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Bobo et chômeur à la fois : sociologie d'une espèce de plus en plus répandue en temps de crise
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Bonnes feuilles

Bomeur ? Bobo-chômeur, une espèce de plus en plus répandue en ces temps de crise. Un portrait romanesque des 20-35 ans, génération qui n'a connu que la crise, mais qui n'a pas renoncé pour autant à la désinvolture. Extrait de "Le bomeur", de Nathanaël Rouas, aux éditions Robert Laffont (1/2).

Nathanaël Rouas

Nathanaël Rouas

Directeur de création dans une agence de communication, Nathanaël Rouas se retrouve au chômage en 2011 à la suite d'une liquidation judiciaire. Grâce à quelques mois de cafés pris en terrasse à 15 heures en semaine et à une déformation professionnelle qui le pousse à analyser la population qui l'entoure, il identifie une nouvelle tribu, la sienne : les bomeurs.

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Les chiffres viennent de tomber, on est trois millions de chômeurs.

Chaud.

À la rigueur, la situation peut être cool, prendre le temps de vivre, tout ça, mais le mot « chômeur » n’est pas cool du tout.

Le mot est moche, quoi.

Ça fait peur aux gens. Tu passes pour un loser à chaque fois qu’on te demande ce que tu fais dans la vie.

Le mot « chômeur » ne correspond pas à ce que je suis. Ni à ce que sont mes potes.

Mes amis chômeurs sont d’anciens DA (directeurs artistiques) de prod de musique, créa en agence de com, directeurs de prod dans la TV, ils sont « actuellement au chômage », mais pas « vraiment vraiment » puisqu’ils sont tous plus ou moins en train de créer leur projet perso.

Et pour monter leur plan, ils ont besoin de temps mais surtout, surtout, de café et d’apéro.

Pour les trouver, cherchez les mecs qui tapent de temps en temps sur les touches de leur Mac en terrasse de LaPerle/LeProgrès/LeFloréal/ChezPrune entre 9 h 30 et 14 heures s’ils ont des enfants (pause post-dépose de gosses à l’école), et entre 15 heures et 19 heures pour les célibataires ou mecs casés sans gosse (pause post-réveil tardif).

Les projets de mes potes sont toujours des trucs cool dont ils ne peuvent pas vraiment te parler (« Je t’en parlerai quand ça aura un peu avancé »), qui ne progressent pas beaucoup de mois en mois (« Ouais, ouais, ça avance pas mal là, mais je t’en parlerai quand ça sera prêt ») et qui finalement ne verront jamais le jour. Au bout d’un moment, t’en oublies même de demander où en est le projet.

Mes potes ont toujours un ou deux projets artistiques sous le coude, pour se donner une crédibilité sociale... et pour ne pas être trop en galère quand ils arrivent en soirée.

— En ce moment ? Je bosse sur un projet TV avec un pote, et normalement je récupère un lieu au début de l’été pour organiser des teufs le dimanche après-midi au soleil, un truc coolos... Mais bon, ça c’est pour occuper mon temps libre, parce que j’ai mon vrai gros projet là, le truc dont je t’avais parlé, mais je t’en parlerai plus quand ça aura bien avancé hein.

Ceux qui travaillent pensent souvent : « Putain, frais le mec, il gère trop bien son chômage, il assume et tout, il doit avoir des journées bien remplies. » Les gens au chômage, eux, connaissent la vérité, ma vérité... (= addiction Facebook + addiction Ricard + Bomeur addiction rafraîchissement de boîte mail + addiction texto « tu fous quoi aujourd’hui ? »).

Il y a trois mois j’étais un simple bobo.

Un mec qui chine sa table de chevet 350 euros à la brocante de la rue de Bretagne.

Un mec qui achète ses caleçons chez H&M mais qui n’a que des chemises Mads Nørgarrd, des jeans Nudie et des chinos Closed.

Il y a trois mois, j’en mettais plein la vue à tout mon monde à coup d’opé de com originales.

Je suis devenu chômeur, mais pas un chômeur comme les autres. Non.

Finalement, je suis un chômeur bobo.

Ou un bobo chômeur.

Au choix.

En à peine deux mois de cafés pris à 15 heures en semaine Chez Prune sur le quai de Jemmapes, d’apéros qui commencent à 17 heures au Mansart, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul dans mon cas. Des mecs comme moi, il y en a des centaines et je les croise tous les jours. Ils sont âgés de 27 à 38 ans, vont dans les mêmes lieux que moi, ont la même barbe de trois jours que moi, la même chemise en jean que moi, les mêmes Nike Blazer aux pieds que moi, et les mêmes projets foireux que moi.

C’est carrément une nouvelle tribu.

Une tribu de bobos chômeurs qui touche un bon chômage à la fin de chaque mois.

Une tribu qui bosse en free-lance de temps en temps.

Une tribu qui essaie de faire illusion auprès de ses amis en démontrant par A + B que sa situation est géniale... mais qui au fond connaît la vérité.

Une tribu qui écrit encore « directeur de création » dans les formulaires administratifs parce que écrire « sans emploi » fait trop mal à l’ego.

Une tribu détestée dans tous les meetings politiques : bobos et assistés, il n’y avait pas meilleure cible que nous.

Cette nouvelle tribu, ce sont des mecs comme moi.

Moi. Moi. Moi. Toujours tourné vers soi.

Des chômeurs bobos.

Des bobos chômeurs.

En fait, faudrait inventer un nouveau mot pour ces mecs : les bomeurs.

Extrait de "Le bomeur", de Nathanaël Rouas, aux éditions Robert Laffont. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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