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Les familles des djihadistes français interpellent l’Etat... et oublient de s’adresser aux responsables religieux musulmans
©Reuters

Il faut raison garder

Plusieurs familles de jeunes djihadistes français ont appelé jeudi le gouvernement à agir en matière de prévention. Mais n'est-il pas un peu facile de fait de se retourner contre l’Etat en considérant ceux qui partent pour le djihad uniquement comme des victimes ?

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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La question des djihadistes français partis en Syrie a fait l‘actualité en début d'année avec la mise en examen de deux adolescents toulousains en partance pour combattre les forces de Bachar al Assad. Plusieurs familles de jeunes Français partis faire le djihad ont appelé le gouvernement à agir davantage en matière de prévention pour mettre à mal le système d'endoctrinement et enrayer l'exode des candidats à la Guerre sainte. Ce sont quelques 250 Français ou étrangers résidant habituellement en France qui se trouvaient en Syrie en ce début d’année, selon le ministère de l'Intérieur. Une vingtaine d’autres y auraient trouvé la mort. Face à ce phénomène, un plan de lutte contre les filières qui les acheminent en Syrie a été adopté fin mars. Une initiative qui a été jugée « insuffisante » pour des familles de djihadistes qui réclament ce qu’elles appellent une "action politique forte" de l'Etat.

Ces familles réunies à Paris ont lancé une pétition nationale intitulée "Rendez-nous nos enfants" et réclament la mise en place d'un dispositif de prévention et d'alerte et un accompagnement pour les familles de djihadistes. On peut entendre la détresse de ces familles et comprendre leur demande, mais cette démarche est-elle bien la seule et la bonne ? "Quand un enfant est déjà embrigadé, sachez que le taux de réussite est très très faible, c'est uniquement en amont qu'on peut éviter les basculements, ça il faut que (les autorités) en aient conscience", souligne Dounia Bouzar, fondatrice du Centre pour la prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) et à l'origine de la pétition. Mais précisément, de quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la prévention ? Il ne s’agirait selon elle que de "Mettre des indicateurs d'alerte en place », ce qu’elle appelle un "travail d'experts", proposant de partager les indicateurs d'alerte entre "enseignants, éducateurs, imams, et policiers". La parade en matière de prévention se résumeraient-elles à financer l’expertise d’un cabinet conseil, véritable sauveur suprême ici, face à ce phénomène gravissime ?

Dans un entretien à Reuters mi-février, le juge antiterroriste Marc Trévidic faisait état d'une accélération de l'exode des jeunes Français pour la Syrie avec le retour d'une première génération qui travaillerait à l’embrigadement autour d’eux.

Le fait de se retourner contre l’Etat en considérant ceux qui partent pour le djihad uniquement comme des victimes, ne serait-ce pas ici comme outrepasser la raison ? Pour s’en convaincre, il suffit déjà de se référer à des affaires récentes d’anciens djihadistes mêlés à des risques d’attentats en France. Aussi faudrait-il peut-être arrêter avec cette sorte d’angélisme qui n’aide pas à une réflexion plus approfondie sur le sujet. Il en va de même du désarroi et de la confusion qui règne sur les responsabilités de chacun, avec pour traduction, la croyance que ce soit à l’Etat et à lui seul, auquel revienne de trouver toutes les solutions. Même si l’Etat français peut intervenir financièrement ou diplomatiquement, ce qu’il a d’ailleurs déjà fait, la chose apparait bien plus complexe que de se résumer à une pétition l’interpellant, rejetant sur la collectivité une responsabilité qui doit être regardée de près.

"Je n'ai rien contre la religion de l'islam", a expliqué la mère de Nicolas Bons, djihadiste français. "Quand mon fils s'est converti, j'ai vu que ça lui apportait de bonnes choses, c'est ce qu'on fait par la suite qui est grave. Il faudrait trouver qui fait ça et arrêter le massacre." Un témoignage dont la candeur peut questionner, à la hauteur de ce que l’on oublie semble-t-il d’essentiel dans cette situation. Tout simplement, ce qui revient de responsabilité à un contexte religieux et à la façon dont il peut être plus ou moins favorable à ces faits. Ne doit-on pas tout de même se poser certaines questions ? Le djihad, la Guerre sainte, ne fait-elle pas partie des fondamentaux de l’islam ? Dans tous les pays musulmans en guerre, y compris pour le Hamas en Palestine adulé par les jeunes musulmans en France, la Guerre sainte est une référence consubstantielle de leur croyance religieuse qui fonde leur engagement politique. C’est un véritable modèle pour des millions et des millions de musulmans qui n’épargne pas une partie de la jeunesse qui se réclame dans notre pays de l’islam.

L’islam qui veut dire soumission, s’abandonner à, demande un engagement total qui recouvre aussi une fonction politique, qui se dit universel dans le sens où il n’y a pas de limite de nation ou de différence entre les peuples à son influence. Tout et tous doivent se mettre sous l’autorité de ce dieu qui se dit l’unique et l’absolu, entend tout régenter rejetant la différenciation entre le temporel et le spirituel, condamne à la mort l’apostat (celui qui veut changer de religion) et le mécréant (l’incroyant) de la même façon. Il n’y aurait ici aucune réflexion à avoir sur ce sujet ? Il n’y aurait aucune mise en garde à faire à l’encontre d’une lecture littérale des textes religieux ? Dans ces circonstances on n’entend aucune voix officielle de cette religion exprimer une nécessaire modernisation de celle-ci dans le sens d’une modération, bien au contraire. On assiste en réalité à des tensions avec la société française en raison de la multiplication de revendications communautaires à caractère religieux qui viennent de musulmans, signifiant un refus de pratiquants de cette religion de s’adapter à notre République mais plutôt qu’elle s’adapte à elle.

Pour Dounia Bouzar : "Il faut qu'on arrête de banaliser des comportements de rupture en pensant que ce sont des comportements religieux." Mis est-ce bien sérieux ? Car, pourtant, ne s’agit-il pas de jeunes pratiquants musulmans qui ont dérivé, parce que leur religion appelle au djihad, parce qu’un cadre d’affirmation identitaire autour de l’islam est de plus en plus prégnant  et résistant à se mettre en cause pour évoluer ? Qu’est-ce donc à dire, que d’opposer ainsi des « comportements de rupture » de ces jeunes djihadistes qui seraient à réprimer, avec les « comportement religieux » qui eux seraient exempts de tout risque ? N’y aurait-il vraiment aucune continuité entre les deux ? Développer une telle thèse, c’est refuser de voir l’évidence ! Il existe en France une ghettoïsation religieuse qui est un véritable problème au regard d’une radicalisation qui va avec l’enfermement et la rupture avec la société.

Non que tous les musulmans puissent être des djihadistes en puissance, mais il est un fait qui veut que pour une part, les motivations de ces candidats djihadistes trouvent leurs causes dans une religion déterminée, dans une situation aussi d’adhésion de nombreux musulmans à des conflits armés internationaux où l’islam en tant que telle est engagé, aussi relativement à une situation en France de montée en puissance depuis des années de revendications communautaires et ce, sous le signe d’une communautarisation qui se constitue sur le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance qui s’affirme et s’étend, renvoyant les autres à l’impur.

Cet islam intégriste et radical marginal n’est pas à part de circonstances propres à une partie croissante de l’islam y compris en France, qui procède d’un rejet des valeurs occidentales qui ont accompagné l’émancipation des individus et particulièrement des femmes, d’un mouvement de séparation de musulmans adoptant des signes religieux ostensibles marquant leur séparation des autres. Ils sont de plus en plus nombreux à s’engager dans cette voie, particulièrement signifiée par la revendication du voile à l’école ou par ces mères entendant imposer le port du voile lors des sorties scolaires pourtant s’inscrivant bien dans les activités du service public de l’école, à travers le refus de femmes musulmanes à l’hôpital  d’être soignées par des hommes, dans l’entreprise où on voit apparaitre des comportement d’hommes qui refusent de serrer la main des femmes pour motifs religieux, et jusque dans les établissements associatifs telles les crèches, comme le cas Baby Loup l’a révélé en ignorant le respect dû aux enfants dont la prise en charge collective ne peut être que neutre… On peut d’ailleurs se questionner sous ce jour sur le fait que Mme Bouzar, qui est à la pointe de ces revendications et du combat en faveur des accommodements dits « raisonnables », soit bien meilleure porte-parole pour ces familles.

Lorsque le Conseil français du culte musulman porte plainte pour délit de blasphème, contre le journal Charlie Hebdo pour la publication de caricatures humoristiques sur le prophète, c’est la liberté de pensée et la démocratie mêmes qui se trouvent attaquées, une intolérance évidente qui ne va pas dans le sens de la moindre des modérations. Lorsqu’il est contre une loi interdisant le port du voile intégral pourtant caractéristique d’une dérive intégriste qui est celle du Salafisme, suivi en cela de façon malencontreuse par l’Assemblée plénière de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)  s’opposant aussi à cette interdiction (21 janvier 2010), c’est encore une autre voie d’eau ouverte. Encore, lorsque le CFCM critique la Charte de la laïcité à l’école, parce que pressentie comme risquant de stigmatiser les musulmans par sa simple existence de façon complètement paranoïaque, on croit cauchemarder. Quel très mauvais exemple donné à toute une jeunesse. Par ailleurs, l’inquiétude grandit encore lorsque ce sont des avocats représentant la mosquée de Lyon et la mosquée de Paris, qui expliquent dans un ouvrage sur le thème « Droit et religion musulmane » publié avec officialité aux éditions Dalloz, que « le droit est sans prise sur la foi » (1) justifiant dans ce prolongement le rejet de la liberté de changer de religion inscrite à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est un encouragement à une conception de la foi qui rejette l’autorité de la loi et donc, les institutions Républicaines jusqu’aux instances internationales comme l’ONU.

Sans compter encore avec le fait que la moindre critique de l’islam se trouve immédiatement frappée de procès en « islamophobie », sorte d’instrument d’intimidation permanent qui nuit à un débat nécessaire sur la modernisation de l’islam et son intégration à la France républicaine.

Autant de choses qui ne sont certainement pas favorables à l’apaisement et peuvent même participer d’exacerber les passions pour favoriser certaines dérives. Il y aurait donc bien un contexte religieux et même idéologique à cette situation qui ne serait pas à négliger, même s’il ne représente qu’une part des choses ici.

Mme Dounia Bouzar fait partie des membres influents de l’Observatoire national de la laïcité. Cet observatoire qui, il y a peu, expliquait par la voix de son président, qu’il n’y avait aucun problème avec la laïcité en France... On peut voir combien cet Observatoire de la laïcité se met lui-même hors-jeu. L’étape préliminaire à tout travail sur le sujet passe par une reconnaissance d’une laïcité mise à mal par une tendance de plus en plus palpable de l’islam qui s’enferme en rejetant toute idée d’intégration qui comprend bien des risques, non seulement de fractures en France mais aussi, par les mises à part qu’il opère, de la création d’un terreau à la dérive intégriste. Créer les conditions d’une séparation communautaire n’est-ce pas le premier pas vers le détachement des valeurs communes, du lien social, cet isolement dans la foi prenant le pas sur toute autre considération, qui peut conduire certains au pire ? D’ailleurs, ne pas attirer l’attention des musulmans eux-mêmes sur cet enjeu est une faute grave à leur égard, car c‘est les fragiliser à ne rien prévenir de ce côté en omettant d’en appeler à leur vigilance. N’est-ce pas justement ce que reflète le sentiment de ces familles qui disent n’avoir rien vu venir ?

S’il faut prendre la demande des familles de djihadistes au sérieux, il faut aussi prendre tout en compte.

Qu’il y a-t-il de plus favorable pour résister à la tentation de l’isolement que d’insister sur l’intégration sociale qui se réalise à travers l’idée que ce que l’on met en commun, la loi, la République, la démocratie, les libertés, constituent ce qui fait de nous des citoyens de la cité, valeur supérieure à nos particularismes lorsqu’il s’agit de faire société. C’est le préalable à toute cohésion sociale. C’est la meilleure des façons pour favoriser un mélange des populations qui casse l’isolement religieux et idéologique qui amène à la dérive radicale, un mélange qui doit continuer à faire une France riche de sa diversité parce que réunie et forte de principes communs valables et admis par tous. Il en va aussi de l’ensemble de ceux qui constituent notre communauté nationale et doivent prendre leurs responsabilités en sachant s’interroger sur le rapport entre leur foi et cette République qui est la leur.

« Il nous faut nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres voix que celle de la raison » (Primo Lévi)

1-    Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005, Pages 34 à 36.

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