui vient de toucher à sa fin, n’est guère prise au sérieux de la part de l’écrasante majorité du « peuple », qui sait que les jeux sont déjà faits à l’avance, que les dés sont jetés : Bouteflika se re-conduira ou se fera reconduire à la tête de l’Etat le 17 avril prochain… Le peuple sait que les enjeux essentiels de cette campagne qui met pour l’essentiel aux prises deux candidats, Bouteflika et son détracteur, Benflis, ne visent pas le relèvement politique et moral de la nation algérienne, mais visent à satisfaire les ambitions personnelles des compétiteurs en lice : la prise du pouvoir par les urnes, même truquées…

L’armée et ses services de sécurité

D’aucuns se posent, tant en Algérie même qu’à l’extérieur, la question de savoir qui préside au destin de l’Algérie, du pouvoir civil ou militaire, et que d’aucuns aussi se perdent à ce propos en conjecture. Pour ma part, il ne fait point de doute que l’armée et ses services de sécurité constituent le pilier du pouvoir en Algérie, et les uniformes civils qu’ils placent à la tête des institutions ne sont que les paravents qui donnent l’impression trompeuse d’un pouvoir civil autonome et souverain, alors qu’en vérité toutes ces figures pâles et pâlissantes de civils ne sont rien de moins que des créatures hétéronomes, lâches et pusillanimes ; qui font plus preuve de servilité et d’allégeance envers ceux qui les ont « pistonnés » et placés ainsi à la tête des institutions que de manifestation d’allégeance et d’amour pour leur pays, pour son développement, pour sa prospérité et pour son autonomie par rapport l’étranger….

Les ex-présidents algériens, du général Zéroual à Bouteflika, ont été tous cooptés et propulsés à la tête de l’Etat par l’armée. Bouteflika lui-même, qui focalise aujourd’hui le mécontentement de bon nombre d’officiers et de simples soldats, a été arraché à son exil doré du Golfe Arabique et imposé comme président sous le couvert d’une élection mascarade. Boudiaf, avant lui, fut extrait pareillement par l’armé de son long exil marocain, et placé à la tête du Haut Comité d’Etat (HCE), suite à la vacance de pouvoir créée par la déposition en janvier 1992 du président Chadli, lui-même issu de l’armée, qui l’avait imposé comme président, suite au décès du colonel-président Boumediene, survenu le 28 décembre 1978, et auteur principal du coup d’Etat militaire du 19 juin 1965 qui renversa Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante, et premier président civil consacré comme tel par les urnes…

Certes, la France et l’Egypte nassérienne étaient pour beaucoup, et chacune à sa manière propre, dans l’élévation de cet homme démagogique et brouillon qu’était Ben Bella à la tête de l’Etat algérien indépendant….Mais là, n’est pas l’objet essentiel de notre propos. Notre propos, c’est qu’en Algérie, l’armée est tout, le civil est rien ; elle est le cerveau et le système nerveux de la nation, et de l’Etat. Elle tient ce privilège de détenir le pouvoir réel de l’héritage de la Révolution qui faisait que les politiques devaient s’éclipser devant les casquettes, et le Congrès de la Soumam, tenu en Kabylie le 20 août 1956, qui n’avait pas réussi malgré le vœu de ses instigateurs, à imposer la primauté du politique sur le militaire, et l’intérieur sur l’extérieur, devait laisser le champ libre à tous ceux qui voyaient en la force brute le salut de l’Algérie future….

Le chef de l’état-major des frontières, qu’était alors le colonel Boumediene, avait constitué très tôt une armée puissante aux confins des frontières du pays en guerre contre la France dans la perspective justement d’imposer, une fois l’indépendance acquise, un régime militaire, et le coup d’Etat fomenté par celui-ci contre le Gouvernement Provisoire de La République Algérienne (GPRA) en était l’illustration des plus évidentes….

Les héritiers du FLN à l'époque du Parti Unique

La seconde force qui a toujours servi de facteurs matériels d’appoint à l’armée tout en partageant avec elle certaines parcelles du pouvoir politique, idéologique et économique, c’est bien le FLN et ses milliers de partisans dont l’adhésion à l’idéal ou à l’idéologie dont il se recommande a toujours été commandée par des intérêts bassement matériels. Le FLN fonctionne depuis le 19 mars 1962 (date du cessez-le-feu) sur le mode d’attraction/répulsion. D’un côté, il attire les opportunistes de tout acabit, les faux combattants et les faux nationalistes : ceux qui n’ont jamais tiré une seule balle contre le colonisateur mais qui, dès le cessez-le feu, se mirent à faire allégeance au FLN historique, à l’applaudir et à l’encenser pour mieux obtenir sa protection ou ses bonnes grâces ; de l’autre, il repousse tous les gens honnêtes, et parmi ceux-ci, les vrais militants de l’indépendance, et pour qui celle-ci seule constituait leur récompense et la gratification attendues ; ils n’attendaient pas de l’indépendance des gratifications matérielles ou symboliques, mais le règne de la justice et de l’équité pour tous… Ceux-là, ils furent déçus et dépités, et finirent de ce fait, de se replier sur eux-mêmes….

Or, les héritiers du FLN, ce ne sont pas les premiers hommes de la Révolution, mais les parvenus : les martiens, les appelle-t-on. A ces martiens se sont joints une faune de trafiquants, de faux-patriotes, d’affairistes véreux, d’aigrefins, d’assoiffés de richesse et de pouvoir et qui ont fini par phagocyter le FLN de la première heure en faisant disperser et marginaliser ses composantes les plus intègres et les moins entachées d’ « impureté » ou de « souillure ».
C’est ce FLN recomposé, décadent, qui a été jusqu’ici partie prenante du régime algérien, et l’une de ses ossatures principales. Malgré sa décomposition en trois fractions quasi antagoniques ( redresseurs ou rénovateurs, les pro Bouteflika et les partisans de Benflis…), il demeure pourtant un des soutiens à ce régime politique dont le caractère hybride, atypique, échappe à toute analyse rationnelle….
En effet, et depuis le Congrès dit de « redressement » réuni en 2005, le FLN n’a cessé de traverser des crises internes qui ont fini d’avoir raison de sa « cohésion » interne. Cette cohésion a été mise à mal par le coup de force fomenté par l’homme lige du président Bouteflika, Abdelaziz Belkhadem, contre Ali Benflis, et auparavant contre Abdelhamid Mehri…

Les redresseurs du FLN

Cornaqué par un ancien cacique du FLN, Abderahmane Belayat, les redresseurs du FLN sont des dissidents du vieux parti et prétendent le réformer ou l’expurger des éléments « corrompus ». Tantôt ils célèbrent les vertus « éthiques » de ce barbu islamo-FLN qu'est Abdelaziz Belkhadem, conseiller et porte parole de Bouteflika, renvoyé puis rappelé in extremis auprès de ce dernier, tantôt ils s’y opposent. Ces redresseurs, notamment leur chef de file, reprochent souvent au comité central de ce parti d’avoir ouvert la porte à un « grand nombre de repris de justice [ et] qui, plus est, n’ont jamais été militants au FLN » , repris de justice qui auraient été « sollicités par Abdelaziz Belkhadem pour lui permettre d’accaparer le poste de secrétaire général. » C’est du moins ce qu’affirment les détracteurs de ce « valet du président », et parmi ceux-ci figurent en tête deux autres figures de proue du Mouvement de redressement et de l’authenticité du FLN et que sont Belayat et Abderahim Guehria.

Cette faction du FLN en révolte s’oppose à une autre, celle représentée par Amar Saïdani et qui apporte son soutien indéfectible au quatrième mandat du président. Dénonçant, dès sa prise de fonction en qualité de secrétaire général de cette partie du FLN ralliée au chef de l’Etat, Saïdani que les algériens appellent péjorativement le meddah , s’en est pris très violemment au Chef du DRS ( services secrets de l’armée ) l’accusant de tous les maux dont souffre l’Algérie. Et prenant à témoins les Algériens, ce Saïdani déclare : « Si jamais je suis assassiné, tout le monde devra savoir que l’auteur de cet acte ne pourra être que le général Toufik ! » Cette grave accusation qui a été perçue par tous ou presque comme une atteinte gravissime à la cohésion de l’armé n’a été réprouvé par le président de la République que quelques jours après…

Alors que ce Saïdani est un homme notoirement corrompu, bien qu’il fût le président de l’Assemblée Nationale censée produire des lois contre la dilapidation des deniers public, il accuse sans l’ombre de preuve le Chef du DRS ( Département Recherche Sécurité) d’être un dictateur, oubliant que la dictature du FLN et des civils détenteurs de hautes fonctions est bien pire que celle des militaires, et qu’en matière de corruption économique et de prédation de toutes sortes, ils n’ont rien à envier aux militaires qui sont bien loin d’être tous corrompus.
Désavoué par tous, y compris par le président Bouteflika, ce nouveau secrétaire du FLN, qui fut d’ailleurs imposé par l’entourage du raïs à la tête de cette instance, n’est aujourd’hui qu’un homme en déréliction, abandonné presque par tous, sauf par les puissants réseaux de corruption auxquels il est relié depuis belle lurette…

L'oligarchie politico-financière

Plus que l’armée et ses services de sécurité accusés parfois à tort, et parfois de manière trop exagérée, d’être la principale source de corruption, l’oligarchie politico-financière est constituée d’une maffia d’affairistes civils qui a su tisser des réseaux tentaculaires nationaux et transnationaux, et qui échappe au contrôle de l’Etat, de l’armée et de ses services de sécurité. On parle ici de l’existence du « Général Sucre », du Général « Médicament », et du Général import/export de céréales, etc., mais ces généraux, ne représentent qu’une infime minorité par rapport aux milliers d’affairistes issus de la société civile et qui brassent des milliards d’affaires, qui s’adonnent à des trafics en tous genres, tels la contrebande, la drogue, les pots -de –vins ; la concussion, les commissions des marchés, le détournement des deniers publics par le jeu des écritures comptables, la surfacturation des achats et des équipements. Cette mafia civile a une voix au chapitre en matière de politique économique et participe dans une large mesure, même de façon indirecte, aux prises de décision politique. Elle influe de manière décisive sur les choix et les orientations de l’Etat dont elle noie les structures et pèse d’un poids très lourd sur la marche des affaires et de la gouvernance.

Cette oligarchie politico-financière ne mène pas une vie autarcique ; elle est au contraire immergée dans la société et reliée aux autres forces politique économique, sociale et administrative du pays, et avec lesquelles elle entretient un commerce permanent. Les entreprises d’Etat constituent pour la plupart une aubaine, une source d’enrichissement pour les détenteurs de poste de responsabilité dont beaucoup édifient en un laps de temps très court des fortunes colossales, grâce aux commissions de marchés dont le taux exigé, tant interne qu’externe , est anormalement élevé, et c’est ce taux qui dépasse au loin les normes internationales, qui a permet la constitution d’une mafia algérienne à la fois arrogante et ostentatoire….

Ce qu’il est convenu d’appeler en Algérie « les décideurs », ce sont justement ces forces conjuguées de l’armée, des services de sécurité, du FLN, des partis politiques crées par les appareils administratifs, de la mafia civile, etc.

En dépit de sa puissance réelle, de la cohérence de son organisation interne, de l’efficacité indéniable de ses divers services de sécurité, l’armée ne gouverne pas toute seule l’Algérie, contrairement à des idées reçues ; elle se fait assistée dans ses diverses missions non seulement par les forces déjà citées, mais aussi par de larges pans de la société civile qui lui prête main forte. La corruption qui gangrène tous les compartiments de l’Etat ou presque, et qui affecte aussi la population, ne diminue en rien paradoxalement chez les Algériens le sentiment patriotique, les réflexes grégaires et tribaux de solidarité « mécanique » entre les membres des groupes associés.

Enfin, malgré l’opposition d’une grande partie de la population au quatrième mandat, l’on craint par-dessus tout le spectre de la guerre civile et c’est pourquoi on est prêt à faire des concessions déchirantes plutôt que de renouer avec les démons de la décennie noire… Si, après le 17 avril, il pourrait y avoir de fortes tensions induites par les déboires des déçus et des vaincus, suivies d’escarmouches, il n’y aurait pas dans tous les cas ce « printemps arabe » dont beaucoup de romantiques rêvent en Algérie…

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