Sang froid pour été chaud : "l’effondrement climatique" est un défi à relever, pas une calamité morale<!-- --> | Atlantico.fr
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"L'effondrement climatique a commencé", a récemment déploré le secrétaire général de l'ONU António Guterres.
"L'effondrement climatique a commencé", a récemment déploré le secrétaire général de l'ONU António Guterres.
©Arun SANKAR / AFP

Atlantico Green

"L'effondrement climatique a commencé", a récemment déploré le secrétaire général de l'ONU António Guterres dans un communiqué en réaction à l'annonce du record mondial de températures pendant l'été de l'hémisphère nord.

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Olivier Blond

Olivier Blond

Olivier Blond est conseiller régional, délégué spécial à la santé environnementale et à la lutte contre la pollution de l'air et Président de Bruitparif.

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Atlantico : "L'effondrement climatique a commencé", a récemment déploré le secrétaire général de l'ONU António Guterres dans un communiqué en réaction à l'annonce du record mondial de températures pendant l'été de l'hémisphère nord. Quelles solutions pourraient permettre de lutter contre cet effondrement climatique ? Qu’est-ce que le progrès a d’ores et déjà permis d’accomplir ?

Alexandre Baumann : Je ne peux pas vous faire un bilan complet de toutes les solutions, je ne peux que vous partager quelques pistes que je trouve intéressantes:

  • Une électricité abondante, bas carbone, disponible et bon marché est la base de l'essentiel des mesures: nous avons besoin de beaucoup d'énergie nucléaire. Le développement des petits réacteurs modulaires est plein de promesses, facilitant à la fois le déploiement de centrale, mais en plus facilitant la cogénération (l'utilisation de la chaleur produite perdue, dite "fatale" et représentant 50 à 70% du total de l'énergie produite). Ce n'est pas pour rien que les pseudo-écologistes s'opposent: ils ont besoin d'un problème, pas d'une solution.
  • Le développement de l'IA peut accélérer drastiquement l'optimisation des processus. C'est évident en matière industrielle, mais on peut aussi l'envisager pour le bâtiment: de nouveaux logiciels pourraient faciliter la conception de logements dont l'efficacité énergétique est optimisée.
  • Dans la sidérurgie, il y a deux innovations fantastiques, qui permettraient de rendre la production d'acier (6-7% des émissions de CO2) bas carbone: l'utilisation d'hydrogène pour réduire le minerai de fer ou bien, encore mieux, l'électrolyse directe, comme la développe Boston Metal. Ce dernier procédé est non seulement bas carbone, mais pourrait en plus être bien moins cher que le procédé actuel.
  • L'amélioration génétique des plantes, avec non seulement le développement de nouvelles techniques de manipulation (CRISPR notamment), mais en plus l'amélioration des capacités de l'intelligence artificielle.
  • Et bien d'autres innovations, notamment dans le secteur des batteries.

Bien sûr, il faut aussi encourager l'économie au niveau de la consommation. Cela peut se faire naturellement (on est d'autant moins enclin à générer du CO2 si on passe l'essentiel de son énergie à réduire les émissions globales) ou avec l'aide d'une taxation carbone. C'est surtout aux particuliers de changer leur rapport aux voyages et à la possession matérielle.

Néanmoins, pour des pays comme la France, ce sera infinitésimal comparé à l'impact qu'on pourrait avoir en réindustrialisant et en innovant.

Olivier Blond : Il faut commencer par préciser que les paroles du secrétaire général des Nations Unies ont été mal traduites par l’AFP. Angel Guterres utilise le terme « breakdown » qui signifie rupture ou cassure, et qui n’a pas de connexion avec les idées d’effondrement utilisées par les activistes français. LE secrétaire général des Nations Unies souligne avec raison la gravité de la situation, mais c’est le traducteur qui donne à ses paroles cette connotation si particulière, en lien avec la collapsologie, cette logorrhée prisée par certains en France, selon laquelle le changement climatique amènerait la fin du monde.

Ces idées sont très éloignées des rapports du GIEC, qui étudient l’évolution du climat, ses conséquences et les moyens d’y faire face – sans fatalisme. Tout au contraire, il s’agit de comprendre les mécanismes à l’œuvre et d’identifier des solutions. Antonio Guterres, comme le GIEC, invitent à l’action, non pas aux lamentations ou aux prêches millénaristes.

En fait, ce qui a vraiment commencé, c’est un effort mondial pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, basé notamment sur les technologies. Les émissions de CO2 de la France ont ainsi diminué de 25% entre 1990 et 2022, celles du Royaume-Uni de 49%. Même l’Allemagne, avec son charbon, a diminué ses émissions de 34%... Le « pic carbone » européen, c’est-à-dire le maximum historique de nos émissions, est loin derrière nous, et c’est aussi le cas pour les Etats-Unis, même s’ils s’y sont mis un peu plus tard : leur pic se situe en 2005 et leurs émissions ont diminué de 20% depuis.

Cette diminution est masquée par l’augmentation des émissions en Chine, qui ouvre une centrale à charbon par semaine et qui est rapidement devenue le premier pollueur mondial. D’autres pays du Sud contribuent à l’augmentation des émissions ; globalement, les efforts restent donc insuffisants. Et il faut rajouter qu’une partie de nos émissions a été délocalisée dans ces pays qui sont devenus l’atelier du monde. Mais pour autant, il ne faut pas négliger la transformation majeure de l’économie occidentale qui a construit une stratégie vers la neutralité carbone en 2050.

En quoi les solutions technologiques pourraient-elles apporter un espoir et des solutions concrètes, sans céder à des projets trop ambitieux et irréalistes ? En quoi n’est-il pas absurde de penser que la technologie pourrait relever le défi ?

Alexandre Baumann : Les technologies d'aujourd'hui sont déjà suffisantes pour, dans l'absolu, réduire radicalement les émissions: si l'électricité était peu cher et bas carbone, on pourrait décarboner la production d'hydrogène (6% d'émissions) et l'acier (6% des émissions), les énergie renouvelables pour les pays avec une forte proportion d'énergies fossiles, du nucléaire pour les autres ... Rappelons que la production d'énergie (hors transports) était responsable de 20Gt d'émissions de CO2 en 2019, 34% du total ! On sait aussi comment décarboner une large part des transports (8,7Gt, 15% du total), les voitures électriques étant aujourd'hui compétitives (et qui le seraient davantage avec une électricité moins chère).

Olivier Blond : Cette transformation que l’on observe sous nos yeux est quasi totalement portée par des transformations technologiques. Paradoxalement, si la plupart des écologistes français ne jurent que par la décroissance, celle-ci n’exerce presque aucun effet mesurable à l’échelle de nos économies. Ils glosent sur un phénomène qui n’a pas d’existence pratique.

Le GIEC discute largement de l’impact des technologies. Il note l’importance croissante des énergies renouvelables, la baisse drastique du coût de technologies essentielles comme le photovoltaïque et étudie leur impact. Il étudie également, et c’est fondamental, l’impact des politiques publiques (en particulier fiscales, comme la taxe carbone).

Cela déplait fortement à certains militants de l’apocalypse ou partisans de la décroissance - dont l’un des représentants disait récemment, sur un plateau télévisé, que le technosolutionisme est « le dernier avatar du climato-scepticisme » !

Mais même un moulin à vent est un objet technologique, et les panneaux photovoltaiques, les éoliennes ou, bien sûr, le nucléaire, n’existeraient pas sans la science et la technologie. La question énergétique, et donc la question climatique, ne peuvent pas se discuter hors de la technologie.

Quels efforts ont été faits notamment via le découplage ? Quels efforts ont été menés face à la dépendance aux combustibles fossiles ?

Alexandre Baumann : Les entreprises ont intérêt à économiser des matériaux et de l'énergie. Plus vous apprenez à faire quelque chose, plus vous apprenez à éliminer le superflu. Il faudrait demander à des experts de différents secteurs, il doit y avoir des exemples de gains d'efficacité dans la plupart.

A part cela, parmi les grands chantiers qui ont déjà été réalisés, on peut notamment compter:

  • le développement des centrales nucléaires et, dans certains pays, d'énergies renouvelables (dans d'autres, les EnR ont surtout servi à remplacer le nucléaire ...)
  • le développement des voitures électriques
  • la diffusion des réglementations environnementales en matière de bâtiment

Néanmoins, ma culture est limitée. Il faudrait demander à des industriels, ils en auraient probablement beaucoup plus à dire sur ce sujet.

Olivier Blond : Le découplage est un concept très important, que les décroissants abhorrent, et qu’ils essaient à tout prix de contester, car cela sape les bases mêmes de leur discours. Selon eux, la croissance économique amène nécessairement l’augmentation des émissions (les deux sont liées ou couplées). Donc il faut supprimer la croissance – et donc le capitalisme. Mais les faits disent le contraire. Il est possible, dans certaines situations, que l’économie continue à croître, et le PIB d’augmenter, et dans le même temps, que les émissions de CO2 diminuent. C’est cela le découplage. En France, quand les émissions diminuaient de 25%, le PIB était multiplié par 2 !

S’il est possible de diminuer les émissions de CO2 tout en augmentant la production, alors ce n’est plus la planète mais leur baragouin qui s’effondre.

Dans les faits, la plupart des pays européens sont dans une situation de découplage, et selon des données citées par le GIEC, 23 pays ont atteint une forme absolue de découplage entre PIB et émissions nationales entre 2015 et 2018. Quatorze d’entre eux ont même atteint un découplage entre PIB et consommation (soit les émissions nationales plus les émissions importées). 67 pays dits « émergents » (dont la Chine et l’Inde) ont vu un découplage relatif, c’est-à-dire une diminution de la relation entre PIB et CO2.

Cette relation entre économie et écologie est essentielle et le GIEC l’étudie plus largement. La chute rapide du coût du kilowattheure photo-electrique ou éolien (respectivement -56% et -47% en 5 ans) détermine la croissance de leur usage. Le prix de l’énergie impacte l’acceptabilité des politiques énergétique : une augmentation de prix des carburants peut déclencher les gilets jaunes, et inversement, une énergie moins chère (comme le nucléaire) permet de protéger le niveau de vie des citoyens et la compétitivité des entreprises.

Le GIEC analyse également les investissements gigantesques (en milliers de milliards d’euros) qui seront nécessaires pour la transition climatique. Et pour pouvoir investir, il faut produire de la richesse.

La plupart des décroissants conçoivent une telle haine pour le capitalisme qu’ils ne sont plus capables d’étudier sérieusement l’économie et ses relations avec le climat. Et donc de comprendre comment changer le monde dans lequel ils vivent.

L’heure n’est pas de nier la gravité de la situation, il n’est pas non plus de concourir au discours le plus pompeux ou le plus moralisateur – ce que semblent privilégier les décroissants. Il est de mettre en œuvre les solutions les plus efficaces pour diminuer, concrètement, les émissions de CO2. Et cela, seule une bonne compréhension de la technologie et de l'économie le permettront.

Selon le journaliste du Monde Stéphane Foucart invité sur France 5, le fait de miser sur la technologie serait « le dernier avatar du climato scepticisme ». Comment lutter efficacement contre de tels discours et contre la désinformation qui sape en profondeur les efforts qui pourraient être faits en matière de lutte contre le réchauffement climatique ?

Alexandre Baumann : Il y a des myriades d’entrepreneurs de la désinformation qui ont recours à des grandes constructions intellectuelles. Ces écosystèmes de désinformation nuisent à la société et ne permettent pas d’avancer.

Il est important d’identifier, de décrire et de comprendre ces écosystèmes. Il faut sortir du moralisme et des postures creuses. Il faut voir cela comme une véritable entreprise menée par des gens qui ont peu de scrupules. Cela doit être analysé comme du marketing et de la vente. Il est important de désenchanter ces mouvements-là et de faire comprendre qu’il n’y a rien de fantastique ou de merveilleux dans ces croyances, comme cette pseudo-écologie.

En quoi est-ce que les solutions irréalistes pour lutter contre le réchauffement climatique sont-elles une autre forme de déni ?

Alexandre Baumann : Elles vont participer aux économies du « bullshit ». Cela permet de canaliser l’action et de donner l’apparence de l’action. L’un des récents exemples concernait le convoi de l’eau qui a produit uniquement de la communication. Pour l'organisation, c'est quelque chose de très pratique:  cela crée du lien social en son sein, augmentant ainsi l'emprise qu'elle a sur les participants ; c'est bon pour l'image interne, donnant l'apparence qu'ils font quelque chose, ce qui motive l'engagement et les dons. Pour l'environnement et la société, c'est toxique, leurs revendications étant néfastes (sans compter tout le CO2 produit par leur voyage). Mais ça, ils s'en foutent: ça ne rapporte pas de dons, ça ne rapporte pas de pouvoir. Pourquoi en auraient-ils quelque chose à faire ? Pourquoi vous devraient-ils cela ?

N’y a-t-il pas de motifs d’espoir ?  

Alexandre Baumann : Aucun corps constitué, aucune organisation n’a appréhendé l’ampleur du problème. La prise de conscience finira par avoir lieu mais plusieurs années auront été perdues.

Le problème est que beaucoup de gens pensent le percevoir parce qu'ils voient telle ou telle désinformation, telle ou telle malhonnêteté, mais se disent qu'il y a pire. Ils ne voient pas qu'il s'agit d'un système énorme, en guerre totale pour la conquête du pouvoir, un vrai cancer social détruisant la société ouverte.

Il faut donc qu’il y ait une prise de conscience maintenant, dans tous les écosystèmes qui sont touchés par la pseudo-écologie (notamment le nucléaire et l’agriculture). Beaucoup d’autres professions devraient se réveiller. Il est nécessaire d’interpeller les pouvoirs publics. Les députés doivent prendre conscience de tout cela. Il est crucial d’alerter sur la pseudo-écologie afin de mieux s’en prémunir. Il ne faut pas baisser les bras et ne pas verser dans un cynisme absolu. Il est important que les corps constitués s’intéressent vraiment à ce sujet.

La pseudo-écologie repose sur le mensonge et sa dissimulation. Si on l'expose, on la neutralise. L'enjeu aujourd'hui est de la décrire, puis de diffuser cette description ... vite, avant qu'elle ne sape davantage les institutions démocratiques.

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