Freemiums : comment laisser vos enfants utiliser votre iPad peut finir par vous coûter une fortune<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration / Une petite fille avec un iPad.
Photo d'illustration / Une petite fille avec un iPad.
©Reuters

Game over ? Insert coin

En février dernier, une mère britannique a découvert que plus de 2000 euros lui avaient été débités par Apple. Son fils avait acheté de nombreuses options pour son jeu favori, présenté comme gratuit, avec l'iPad familial...

Gilles Dounès - Daniel Ichbiah

Gilles Dounès - Daniel Ichbiah

Gilles Dounès est Directeur de la Rédaction du site MacPlus.net qui couvre l’actualité d’Apple depuis septembre 1997. Il est le co-auteur avec Marc Geoffroy d’iPod Backstage, les coulisses d’un succès mondial, paru en 2005 aux Editions Dunod.

Daniel Ichbiah est écrivain et journaliste, spécialisé dans les jeux vidéo, les nouvelles technologiques, la musique, et la robotique. Il est l'auteur de nombreux best-sellers tels que La Saga des jeux vidéos, Les 4 vies de Steve Jobs, Rock Vibrations, Bill Gates et la saga de Microsoft… Parmi les biographies musicales écrites par l’auteur figurent celles de Téléphone, de Michael Jackson, des Beatles, d’Elvis Presley, de Madonna, des Rolling Stones… Il est également l'auteur de La Saga des Jeux Vidéo qui sort en édition de poche fin mars 2014.

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Atlantico : En février dernier, une mère de famille britannique a découvert avec stupeur que plus de 2000 euros lui avaient été débités par Apple. Son fils avait acheté en moins d'un quart d'heure de très nombreuses options payantes pour son jeu favori avec l'iPad familial (voir ici). Quels sont les moyens d'éviter le piège des "freemiums" - ces jeux gratuits en apparence mais possédant des options payantes activées par un débit automatique ?

Gilles Dounès : Tout d'abord, il ne faut pas laisser le libre accès permanent de son iPad à son enfant, et ne pas conserver ses numéros de carte bleu enregistrés sur son compte iTunes. Il ne viendrait à personne l'idée de lâcher son enfant dans un supermarché avec sa carte bleu et le code confidentiel. Il en va du même pour le numérique, dont les utilisateurs doivent faire l'apprentissage.

En dehors du débit automatique, il existe des moyens d'alimenter son compte, soit par l'achat de cartes virtuelles, soit par l'achat en grandes surfaces ou en magasin de cartes iTunes qui permettent de contrôler sa consommation. On achète pour 15, 25 ou 50 euros de crédits, et lorsque ces crédits sont épuisés, ils sont épuisés.

Il existe plusieurs cas de figure. L'iPhone est un outils assez personnel que les parents ne laissent généralement pas en libre accès aux enfants. La tablette a une vocation plus familiale - pour l'instant et avant un éventuel renouvellement, car ce type d'outil est tout nouveau - et les parents doivent se responsabiliser et éduquer leurs enfants. Ils peuvent aussi créer un compte d'utilisateur dédié aux mineurs, en s'assurant qu'il ne fonctionne qu'à partir des cartes limitées. Ce peut être l'occasion d'un apprentissage de la gestion d'un budget pour les enfants.

Daniel Ichbiah : Je suis tout de même fort étonné. Le fait qu’il faille payer les accessoires ou options supplémentaires est clairement indiqué. Il faut également savoir que ces options peuvent être gagnées normalement - sans payer - en jouant au jeu. Le fait de les acheter est une option destinée aux joueurs qui veulent gagner du temps. Ordinairement, ce sont des adultes qui achètent les options payantes, pas les enfants. Il faut certes informer les parents de ce risque, mais le système du freemium repose sur l’achat potentiel de ressources. Le fait que la mère ait été débitée de 2 000 euros montre que l’enfant n’avait pas vraiment l’intention de jouer, plutôt celle de gagner à tout prix, car il les a acheté en un temps extrêmement limité. Apple a eu le geste de rembourser ces parents il faut tout de même le dire.

Depuis, la Commission européenne s'est attaquée à ce problème (voir ici) en convoquant Apple et Google pour évoquer un système pernicieux : il est fréquent que "les consommateurs ne soient même pas conscients qu'ils dépensent de l'argent", car les jeux sont présentés comme gratuits. Outre le système de débit automatique, l'étiquette "free to play" n'est-elle pas trompeuse ?

Gilles Dounès : C'est tout le sens de l'amorçage opéré par ces jeux. Mais il est possible de mettre en place des messages d'alerte. Il existe différents types de jeux : il y a des attrape-nigauds, mais aussi des jeux qui permettent d’acquérir suffisamment de bonus pour continuer à jouer sans avoir sans arrêt à mettre la fin au porte-feuille. On peut envisager que les applications doivent à l'avenir annoncer la couleur en prévenant que ces jeux ne sont pas totalement gratuits : c'est une piste.

Cependant, les parents doivent veiller à ne pas non plus se décharger entièrement de leur responsabilité, en prétextant que le numérique n'est pas leur tasse de thé. Il leur revient, en tant que parents, de s'intéresser au numérique, pour protéger leurs enfants et faire le tri entre le bon et le mauvais. De l'information doit aussi être disponible sur les sites spécialisés dans ce type de contenus.

Notons aussi que les jeux Apple ne sont pas les seuls à fonctionner ainsi. Les franchises telles que Civilisation par exemple, avec ses différents add-ons, fonctionnent sur le même principe. Les concepteurs cherchent à amorcer l'utilisateur en lui proposant d'acheter des parties supplémentaires.

Daniel Ichbiah : Le fait qu’il faut payer pour acheter est clairement indiqué. Le freemium a été popularisé par l’éditeur Zynga à partir de 2009, mais c’est un modèle qui existe depuis plus de 20 ans. Par exemple, le jeu Doom lancé en 1992 avait un niveau gratuit. Le fait qu’il soit gratuit servait à "appâter" le joueur. S’il voulait jouer aux autres niveaux, il lui fallait payer. C’est en fait le modèle de la plupart des jeux… C’est aussi le modèle de nombreux journaux en ligne : certains articles sont gratuits et d’autres payants. Enormément d’offres du Web reposent sur ce modèle. La plupart des logiciels sont en essai gratuit et si l’on veut certaines options, il faut payer.

Ce qui s’est passé c’est que, à partir de 2004, pour des jeux en lignes comme World of Warcraft, Guild Wars 2 ou Star Wars the Old Republic nous avons eu un "commerce" qui s’est mis en place. En gros, certains jouent à un tel jeu jusqu’à atteindre un certain niveau puis revendent leur acquis à d’autres joueurs qui estiment qu’ils n’ont pas le temps de jouer suffisamment longtemps pour acquérir ces niveaux / accessoires. Le site IGE.com est spécialisé dans une telle revente.

Là où Zynga a innové, c’est en intégrant directement cette vente d’accessoire dans ses jeux. Par exemple, dans Farmville, je peux prendre le temps de faire pousser les graines, avoir de belles plantes, je récolte un argent virtuel propre au jeu qui va servir à acheter une vache, etc. Mais je peux aussi gagner du temps en achetant la vache directement à Zynga avec de vrais dollars. C’est là le modèle qui a été repris par des éditeurs comme Whatsapp ou King (qui édite le best-seller Candy Crush).

Les abus ont commencé avec des jeux comme My Little Pony : Friendship Is Magic de Gameloft/Hasbro (2012). Dans ce jeu particulier, certains éléments nécessaires pour compléter l’histoire auraient nécessité des années de jeu si on voulait les acquérir par sa seule compétence. Certains ont estimé qu’il aurait fallu jouer pendant 10 ans si on voulait terminer le jeu sans débourser un centime. Là, c’est grave, c’est déloyal de la part de l’éditeur. Ce sont ces jeux qu’il faut dénoncer ouvertement. Sur la plupart des autres jeux, le fait que de très jeunes joueurs décident d’acheter les accessoires, indique que pour l’essentiel, ils ne veulent pas jouer, juste accumuler des points. Donc, c’est sûr, il faut informer les parents. Il semble pourtant que le modèle soit clair.

Bruxelles a demandé à l’industrie des applications mobiles de trouver des solutions afin d'assurer une protection aux utilisateurs. Apple a pourtant déjà instauré des garde-fous. Depuis 2011, le mot de passe est demandé toutes les quinze minutes pour télécharger des options payantes. Il existe un réglage pour désactiver toute possibilité d'acheter des applications ou extensions. Que les marques pourraient-elles faire de plus ?

Gilles Dounès : Un avertissement au départ sur le basculement d'un freemium vers le payant pourrait être utile, ainsi qu'une autorisation préalable des parents pour les comptes mineurs. Mais l'utilisation des smartphone par les enfants demande un accompagnement, exactement comme pour le web en général. Sur un ordinateur, les parents ne peuvent se décharger complètement sur les logiciels de contrôle parental. Cela demande de la confiance réciproque, et un accompagnement au jour le jour et en fonction de l'age.

Daniel Ichbiah : Apple demande effectivement toujours un mot de passe avant qu’il soit possible d’acheter et dans la mesure où le laps de temps est de 15 minutes, il est extrêmement curieux qu’un enfant ait pu acheter autant de choses en si peu de temps ! Il n’avait pas l’intention de gagner les options par sa compétence. Il voulait juste accumuler des points. Bon, je peux comprendre le désarroi des parents qui ont découvert qu’ils avaient été débitées de 2 000 euros. C’est sûr qu’il faut les informer de ce risque. En revanche, le fait que les options sont payantes est clairement indiqué.

Les médias et le grand public semblent découvrir ce phénomène. Pourtant, les systèmes de paiement en ligne et de débit automatique existent depuis des années. Comment expliquer ce manque de prise de conscience ? Et comment y remédier ?

Gilles Dounès : Il y a un effort d’éducation à entreprendre, peut être à travers un volet rattaché à la loi sur la consommation. La presse, spécialisée comme généraliste, a aussi un rôle à jouer. L'éducation à la vie numérique reste à faire pour les parents. Cela peut passer par l'école, en intégrant de nouvelles formations aux brevets C2i et B2i en fonction de l'age. Toute la société doit évoluer face à ces nouvelles pratiques.

Daniel Ichbiah : Avant tout, il faut informer les parents du risque. Les éditeurs de jeux n’ont pas forcément réalisé qu’en laissant leurs enfants jouer à un jeu ‘freemium’, celui-ci pourrait abuser des options payantes. Je ne vois pas trop comment y remédier, à part un avertissement très clair aux parents.

Ce problème n'est pas spécifique d'Apple. Quels sont les autres pièges à éviter ?

Daniel Ichbiah : Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas un "piège". Le fait que l’on peut acheter, n’est pas caché. C’est peut-être le terme "freemium" qui est trompeur en fait.

En tout cas, c’est l’envie de progresser facilement dans un jeu qui est le moteur des achats d’accessoires sur les freemiums. On peut payer pour "gagner" avec moins d’effort. On peut considérer qu’il y a de l’abus quand, comme avec My Little Pony : Friendship Is Magic il n’est pas raisonnablement possible de gagner avec sa seule compétence. C’est ce type de jeux qu’il faut dénoncer.

Cela dit, il est possible de régler sa tablette ou son téléphone pour limiter cette fonction. Ainsi, dans les paramétrages d’Apple, on peut empêcher l’achat automatique de bonus. Sur Android, cela doit sans doute être possible, en tout cas, il est probable que Google va le mettre en place.

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