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Rendre une moitié de la planète à la vie sauvage pour sauver la biodiversité : que penser de la proposition radicale du biologiste star américain ?
©Reuters

Mi-homme mi-bête

Dans "Half-Earth", ouvrage qui a obtenu le prix Pulitzer, le biologiste américain Edward O. Wilson développe l'idée d'allouer la moitié de la surface de la terre au renouvellement de la biodiversité.

Romain Julliard

Romain Julliard

Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, biologiste, spécialisé en Biologie de la Conservation, dans la conception, l'animation et la valorisation d'observatoire de la biodiversité (projet Vigie Nature), les thèmes de recherche principaux de Romain Julliard portent sur l'homogénéisation fonctionnelle de la biodiversité, ses mécanismes (réorganisation des communautés sous l'effet des changements globaux) et ses applications (construction d'indicateur de biodiversité).

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Atlantico : Le biologiste américain Edward O. Wilson a récemment publié un ouvrage dans lequel il prône la division de la planète en deux partie, et dont l'une serait affectée au développement naturel de la biodiversité. En quoi cette idée, si elle était mise en oeuvre, serait-elle efficace ?

Romain Julliard : La question est à la mesure de la complexité de ce qu’est la biodiversité : des millions d’espèces qui dépendent les unes des autres à travers des interactions elles-mêmes complexes de prédation, compétition, parasitisme, commensalisme, etc. Nous (conversationnistes) sommes tiraillés entre deux images : celle d’un équilibre fragile malmené dont nous (humains) aurions la responsabilité, ou celle d’un système dynamique et évolutif, tout autant malmené, mais qui sur le temps long nous survivra quoiqu’il arrive. Ces deux façons de voir dépendent de la facette de la biodiversité que nous considérons. Par exemple, des espèces disparaissent et sont de des pertes irréversibles et empêcher ces extinctions est une urgence et une priorité. En même temps, si nous ne changeons pas les causes de ces extinctions (surexploitation et destruction d’habitat naturel en particulier), c’est une course sans fin perdue d’avance, et la priorité devrait donc plutôt de favoriser les conditions d’existence des propriétés de la dynamique de la biodiversité. Cette deuxième proposition doit nous conduire à plus d’humilité et doit nous conduire à la même proposition que celle prônée par le mouvement Half-Earth : comment partager notre planète entre la biodiversité et notre empreinte sur cette biodiversité. Proposer un chiffre (la moitié) a le mérite de rentrer dans le champ de la décision politique : on peut discuter de la quantité et des usages de ces surfaces consacrées à la biodiversité : la moitié des océans interdite à la pêche ? la moitié des surfaces de chacun de nos jardins privés laissés en friche ? la moitié de l’agriculture conduite avec un objectif de conservation de la biodiversité ?

L'auteur évoque la création de multiples parcs écologiques qui permettrait de constituer un réservoir de biodiversité, ainsi que de la ré-implantation d'espaces naturels au sein des villes. Est-ce vraiment crédible ? 

Pourquoi préserver la biodiversité en ville ? S’il s’agit de la préserver pour elle-même, alors la réponse est claire, c’est plus efficace d’aller la protéger à la campagne ! C’est donc avant tout pour les urbains que la question se pose. Le principal argument est très anthropocentrique : notre qualité de vie, notre bien-être, notre santé (surtout psychique) dépendent de nos contacts quotidiens avec la nature. Les Américains ont forgé l’expression "nature deficit disorder" : les pathologies liées à un manque de nature : nous guérissons mieux dans une chambre d’hôpital dont la fenêtre donne sur des arbres ; le taux de dépression est inversement proportionnel à la quantité d’espace vert auquel nous avons accès ; une heure de promenade dans la nature favorise les processus passifs de consolidation de la mémoire dans nos cerveaux bien mieux que le même temps à se promener dans une ville…

Peut-on aujourd'hui assurer les besoin humains en termes d'espace, d'alimentation, de ressources naturelles, avec cette préservation de la moitié de la planète ?

Nous n’avons pas la réponse à cette question. Ce que nous savons, c’est que l’accroissement de la consommation des ressources que nous avons vécu ces dernières décennies n’est pas compatible avec nos besoins futurs. Il est urgent de décider de préserver une part de ces ressources, mais aussi de prendre cette décision en acceptant cette incertitude, et qu’il faut malgré tout se lancer dans cette expérimentation.

La biodiversité a jusque là majoritairement été étudiée sous l'angle des risques encourus par l'homme devant l'extinction progressive des ressources naturelles. Les recherches plus récentes se dégagent de l'anthropo-centrisme pour affirmer que la survie de la planète elle-même est liée au maintien de cette bio-diversité. Pourquoi la disparition de la moitié des espèces mettrait-elle en péril l'équilibre de la planète, et qu'amènerait ce déséquilibre: disparition du vivant ou réorganisation ?

Si l’on revient à la Convention sur la Diversité Biologique, un document très engageant porté par les Nation Unis à la suite du sommet de la Terre de Rio en 1992, on lit que les deux premiers principes envisagent déjà (et reprennent à l’époque ces deux orientations de la conservation) : 1) préserver la diversité biologique (sous-entendu pour elle-même) ; 2) assurer une exploitation soutenable des ressources et services qui reposent sur cette diversité. Ces deux approches ont donc toujours existé. La nouveauté serait l’argument que l’érosion de la biodiversité à laquelle conduit nos modes de vie pourrait conduire à mettre en péril la biodiversité elle-même. On parle souvent à propos de la crise de la biodiversité en cours de "6ème extinction de masse", soulignant qu’il en existe 5 autres par le passé documentées dans les couches géologiques dont on estime qu’elles ont touché entre 30 et 90% des espèces suite à d’extraordinaires bouleversements climatiques. Manifestement, la biodiversité a survécu à ces crises et s’est reconstituée et il n’a fallu au plus que quelques millions d’années pour qu’elle retrouve des niveaux comparables à ceux d’avant crise. Nous ne causerons pas la disparition du vivant et pour une raison supplémentaire : nous en dépendons entièrement pour notre alimentation (toutes les calories alimentaires que nous consommons sont issues d’êtres vivants) et nous disparaitrons mécaniquement avant que nos ressources disparaissent.

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