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21 grammes pour le poids de l’âme : l’origine d’une rumeur
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Bonnes feuilles

Codes cachés, objets piégés, aliments contaminés... La vérité sur 50 légendes urbaines extravagantes. Extrait de "100% rumeurs", de Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard, © Editions Payot & Rivages (1/2).

L’âme de chaque être humain pèse-t-elle 21 grammes ? Cette assertion, à première vue surprenante, court sous forme de dicton depuis les années 1930.

Les expériences du docteur Duncan MacDougall

L’allégation se fonde sur des expériences du docteur américain Duncan MacDougall, publiées en 1907 dans le New York Times et la revue American Medicine. Postulant l’hypothèse de « la continuité personnelle après la mort du corps » et assurant que « les fonctions psychiques continuent à exister comme individualité distincte ou personnalité après la mort du cerveau et du corps », MacDougall en concluait « qu’il doit y avoir une substance inscrite dans l’espace comme base de cette continuité personnelle ». Il avait donc entrepris de la mesurer, pesant des corps avant puis après leur décès. Il conduisit l’expérience sur six personnes, mais ce n’est que sur la première qu’il trouva ce qu’il cherchait : une perte de poids immédiate coïncidant précisément avec le décès. Ce premier sujet perdit trois quarts d’once (soit 21,26 grammes selon les tables de conversion consultées en 2013).

Le tableau compilé par Géraldine Fabre en 2007 dans une publication sceptique sur le sujet est éloquent : les résultats des expériences de MacDougall présentent un échantillon si faible et des variations si importantes qu’ils n’ont aucune valeur scientifique et ne constituent qu’une curiosité.

Cependant, ces expériences continuent à être présentées et analysées. L’assertion selon laquelle l’âme humaine pèse 21 grammes circule toujours aujourd’hui. Pourquoi ? Comment expliquer cette surprenante durée ?

L’âme a-t-elle une place dans le monde de la science ?

Le site Snopes, spécialisé dans l’analyse critique des légendes urbaines, consacre une notice fort sévère à Mac- Dougall. En introduction, ce texte pose lucidement le dilemme persistant sur l’existence de l’âme qui explique l’étonnante continuité de l’assertion. Bien qu’elle occupe une place centrale dans maintes conceptions de la personne, l’âme (dont l’existence garantit que la mort n’est pas la fin mais une transformation de l’être) demeure invisible. « Si l’on pouvait prouver son existence, l’anxiété face à ce qui nous arrive au moment de la mort pourrait être surmontée. »

L’insatisfaction face à une approche purement matérialiste avait sous-tendu, au XIXe siècle, le développement des courants spiritualistes : spiritisme, théosophie, anthroposophie, etc. Des savants respectés, tels que l’Allemand Karl von Reichenbach (1788-1869) ou l’Anglais William Crookes (1832-1919), furent rejetés par leurs pairs pour avoir soutenu ces courants.

Reichenbach pour ses expériences avec des sujets sensibles et son développement du concept de la force odique universelle – dans la lignée du magnétisme animal postulé par Mesmer.

Crookes pour avoir conclu de ses expériences avec des médiums truqueurs à la réalité scientifiquement prouvée de toute une série de phénomènes paranormaux, mouvements induits à distance, changements de poids et de masse, lévitation, frappes sonores, apparition d’objets lumineux ou de fantômes, etc. À la fin de sa carrière Crookes ne cacha plus ses options et adhéra à la Society for Psychical Research, ainsi qu’à la Theosophical Society, mais aussi au plus militant et secret Ghost Club dont il fut président de 1907 à 1912.

Au-delà de ce débat, toujours existant au XXIe siècle, l’idée d’une mesure de l’âme, d’un poids de l’âme, continue d’intriguer et d’inspirer la création artistique. Ce sont ces créations que l’on va maintenant examiner.

La nouvelle de Maurois

En 1931, André Maurois (1885-1967) publie "Le Peseur d’âmes". Ce romancier, historien et biographe a également écrit plusieurs nouvelles fantastiques qui constituent aujourd’hui la partie la plus vivante de son oeuvre, dont des pans importants ont sombré dans l’oubli. Cette nouvelle de soixante-dix pages décrit des expériences proches de celles de MacDougall, mais qui bifurquent vite vers un éclairage aux rayons ultraviolets de la substance étudiée. Cela permet de mettre en évidence l’énergie vitale recueillie et de tenir sous cloche l’âme de ses sujets. Puis les expérimentateurs procèdent à l’union des énergies vitales de deux êtres ayant été proches dans la vie. Mais le dernier voeu du principal chercheur – être uni à l’énergie vitale de celle qu’il aime et a rejoint dans la mort – ne pourra être accompli.

Maurois évoque Reichenbach, créateur du concept de l’od, « fluide lumineux qui pénètre tout », et Crookes – qu’il orthographie Crooks et auquel il attribue des expériences de pesée de cadavres d’animaux indiquant une perte de substance que William Crookes n’a jamais réalisées.

L’événement poétique de Jean-Pierre Le Goff

Au début de l’an 2000, le chercheur des marges Jean- Pierre Le Goff organisa une de ces cérémonies poétiques et artistiques qu’il suscitait régulièrement avec un réseau choisi de correspondants parmi lesquels il faisait circuler des textes et qu’il convoquait pour des happenings précieux et subtils. Cette année-là parut son ouvrage qui récapitulait les principales étapes de la vie de ce réseau.

Nous étions en contact depuis quelques années avec Jean-Pierre Le Goff, ayant pu contribuer à l’orienter dans son enquête sur la destinée d’un récit de rêve prémonitoire à la fois légendaire et littéraire. Ce récit relatait comment une rêveuse récurrente découvre qu’elle est ellemême le fantôme qui hante la maison de son rêve. Le texte correspondant « À la lisière de la forêt de l’Isle-Adam » fut publié en 2001 dans la Nouvelle Revue française.

En 2000, il s’agissait d’accomplir un geste symbolique évoquant la légende des 21 grammes. Voici comment Jean-Pierre Le Goff annonçait l’événement, dans un texte toujours accessible sur le Net et demeuré inédit :

Je connais l’histoire depuis mon adolescence. L’ai-je lue ? L’ai-je entendue ? Je ne m’en souviens plus.

Un savant voulut un jour connaître le poids d’une âme. Il pesa un moribond à la dernière extrémité et, immédiatement, il le repesa après son dernier souffle. Il trouva une différence de 21 grammes en moins, qu’il attribua au poids de l’âme.

J’ai raconté plusieurs fois l’histoire et je l’ai aussi entendue. Parfois le nom du savant était donné, parfois le lieu était nommé, le poids changeait de temps en temps.

Je m’en tiendrai à 21 grammes. Je taillerai un crayon vert, jusqu’à ce que j’obtienne 21 grammes de copeaux. Je les mettrai dans un bocal à confiture sur lequel le contenu sera inscrit.

L’objet Le poids de l’âme sera exposé à la Galerie Satellite du 22 janvier au 26 février 2000, dans le cadre de l’exposition collective intitulée « 21 ».

Après ce happening poétique, Jean-Pierre Le Goff reprit l’enquête en 2003-2004. Il avait déjà repéré et lu la nouvelle d’André Maurois, mais, en 2003, il devint conscient de l’importance du thème des 21 grammes sur le Net qu’il commençait à utiliser et découvrit les expériences de MacDougall.

Le film d’Inárritu

En 2003, un regain d’intérêt fut suscité par la sortie du film américain d’Alejandro González Inárritu qui avait pour titre "21 Grammes". Talentueux et poétique, "21 Grammes" tournait autour des thèmes de la vengeance et du remords exposés dans une intrigue complexe aux multiples personnages dont les destins s’entrecroisent : « Un homme, ex-taulard, a versé dans la foi, il tue en voiture un père et ses deux filles, le cœur de la victime ira dans la poitrine d’un autre homme malade. Qui cherchera à qui appartenait ce muscle qui lui offre une seconde vie, celle qu’on n’a jamais. Et voudra aider la veuve à se venger. »

Le titre "21 Grammes" fut surtout utilisé pour la promotion publicitaire du film :

"On dit que nous perdons tous 21 grammes au moment précis de notre mort… Tous. 21 grammes… Le poids de cinq pièces de monnaie. Le poids d’une barre de chocolat. Le poids d’un colibri. On dit qu’on perd tous 21 grammes. Est-ce le poids de notre âme ? Est-ce le poids de la vie ?" (Bande-annonce du film 21 Grammes).

Cependant, les considérations sur l’âme occupent une place minimale dans l’oeuvre elle-même.

Le débat sur la place de l’âme dans un monde dominé par la science n’est pas clos. Il oppose les partisans de « la science », pour lesquels la notion d’âme est un scandale vivant, et ceux de la tradition et de la spiritualité, fermement attachés à la conception d’un esprit transcendant survivant à la mort. Ces derniers sont plus visibles aujourd’hui en cette époque de rejet de « la science ».

Un mouvement tel que celui des NDE (Near Death Experiences ou expériences de mort imminente) montre bien que la question du devenir de l’individu après la mort continue d’agiter les esprits. Sa popularité s’explique largement par les tensions persistantes que suscite ce débat entre matérialistes et spiritualistes. Cependant, si le mouvement des NDE génère de gros tirages et rassemble des passionnés, il ne saurait être décrit comme officiellement reconnu et se situe toujours dans les marges, comme le paranormal.

Suivant les pistes proposées par Jean-Bruno Renard en 2011 dans son analyse de l’extraordinaire, on situera le thème des 21 grammes dans le registre des croyances parareligieuses au paranormal, développées dans le cadre d’une religiosité diffuse non institutionnalisée dont les manifestations sont devenues plus visibles dans la société contemporaine.

Extrait de "100% rumeurs", de Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard,© Editions Payot & Rivages, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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