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La consommation hydraulique moyenne et quotidienne d'un américain s'élèverait à 98 litres.
La consommation hydraulique moyenne et quotidienne d'un américain s'élèverait à 98 litres.
©Reuters

Gaspillage ?

Qui dit consommation hydraulique pense à l'eau minérale et aux bains. Mais la cause principale de consommation d'eau est invisible : elle sert à cultiver et élever les animaux et végétaux qui se retrouveront dans notre assiette...

Franck Galland

Franck Galland

Franck Galland est l'un des meilleurs spécialistes français des questions liées à la géopolitique de l'eau. Il a publié L'eau : géopolitique, enjeux, stratégies, aux éditions du CNRS (2008). Il a créé en 2011 Environmental Emergency & Security Services, cabinet d’ingénierie-conseil dont la vocation est d’accompagner les opérateurs d'infrastructures critiques eau & énergie dans l’anticipation et la gestion de situations de crises dues à des catastrophes naturelles.

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Atlantico : La consommation hydraulique moyenne et quotidienne d'un américain s'élèverait à 98 litres. mais selon une récente étude, la plupart des consommateur n'ont aucune idée de leur consommation réelle (voir ici). Que dire des Français ? Combien consommons-nous quotidiennement ? Cette consommation varie-t-elle selon les régions ?

Franck Galland : Il est aujourd'hui estimé qu'en Occident 3 litres d'eau sont journellement nécessaires pour boire, 30 litres pour répondre à ses besoins d'hygiène, mais que 3000 litres sont un minimum nécessaires pour faire grandir les aliments qui se retrouvent dans l'assiette des consommateurs.

On peut donc estimer à 3000 litres d'eau par jour et par personne la consommation moyenne consacrée à la nourriture en Occident. Ainsi, un habitant des Etats-Unis utiliserait 5 400 litres pour ses besoins alimentaires journaliers, alors qu'une personne suivant un régime végétarien n'en demanderait que 2600 litres. 

En Europe Occidentale, comme en France et aux Etats-Unis, l'enjeu est ainsi de diminuer les ponctions que certaines formes d'agriculture et d'élevage continuent d'exercer sur les ressources en eau. Je pense notamment aux élevages bovins enfeed lots. Dans ces conditions, il est en effet estimé qu'il faut un minimum de 15000 litres d'eau pour produire un kilo de bœuf, tant les aliments qui sont destinés à ces animaux nourris en batterie consomment d'eau, beaucoup trop d'eau.

Avons-nous toujours eu le même rapport à l'eau ? Dans quelle mesure celui-ci a-t-il évolué, et comment ?

Notre rapport à l'eau va très sûrement continuer à évoluer favorablement, limitant nos usages domestiques par des mesures simples d'économie. Les volumes d’eau continuent du reste de baisser en France, avec une famille française qui en moyenne en consomme entre 30 et 35 m3 par an et par personne (mais en dehors de l’eau nécessaire à ses aliments qui est le vrai sujet).

Ainsi c'est surtout par la réforme des pratiques agricoles que l'eau pourra être économisée. Il est en effet urgent que des technologies d'irrigation intelligente soient étendues. C'est le pari que le Conseil d'Etat chinois a fait pour limiter la pression exercée par l'agriculture sur les ressources en eau de ce pays qui en manque considérablement.

L'agriculture chinoise, essentielle à l'alimentation de plus 1,3 milliards d'habitants en Chine, et qui consommera encore, en 2015, 57,5% des ressources en eau douce du pays, va ainsi devoir augmenter ses capacités de smart irrigation de 60% d'ici à  2030. En France, il va également falloir permettre aux agriculteurs irriguants de tester des pratiques de réutilisation des eaux usées dans certaines régions, qui sont régulièrement confrontées en période estivale à des manques d'eau. Je pense en particulier à un département comme la Vendée ou au grand sud-ouest de la France en général. Il va également falloir oser étudier de nouvelles technologies comme la recharge artificielle de nappes.

Dans les entreprises industrielles, une prise de conscience nouvelle incite également à limiter l'empreinte en eau des sites de production, comme le montrent par exemple des contrats gagnés par les grands opérateurs français, Veolia et Suez Environnement, pour auditer les consommations d'eau et les réduire (cf. contrats de Veolia auprès de Vallourec pour diminuer la consommation en eau des usines du groupe dans le monde).

En termes de données pratiques, quels sont les points à surveiller en priorité ? Comment gérer son eau ? Quid de la douche ou des toilettes ? Il s'agit sans doute d'aspects anodins, mais mis bout à bout peuvent-ils représenter une véritable économie ?

Diminuer la consommation d'eau domestique par ses gestes simples (éviter de tirer trop souvent la chasse d'eau, prendre des douches plutôt que des bains, …) doit également s'accompagner d'une vigilance permanente sur la qualité de l'eau distribuée. Les consommateurs doivent se sentir en permanence rassurés par les opérateurs, publics ou privés, qui les délivrent.

C'est l'un des enjeux de ce 21ème siècle pour la distribution d'eau potable dans les pays occidentaux, comme dans les pays émergents. De potentielles nouvelles menaces sanitaires se font en effet jour : rémanence de résidus médicamenteux après traitement des eaux résiduaires, eau impropre à la consommation suite à des incidents industriels ou à des pollutions diffuses et permanentes, actes malveillants et dégradations visant les installations, ...

C'est pourquoi les opérateurs doivent continuer de développer des réseaux de capteurs d'alerte en temps réel, ainsi que leurs capacités de réponse aux crises.

Au final, en termes de gestion de ses ressources, la France fait-elle figure de mauvais élève ? Qui sont les modèles sur lesquels nous pourrions nous baser ?

Mais, l'autre vrai sujet est effectivement la réduction des pertes en eau dans les réseaux. Les meilleurs réseaux au monde en terme de rendement, à savoir ceux qui fuient le moins, présentent des pertes de l'ordre de 5%. On est encore loin de ces chiffres dans l’Hexagone. Mais que dire de vraies situations révoltantes à l’étranger.

Quand la Libye achemine sur 3000 kms, à grands frais énergétiques, de l’eau prisonnière des nappes fossiles et pompée à très grande profondeur, cette eau rare (car non renouvelable) est gaspillée à 35% par une multitude de fuites dans les réseaux urbains des grandes villes côtières de Tripoli ou de Benghazi. Le chaos sécuritaire qui y règne n’arrange rien, naturellement, mais ces taux de fuite étaient déjà existants du temps de Kadhafi. Ainsi à Tripoli, il était estimé, en 2010, que chaque jour les pertes du réseau dans la capitale libyenne étaient de 170 000 m3/j ; soit la consommation journalière du double d’habitant d’une ville comme Marseille, si on prend pour base les 35 m3 d’eau consommés annuellement en moyenne par un individu.

Le gâchis d'eau représente annuellement une "gabegie financière de 2 milliards d'euros" d'après l'Express. Comment revenir sur cette situation et quelles sont les solutions pour colmater les fuites, sans mauvais jeu de mot ?

L'enjeu principal est ainsi de diminuer la consommation excessive de certaines formes d'agriculture et d'élevage. Il faut également limiter le gâchis en favorisant la réutilisation de l'eau dans l'agriculture. Mais les gestes du quotidien comptent également.

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Le Grand Jeu, chroniques géopolitiques de l'eau, de Franck Galland, vient de paraitre le 30 mars 2014 aux Éditions du CNRS.

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