Rencontres d'Aix-en-Provence : les économistes déconcertés face au monde sans mode d'emploi de la 3ème mondialisation <!-- --> | Atlantico.fr
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"La troisième mondialisation n’a pas créé un village global, mais un monde sans mode d’emploi."
"La troisième mondialisation n’a pas créé un village global, mais un monde sans mode d’emploi."
©Reuters

Revue d'analyse financière

Dans l'œil des marchés : Jean-Jacques Netter, vice-président de l'Institut des Libertés, dresse, chaque mardi, un panorama de ce qu'écrivent les analystes financiers et politiques les plus en vue du marché.

Jean-Jacques Netter

Jean-Jacques Netter

Jean Jacques Netter est vice-président de l’Institut des Libertés, un think tank fondé avec Charles Gave en janvier 2012.

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Le Cercle des Economistes, présidé par Jean Hervé Lorenzi, organisait ce week-end à Aix-en-Provence pour la quatorzième fois consécutive "Les Rencontres" qui rassemblent l’establishment français des chefs d’entreprises qui s’expriment devant les grands investisseurs, le monde des médias et les hommes politiques de gauche comme de droite. Le thème de cette année était : "Investir pour inventer demain".

Pour que l’événement ne soit pas que franco-français, de nombreux experts étrangers sont invités pour permettre aux participants de bien comprendre que le modèle social français est très loin de susciter de l’enthousiasme. Comme toujours dans ce type de manifestations, le plus important est tout ce qui se passe "off" pendant les déjeuners, les cocktails et à l’opéra dans le cadre du festival d’Aix-en-Provence.

A l’applaudimètre, c’est Jean-Dominique Senard, le patron de Michelin, qui est arrivé de très loin en tête. Gérant un groupe mondial, il a expliqué qu’il réalisait 35% de ses investissements en Europe mais que cela ne pourrait pas durer si le coût de l’énergie continuait d’être aux Etats-Unis 40% inférieur à ce qu’il est sur le Vieux continent… Quand il se rend dans ses usines en Allemagne, il est accueilli par les syndicats qui lui demandent comment ils peuvent l’aider, ce qui n’est pas tout à fait la situation qu’il rencontre en France ! En décrivant tous les obstacles qu’il devait franchir tous les jours pour continuer à gérer un groupe mondial à partir de Clermont Ferrand, il a beaucoup ému son auditoire. François Michelin aurait été très fier de lui.

En revanche, Arnaud Montebourg, ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique qui devait intervenir le samedi sur le sujet "Réconcilier les français avec la création de richesses" s’est décommandé au dernier moment. Le grand spécialiste de la politique spectacle a du se dire qu’il aurait du mal à se faire applaudir.

Pour compenser la mauvaise prestation de Pierre Moscovici l’année dernière, Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics est arrivé avec une nouvelle formule : "Notre amie, c’est la bonne finance". Elle n’a pas fait exploser l’applaudimètre.

Le diagnostic montre que tous les moteurs de la croissance sont en panne

La troisième mondialisation n’a pas créé un village global, mais un monde sans mode d’emploi. En France, l’agressivité entre "riches" et "pauvres" s’accroît au fur et à mesure que l’économie décline. L’anticapitalisme est devenu la passion partagée par les extrêmes de l’échiquier politique. La crise a rendu le monde indéchiffrable. Aux certitudes passées sur les moteurs de la création de valeur ont succédé des doutes sur les conditions de la croissance.

L’investissement est très faible alors que les taux n’ont jamais été aussi bas.

Cette situation se traduit par une reprise économique mondiale très timide. Dans la zone euro, les investissements sont en baisse de 20% par rapport aux niveaux d’avant la crise. Les pays développés n’ont consacré que 20% de leur PIB en investissements contre 23% en 1990. Les pays en développement ont fait le chemin inverse passant de 23% en 1990 à 33% en 2013. L’investissement progresse en Asie et régresse en Occident.

Le décrochage de la France est en grande partie lié à la faiblesse de l’investissement.

L’emploi ne peut se développer que si l’effort porte sur la recherche et le développement pour renouveler les sources de compétitivité et dans le capital humain pour permettre aux collaborateurs des entreprises de s’adapter.

Les gouvernements sont souvent convaincus qu’ils sont les seuls à savoir où il faut investir ( Arnaud Montebourg en est le meilleur exemple ). Yossi Vardi, de International Technologies, qui est un entrepreneur israélien qui a financé avec beaucoup de succès plus de 80 entreprises de haute technologie est convaincu du contraire. L’Etat est pratiquement toujours un mauvais investisseur.

L’épargne en France est abondante mais mal utilisée. Elle est beaucoup trop fiscalisée, ce qui l’empêche de financer l’investissement productif. L’épargne dans le monde bascule vers le social, ce qui va retrancher 2,3% de l’épargne mondiale, au moment où le besoin d’investissement va grossir de 2,6%. Cela impactera d’environ 5% le PIB mondial. Chaque continent voudra donc récupérer la ressource rare que va devenir l’épargne. Cela devrait aggraver la guerre des changes et déclencher d’autres conflits militaires cette fois.

La confiance des investisseurs a disparu, alors qu’elle devrait être au cœur de l’investissement dans les échanges économiques et humains. Comment les marchés peuvent-ils donner à nouveau confiance aux entreprises ? Pour Bernard Gainnier, de PWC, il est curieux de constater que peu d’économistes travaillent sur le sujet de la confiance, alors que entreprises y travaillent tous les jours. Très directement, Bruno Lafont, président de Lafarge, a rappelé que pour investir dans un monde plus risqué les investisseurs ont besoin de se sentir reconnus et d’avoir un espoir de retour.

L’entrepreneur est harcelé, car la création de richesse suscite la défiance. Alors que le mot "entrepreneur" a été inventé par l’économiste basque Frédéric Bastiat, l’esprit d’entreprise ne capte plus l’énergie des jeunes générations. Il faudrait que les financements pour les entrepreneurs soient plus faciles à obtenir. C’est pourquoi Jacques de Larosière, ancien patron du FMI, a préconisé que les crédits aux PME ne requièrent pas huit fois plus de fonds propres au bilan d’une banque que de la dette souveraine.

La prise de risque est découragée. Il n’y a pas de croissance sans innovation et pas d’innovation sans prise de risque. La culture du risque et de l’entrepreneuriat devrait donc irradier l’ensemble de la société. L’école n’enseigne pas le risque, ni l’échec qui peut lui être associé et fait partie de la vie.

L’innovation est condamnée en Europe à avoir une place réduite, car le niveau d’endettement des Etats est un obstacle majeur à son financement. Au moment où l’innovation va entrer dans une période spectaculaire autour des nanotechnologies, de la biotechnologie, de l’informatique et des sciences du cerveau, l’Europe n’a pas de stratégie. L’Amérique au contraire explore de nouveaux territoires, les pays émergents avancent à marche forcée. 

La France est dangereusement menacée de décrochage. Hal Varian, économiste de Google, explique très bien que la solution est de créer des éco-systèmes comme la Silicon Valley qui regroupe les cerveaux, les idées et les financiers.

Stéphane Richard, patron d’Orange, a rappelé qu’il fallait très sérieusement réfléchir au problème du partage de la valeur, car les opérateurs ne peuvent pas continuer indéfiniment à faire les investissements pour développer les réseaux et laisser ensuite la quasi totalité des profits à Google !

Aujourd’hui, explique Didier Lombard, président du conseil de surveillance de ST Microelectronics, le mode de recherche est de type bazar. Toutes les équipes se connaissent autour de la planète et échangent en permanence en mode horizontal. Les sociétés qui sont structurées en mode hiérarchique et pyramidal ont peu de chances de participer aux grandes innovations de demain.

Pour Jean-Pierre Clamadieu, président de Solvay, il faut renverser la table, car nous avons de nombreux problèmes à résoudre qui sont le changement climatique, la rareté des matières premières, le stockage d’énergie et surtout le développement de l’économie circulaire qui suppose de récupérer des produits en fin de vie pour les réutiliser.

L’éducation n’est plus adaptée. L’école française n’apprend pas le monde. Nous avons un ministre de l’Education qui fait l’éloge de l’ignorance en défendant l’idée qu’il ne faut plus mettre de mauvaises notes, a dit Pascal Bruckner, philosophe. Le résultat est que le système déverse chaque année plus de 140 000 jeunes qui ne savent pas lire et compter convenablement et ne connaissent même pas les rudiments élémentaires de la politesse. L’apprentissage qui pourrait être plus efficace qu’une formation initiale suivie d’un premier emploi est complètement mis de côté. Enfin, les meilleurs étudiants ne vont plus dans les filières scientifiques, ce qui est très mauvais pour la capacité d’innovation d’un pays, pense Etienne Klein, du Commissariat à l’Energie Atomique. Au total, la France est championne du monde dans le gaspillage des talents, estime Ezra Suleiman, politologue et professeur à Princeton.

Les contraintes à prendre en compte réclament du courage politique

Le modèle social français est complètement dépassé. L’Etat-providence représente 57% du PIB, soit 10 points de plus que l’Allemagne et 200Md€ de trop, pense Michel Cicurel de MC Conseil. Les retraites des cadres vont baisser, la sécurité sociale sera obligée de dérembourser de nombreuses prestations, explique Guillaume Sarkozy, président de Malakoff Médéric. Le débat politique va se crisper de plus en plus sur le partage.

Le vieillissement entraîne une aversion au risque en matière d’investissement. L’argent disponible ne s’investit pas par défiance en l’avenir. Il faut transformer une société de rentiers en société d’investisseurs, car 60% des liquidités sont détenues par des seniors et de plus en plus de successions se font entre le troisième et le quatrième âge.

La fiscalité est punitive en France alors qu’elle devrait être incitative. L’épargne qui prend des risques devrait être moins imposée que le travail. On fait le contraire de ce qu’on devrait faire puisque plus on investit long et risqué, plus on est taxé. Les investisseurs redoutent les modifications régulières et souvent rétroactives du cadre réglementaire et fiscal. Pour Dominique Cerruti, président d’Euronext, si on ne règle pas ces problèmes, on n’a aucune chance de décoller.

Les entreprises consacrent des ressources énormes à traiter les problèmes fiscaux.

Les problèmes des inégalités doivent être traités, mais elles ne s’accroissent pas dans le monde, autant que le prétend Thomas Piketty dans son dernier livre. Kenneth Rogoff, professeur à Harvard, a montré qu’elles se sont réduites dans le monde globalement quand on prend en compte le nombre de Chinois et d’Indiens qui sont sortis de la pauvreté. Autrefois, la richesse était constituée par des actifs réels - immeubles, usines, terres agricoles - qui restaient en France même si l’on forçait leurs propriétaires légitimes à l’exil et à la pauvreté. Aujourd’hui, la richesse est immatérielle et quitte le territoire national avec ceux qui s’en vont. Le durcissement de la  politique fiscale actuelle va convaincre ceux qui restaient envers et contre tout de s’en aller à leur tour et l’appauvrissement général va être beaucoup, beaucoup plus rapide que par le passé.

La bataille de la compétitivité n’est pas en train d’être gagnée en Europe. Pour Kevin O’Rourke, du Trinity College à Dublin, le véritable responsable de la situation c’est l’Europe, car elle impose l’austérité. Voilà une nouvelle bonne illustration de la théorie du bouc émissaire. Il faut selon lui une politique monétaire encore plus souple, plus d’inflation et faire baisser l’euro. C’est très exactement la posture de la France, qui exige beaucoup de la BCE et pas assez d’elle-même.

Nous avons besoin de plus de géométrie variable en Europe, dit Ian Goldin de Oxford University. C’est l’idée des "arrangements contractuels". Les pays en difficulté mènent des réformes structurelles définies précisément pour chaque pays qui soutiennent la productivité et la croissance de long terme ( marché du travail, éducation, formation, concurrence, réforme de l’Etat…) et en contrepartie, ils peuvent obtenir des prêts et la possibilité de conserver un peu plus longtemps des déficits publics.

Peter Ricketts, ambassadeur de Grande-Bretagne en France, recommande lui aussi plus de flexibilité. Ce n’est pas vraiment l’avis de Benoit Coeuré de La BCE qui pense qu’il faut faire plus de transfert de souveraineté. Quand à Gerhard Cromme, président de Siemens, il est convaincu qu’il faut se concentrer sur la relation franco-allemande.

Les solutions des économistes

Les histo pessimistes sont guidés par Robert Gordon de la Northwestern University. Ils pensent que les progrès les plus faciles ont été réalisés. La croissance est condamnée à s’essouffler et surtout elle ne créera plus d’emplois. En France, le courant est représenté par "Les économistes atterrés", "Les économistes du Front de gauche", "Le cercle des éconnomistes". Ils font partie des nostalgiques qui pensent que la croissance détériore l’environnement, détruit des emplois, crée des inégalités et "détruit le bonheur". Pour Laurent Alexandre de DNA Vision, ce genre de discours vient de ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans la Silicon Valley. Une immense révolution est en train de changer notre siècle. Elle sera pour l’essentiel concentrée autour des technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences du cerveau). Avoir un président de la République qui n’a pas d’ordinateur sur son bureau en dit long sur la difficulté des politiques à comprendre ce qui se passe.

Les techno optimistes que l’on rencontre entre la Californie et la Corée du Sud, comme Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, pensent que l’évolution des technologies n’a pas encore fait sentir ses effets les plus massifs. Pour le moment, les biotechnologies, les nanotechnologies ou les énergies renouvelables sont encore à des stades très peu avancés.

Cette divergence d’opinion n’est pas très grave car le rôle d’un économiste n’est pas de prévoir quoi que ce soit. Si quelqu’un pouvait prévoir le futur, l’Union Soviétique serait le pays le plus développé du monde. Or l’URSS n’existe plus, tout simplement parce que ses structures étaient fondées sur l’idée que pour l’élite au pouvoir, le futur était prévisible, planifiable et donc contrôlable.

En France, les risques de dérapage sont importants

Quand notre classe politique sortira de ses petites affaires et lèvera le nez au-delà des prochaines échéances électorales, elle découvrira que le monde qui vient est si lourd de menaces que les guerres sont à nouveau possibles. La grande stagnation dans laquelle nous sommes peut avoir des conséquences dramatiques. Telle est l’opinion développée par Jean Hervé Lorenzi et Mickaël Berrebi dans leur livre "Un monde de violences. L’économie mondiale 2015-2030".

Nous ne sommes pas loin d’une crise sociale absolue pour Georges Plassat, président de Carrefour. L’abandon des investissements de maintenance, la passion pour le low-cost, la baisse de l’innovation et de l’innovation plus le chômage des jeunes ont produit de très sérieux dégats.

L’exaspération monte. L’opposition attend que le gouvernement se plante pour lui succéder et se planter à son tour, a dit Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères. Le tournant arrive…

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