Kitti Cha Sangmanee – Mariage Frères : "Vendre dans le monde le savoir-vivre à la française autour du thé"<!-- --> | Atlantico.fr
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Kitti Cha Sangmanee.
Kitti Cha Sangmanee.
©Reuters

L'interview Atlantico Business

Débarqué de Thaïlande en France pour suivre ses études supérieures, Kitti Cha Sangmanee croise un jour le chemin de la maison Mariage Frères et décide d’abandonner sa prometteuse carrière de diplomate. Son ambition : développer le thé à la française. 30 ans plus tard, le groupe est une institution en France, compte 60 pays à l’export et 1500 points de vente.

Comment passe-t-on d’études de Droit dans une université parisienne à la direction de la Maison Mariage Frères ? 

D’origine thaïlandaise, j’ai fait un doctorat de droit public des organisations internationales à l’Université Paris-Sorbonne, mais j’étais destiné à retourner dans mon pays pour devenir diplomate à la fin de mes études. En 1984, après mon doctorat, j’ai rencontré la dernière héritière de la famille Mariage et, petit à petit, c’est le thé et l’histoire de Mariage Frères qui a eu l’emprise sur moi. Le destin fait que je suis toujours là parce qu’il y a eut un coup de foudre. A l’époque Mariage Frères n’est pas une maison publique, ils n’étaient qu’importateurs grossistes. Mariage Frères est la plus ancienne société française de maisons de thé fondée à Paris en 1854. Quand j’ai décidé d’entrer dans cette société, tout le monde m'a dit que j’étais fou, parce qu’à l’époque le thé c’était pour les femmes, pour les gens d’un certain âge ou lorsqu’on était malade. Je me suis dit qu'au contraire, "si les Français ne boivent pas de thé, ça doit devenir mon challenge". Nous voulions faire aimer le thé. J’ai donc créé dans les années 80 une sorte "d’école" française du thé avec ses spécificités, comme il y a une "école" Anglaise ou Japonaise du thé. 


Selon-vous, comment se traduit cette "école" française du thé ?

Bien sûr, le thé n’est pas cultivé en Normandie ou en Bretagne mais la sélection, les préparations traduisent cette art de vivre à la française. Quand j'ai commencé le métier en 1984, très peu de personnes en buvaient. La France n’est pas réputée pour être un pays de thé, mais plutôt celui de la gastronomie. Quand j’ai ouvert la première "maison de thé française" dans le Marais, à Paris, c’est vite devenu un phénomène, parce que cela intriguait. Les premiers clients étaient des artistes, des écrivains… Et avec la Fashion week, des Claudia Shiffer, Madonna, les PDG des grandes maisons de coutures venaient prendre leur thé chez Mariage Frère. Nous avons donc, avec Richard Bueno, conçu cela comme des grands crus, avec leur rareté, leurs notes, cela c’est très français. Et puis il y a tout le décor : notre vaisselle en porcelaine, nos comptoirs de préparation où l’on peut déguster 700 thés, tous préparés fraichement.

C’est surtout une manière pour vous de le vendre plus cher, non ?

Il y a le thé et le thé ! C’est comme le vin. Vous savez, on ne s’intéresse pas à la grande distribution, nous voulons montrer qu’il y a du thé haut-de-gamme. C’est la raison pour laquelle nous offrons un choix large. Nous avons aussi du thé à 3€ ou 5€ mais je peux vous assurer que ce n’est pas ceux qui se vendent le plus.

Quelles sont les éléments, au delà de votre évolution ces dernières années, qui ont permis la démocratisation du thé ?

Le Thé est différent selon les pays mais partout, il y a du savoir-faire, un savoir vivre autour du thé. Ce n’est pas la démarche alimentaire qui prime mais l’art de vivre pour Mariage Frères. L’autre élément, c’est la démocratisation du thé vert dans fin des années 90 avec les bienfaits pour la santé qu’on lui connait. Et puis, il ne faut pas oublier qu’à partir des années 2000, voyager coûte moins cher, petit à petit davantage de Français s’ouvre à des cultures différentes, plus lointaines. Le thé c’est le deuxième breuvage bu dans le monde après l’eau, chacun s’est rendu compte que le thé faisait parti intégrante des habitudes alimentaires d’autres pays.

Actuellement, quels sont vos plus gros marchés à l’export ?

Notre plus gros marché reste l’Europe, particulièrement avec la France. Mais l’Asie, avec le Japon, arrive tout de suite derrière. Quand, au début des années 90, j’ai voulu importer notre Thé français là-bas, tout le monde m’a dit «  mais tu es fou, ils boivent leur thé du matin jusqu’au soir ». Ce qui a séduit, c’est le côté pur du thé, sans feuilles, sans fruits dedans. On l’a très vite associé au vin avec nos différences de saveurs, de notes fruitées, florales. Cela a permis de contribuer au succès de notre maison à tel point que Japan Airlines sert, en first class, du thé Mariage Frère. Et puis, autour du thé nous avons lancé les pâtisseries, les confitures, le pain… Une autre manière de consommer le produit qui a plu aux Japonais, et plus largement aux Asiatiques. C’est d’ailleurs à partir de là que l’on a lancé ce packaging noir. Nous voulions quelque chose d’unisexe car, déjà à cette époque au Japon, le thé était aussi bien consommé par des hommes que par des femmes.

Désormais d’autres acteurs, comme Kusmi Tea, se développent sur votre marché de détaillant. Cette concurrence vous fait-elle peur ?

Je pense que nous avons la chance de posséder un héritage fort. A partir de là, nous n’avons pas besoin de transformer nos boutiques en rose ou en vert pour vendre nos produits. Donc non, la concurrence ne me fait pas peur car nous avons su créer un concept fort que l’on ne trouve nulle part ailleurs avec nos grands crus, la cuisine autour etc.  Je ne les considère d’ailleurs pas comme tel mais comme des confrères. Il y a de la place pour tout le monde. Je n’ai pas développé cette marque pour répondre à un marché ou pour faire du marketing mais par fidélité pour ce que j’avais envie de proposer. C’est ce que je continuerai à faire.

Propos recueillis par Julien Gagliardi

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