Réformes de droite, réformes de gauche : petite histoire de l’opinion publique face aux lois sur l’Education nationale<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation contre la réforme des collèges.
Manifestation contre la réforme des collèges.
©Wikimedia Commons

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Au cœur du débat public, la réforme des collèges agite enseignants, parents et politiques. L'opinion des Français varie selon les projets scolaires et aussi en fonction de la couleur politique de ceux qui les portent.

Richard Etienne

Richard Etienne

Richard Etienne est professeur en sciences de l'éducation. Il travaille notamment sur le changement en éducation, sur l'éducation du citoyen, ainsi que sur la pédagogie du voyage scolaire.

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Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Atlantico : 72% des Français étaient en faveur d'un retour de la semaine de cours à quatre jours et demi, selon un sondage Harris Interactive publié en juillet 2012. A l’époque Vincent Peillon est ministre de l’Education nationale. 2 ans après, Benoit Hamon le remplace et en septembre 2014 une large majorité de sondés, 60%, contestent la légitimité de la réforme des rythmes scolaires (sondage de l'institut CSA pour RTL, voir ici). Ils étaient 47% un an auparavant. Si les Français semblaient pour une réforme instauration d’une semaine de 4 jours et demi, au fil du mandat du gouvernement de François Hollande, une opposition s’est constituée. Est-ce la déception de l’application de la réforme ou un sentiment de contestation à l’égard du quinquennat actuel ?

Richard Etienne : Il est évident que toute réforme entraîne des mouvements d'adhésion ou de rejet. La réforme des rythmes scolaires partait de l'intérêt des enfants et faisait suite à une réforme menée par Xavier Darcos qui avait supprimé une demi-journée de classe. L'Académie de Médecine avait préconisé d'alléger la journée scolaire en retournant à 9 demi-journées dont le samedi. Vincent Peillon n'a pu appliquer sa réforme. Elle a été défigurée par le recours systématique au mercredi matin et surtout les animations prévues sont devenues payantes. Bref, comme toute réforme, elle a été défigurée, appliquée par une majorité de mairies qui ont viré à droite et cela a déterminé une désapprobation dans l'opinion qui n'y a pas vu les bienfaits promis pour le développement de l'enfant.

Bruno Jeanbart :La réforme des rythmes scolaires a suscité dès l’origine des réactions contrastées. C’est assez classique pour ce type de réformes, qui comporte de multiples dimensions et pour laquelle il est dès lors difficile de résumer la position de l’opinion a un pour ou contre pur et simple.

Ainsi, le principe d’alléger la charge de travail dans une journée, appréciée des Français, se heurte à l’augmentation du nombre de jours à l’école, qui a toujours été perçue de manière plus complexe par les parents d’élèves. D’autre part, la montée des contestations contre cette réforme a troublé une partie de l’opinion, en renforçant l’idée que sa mise en place était complexe et ne remplissait pas forcément ses objectifs initiaux.

La mobilisation d’une frange des acteurs de l’école contre cette réforme a pu conduire une partie des Français a se positionner différemment au fil du temps, en popularisant les arguments des opposants, et ce d’autant plus que la montée du mécontentement à l’égard du pouvoir était générale. Car dans le fond, l’opinion juge souvent une réforme sur deux dimensions: la réforme elle-même mais aussi celui qui la porte. On a vu par exemple l’attitude à l’égard de la lutte contre les déficits et la dette se modifier fortement dans l’électorat de gauche lorsque François Hollande l’a repris à son compte. Ce principe explique pourquoi il est toujours difficile de faire passer ses projets plus le mandat avance, avec l’impopularité qui l’accompagne.

Quels sont les avantages et les inconvénients à être un ministre de gauche ou de droite lorsqu’on veut faire adhérer les Français à une réforme scolaire ?

Richard Etienne : Les "grandes réformes" ont paradoxalement été faites par la droite (prolongation à 16 ans de l'instruction obligatoire en 1959 sous de Gaulle, collège unique en 1975 sous Valéry Giscard d'Estaing). Mais quelques-unes ont échoué comme la tentative de Bayrou de réformer la loi Falloux qui a mis également 1 000 000 de personnes dans la rue. Les ministres de gauche ont eu de graves soucis avec les réformes comme Alain Savary contraint de démissionner en 1983 par François Mitterrand qui renonçait au "grand service public d'éducation". Ils ont toutefois réussi à mener des réformes comme la création des Zones d'Education Prioritaire en 1982 ou la première loi d'orientation sur l'école en 1989. Mais ces réformes sont moins radicales que les autres même si aucune n'a eu l'ampleur de ce qui a pu se passer en Finlande ou au Québec. L'explication est donnée par les observateurs qui notent qu'il y a en France 66 000 000 de "spécialistes de l'école". On pourrait affirmer qu'il est impossible de réformer l'école en France. Les ministres de droite essaient de le faire de manière autoritaire mais le système finit par amortir et absorber les réformes. Les ministres de gauche s'appuient sur la "deuxième gauche" mais la première qui réclame toujours plus de moyens et s'appuie sur de puissantes confédérations syndicales finit toujours par avoir la peau de la réforme comme on l'observe en ce moment avec la réforme du collège.

Bruno Jeanbart : Tous les gouvernements, de droite ou de gauche, ont eu à faire face à des révoltes issues ou autour du monde de l’éducation. Ce sont des sujets extrêmement sensibles car ils concernent l’ensemble de la société (nous avons tous un avis sur l’école) et touchent à un symbole fort, l’avenir des jeunes, dans une société où celui-ci suscite beaucoup d’inquiétudes.

Mais il est clair que la droite, plus éloignée du monde enseignant, court souvent plus le risque que la gauche de faire face à des mouvements sociaux massifs dans l’éducation que la gauche. A l’inverse, cette dernière se heurte parfois à des représentations, du côté des Français et des parents d’élèves, qui attendent de l’école désormais : l’accent mis sur l’autorité, la priorité à l’apprentissage des savoirs basiques (lire écrire compter) et donc de l’instruction au détriment de l'éducation, tendent à faire resurgir l’idéal d’un "âge d’or de l’école", désormais perdu avec lequel il conviendrait de renouer est probablement plus difficile à manier pour la gauche.

Alors que Gilles de Robien était ministre de l’Education nationale, en septembre 2006 un sondage HL2 pour 20 minutes montre que 50% des sondés estiment que "la carte scolaire est une bonne chose" alors que le même mois le sondage IFOP pour Valeurs Actuelles expliquait que 73% des sondés étaient favorables à la suppression de la carte scolaire "afin que les parents puissent inscrire leurs enfants dans l’établissement de leur choix". Comment peut-on expliquer cette différence de résultat ? Les Français sont-ils indécis en matière de réforme scolaire ?

Richard Etienne : Il y a toujours un biais dans la manière dont les questions sont formulées : si vous montrez que la carte scolaire (mesure de droite faite afin de réaliser des économies) est propice à la réussite du plus grand nombre d'élèves, tout le monde (ou du moins 50% des personnes interrogées) va trouver que c'est une bonne chose. Mais si vous dites aux personnes interrogées qu'on les prive d'une liberté, alors elles seront favorables à une inscription dans l'établissement de leur choix. Les recherches menées par Robert Ballion ont montré que cette inscription et cette liberté ne sont pas absolues mais relatives à des valeurs mais aussi à des conditions matérielles (éloignement, réputation, objectifs de l'établissement). En bref, on peut dire que les Français répondent à des questions dans des sondages mais qu'ils ne savent pas très bien ce que pourrait être une réforme scolaire. Du coup, ils réagissent en fonction de valeurs : dans le premier cas, l'égalité et, dans le second, la liberté. En France, le dernier grand débat sur l'école date de 2005. Organisé par Claude Thélot, il a réuni 1 000 000 de personnes dont 500 000 enseignants et a produit des résultats remarquables dont la loi d'orientation sur l'école de 2005. Depuis, les Français sont en quelque sorte privés de débat et dont dans des oppositions plus idéologiques que fondées sur la réalité de l'école.

Bruno Jeanbart : Ils sont d’autant plus indécis que l’on néglige souvent la complexité de ces sujets et le temps qu’ils mettent à infuser dans l’opinion. Si l’on prend l’exemple de la carte scolaire, il faut bien comprendre que ce concept, jusqu’au débat qu’il a suscité dans les années 2000, était souvent abscons pour les Français. Si le terme bénéficiait d’une certaine notoriété, le sens exact de ce que recouvre la carte scolaire n’était pas forcément maîtrisé dans l’opinion.

Dès lors, la manière d’aborder ce sujet pèse énormément sur les opinions et les représentations. D’un côté, la possibilité de rendre la liberté de choix de l’établissement scolaire aux parents est très populaire, comme le montre les enquêtes et les pratiques (l’évitement scolaire est la conséquence de cette aspiration). De l’autre, l’idéal d’une école qui cherche à gommer les inégalités est également très fort, d’où les distorsions entre les enquêtes qui peuvent expliquer ces écarts. L’indécision de l’opinion sur les sujets d’éducation est donc souvent lié à la difficulté de poursuivre des objectifs souvent contradictoire dans ce domaine : concilier liberté et égalité est loin d’être simple. Mais de même que les Français n'arbitrent pas uniquement pour l’une ou l’autre de ces valeurs, sur ces sujets, il convient de s’intéresser davantage à la hiérarchie entre ces deux objectifs qu’à leur opposition. Dès lors, la bataille pour rallier l’opinion s’organise autour de la capacité à convaincre de l’effet majeur de la réforme, sur ces différents enjeux. C’est le rôle et la fonction du débat politique dans le fond.

En pleine réforme des rythmes scolaires, 71% des personnes interrogées répondaient oui à la mise en place d’un nouveau rythme avec des cours le matin et du sport l’après-midi, comparable à ce qui se fait en Allemagne (sondage Metro/LH2 en juin 2011, voir ici). Luc Chatel était au ministère de l’Education nationale à cette époque. L’opinion des Français est-elle toujours aussi tranchée en matière de réforme scolaire ? Y a-t-il eu une évolution de l’opinion des Français sur le sujet ?

Richard Etienne : C'est étonnant : les Français rêvent de l'Allemagne mais elle a vécu le drame des premiers résultats de PISA qui la classait après la France. De nombreux colloques ont eu lieu. L'opinion publique s'est émue et l'école a été réformée pour que les élèves apprennent davantage. Le sport l'après-midi n'est plus une réalité dans les écoles allemandes et tout le monde s'est mis sérieusement au travail. Les résultats récents confirment un bond en avant. On peut donc réformer l'école en Allemagne sur la base de résultats devant être améliorés mais la France reste dans une vision dépassée de ce qui se fait. Sans doute par manque d'émissions et de médias sur l'école : il y a plusieurs années que le Monde de l'éducation a disparu. Donc, il n'est pas étonnant que parfois les Français donnent l'impression de vouloir réformer l'école sur la base de tout et son contraire. En conclusion, on pourrait faire comme au Québec ou en Finlande et détacher l'école des alternances politiques pour la penser sur de longues périodes puisque plus de 80% des élèves y passent 20 ans (de 3 à 23 ans). L'école a fait des progrès mais les réformes n'ont pas entamé l'ADN sélectif du second degré (collège et lycée).

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