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Modernist Cuisine, un ouvrage de référence de... 2438 pages. Sur la table de nuit des finalistes de Top Chef ?
Modernist Cuisine, un ouvrage de référence de... 2438 pages. Sur la table de nuit des finalistes de Top Chef ?
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Oui, chef !

Ce lundi 4 avril a été diffusée sur M6 la finale de Top Chef, programme vedette de la chaîne : trois jeunes chefs ont dû rivaliser d'ingéniosité pour remporter ce concours culinaire.

Julien Tort

Julien Tort

Julien Tort est bloggueur, photographe, chroniqueur gastronomique et traque l'excellence culinaire. Guide et professeur de cuisine, il se refuse à opposer la santé et le plaisir.

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Alors que la France (et moi le premier !) est suspendue à la finale de Top Chef ce lundi soir, on peut quand même se demander comment on en est arrivé là : des Français qui ne savent plus cuisiner, mais qui sont obsédés par la cuisine ; et des chefs qui posent dans les magazines et deviennent des personnages de série télé.

La semaine dernière, le Culinary Institute of America a couronné Paul Bocuse « Chef du siècle », et aussi « premier cuisinier vedette de l’époque moderne ». Avant Bocuse, on identifiait un restaurant par son propriétaire, pas par son chef – voyez par exemple Louis de Funès dans Le Grand restaurant. Mais « l’empereur des gueules », s’il fut le premier chef moderne, est à contre-courant de la modernité culinaire actuelle, qu’il a d’ailleurs dénoncée à plusieurs occasions.

Cuisiner ne suffit plus, il faut innover !

Or, qu’est-ce que c’est que cette modernité ? Comme vous le voyez dans Top Chef, c’est d’abord une modernité dans laquelle le concept d’innovation a pris une place absolument centrale. C’est bien si c’est bon, mais il faut que ce soit nouveau, audacieux et original. Au-delà des chefs qui posent pour GQ, la cuisine est devenue une branche de la mode. Une saison chasse l’autre, et moquons-nous de ces ploucs qui cuisinent encore comme on cuisinait l’année dernière.

Qu’est-il arrivé à la cuisine de Paul Bocuse ? Les bons produits, les bonnes recettes, et la capacité d’un chef (et d’une équipe de cuisiniers) de les comprendre en profondeur pour recréer, encore et encore, un plat exceptionnel ? Quand j’étais petit, je croyais qu’un grand restaurant, c’était un endroit où les meilleurs produits étaient cuisinés de façon exceptionnelle. S’il y avait de l’innovation, ce n’était pas de l’innovation pour l’innovation : c’était la recherche du meilleur goût possible, évoluant avec les techniques de cuisson, les méthodes de conservation, et les procédés agricoles.

Croyez-en le gourmand que je suis : le grand restaurant, ce n'est plus çà. Les produits sont mieux dans quelques bistrots d’exception comme l’Ami Louis, Chez l’Ami Jean (Paris) ou Le Lion d’Or (Arcins) que dans la plupart des triple étoilés, les cuissons plus soigneuses, les assaisonnement plus précis et plus efficaces.

La gastronomie du spectacle

Alors, bien sûr, il y a la société du spectacle. Il y a l’égo des chefs, et plus encore celui des critiques qui s’ennuient à mourir quand on leur ressert la même excellence jour après jour, et à l’œil en plus.

Mais il y a aussi un modèle économique. La grande cuisine comme je l’aimais, c’était un artisanat de luxe. C’était difficilement reproductible et très intensif en main d’œuvre. Les chefs n’en pouvaient plus d’être aussi stressés que les candidats de Top Chef, mais sans grand prix ni starisation à la clef. La main d’œuvre est devenue chère, et la « bouffe normale » l’est, elle, devenue beaucoup moins. Alors, un vrai bon poulet est devenu un produit de luxe. Ce que je m’en vais appeler la « vraie » grande cuisine est devenue un anachronisme.

Et comme dans la mode, la succession des saisons est une ruse pour revendre plusieurs fois la même chose. Bien cuisiner, bien choisir ses produits, ne suffit plus. Ce n’est probablement même plus nécessaire. Pour attirer du monde dans sa boutique, pour pouvoir afficher des prix qui permettent de gagner sa vie, et pour générer des revenus supplémentaires, il vaut mieux être jury de Top Chef. Quatre chefs expérimentés (Piège, Constant, Marx et Arabian) qui ont d’ailleurs en commun d’être tous les trois passés tout près de la troisième étoile, viennent de rejoindre dans cette prise de conscience un beau gosse entreprenant et déjà bien installé. Bonne chance tout de même aux candidats Stéphanie, Fanny, et à Pierre Sang. Et qu’on ne me dérange pas ce lundi soir !

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