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Quitte à faire pression sur un Etat en matière de lutte contre le dérèglement climatique, pourquoi c’est vers la Chine que les signataires de pétition devraient se tourner
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Affaire du Siècle

Si Pékin tente d'inverser la tendance, la Chine reste malgré tout le principal pollueur de la planète.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico : Alors que 70% des nouvelles capacités mondiales de production de charbon se trouvent en Chine et que ces centrales produisent plus que la totalité des centrales à charbon situées aux États-Unis, est-il possible de contrer efficacement la Chine en vue de lutter contre le réchauffement climatique ? 

Myriam Maestroni : Je pense que c'est une très mauvaise façon de poser le problème. Depuis octobre 2017 -lorsque le Président Xi Jinping lançait un ambitieux projet politique d’Eco-civilisation, la Chine a confirmé des positions très fermes en matière d'efforts à effectuer pour lutter contre le réchauffement climatique, contrairement aux États-Unis qui, sous le gouvernement Trump, se sont retirés des Accords de Paris-. De plus, le pays, qui, quant à lui, a ratifié les Accords de Paris, dès septembre 2016, lors du G20 tenu à Hangzhou, est aujourd'hui en position de leadership quant à la mise-en-œuvre de ces Accords.

Bien entendu, cela supposera des efforts colossaux pour le géant asiatique, qui tire quelque 70% de son électricité du charbon, produisant environ 30% des émissions mondiales de CO2 (vs 15% pour les USA).

Le challenge est d’autant plus vrai dans un contexte de croissance continue, d’un pays immense -sa population représente près de 5 fois la population américaine-, qui a vu sa classe moyenne[1] exploser (elle compte aujourd’hui 350 à 400 millions de personnes soit 6 fois la population française) et donc ses besoins en énergie et son niveau d’émissions de CO2 augmenter -même si ce dernier représente moins de la moitié du niveau américain per capita-.

Ainsi, même s'il est vrai que la production et la consommation de charbon chinoise est de loin la plus importante au monde (pour un pays qui, ne l’oublions pas, a besoin de produire plus du quart de l’électricité mondiale), et donc, sujet naturel de fortes critiques, il me semble nécessaire d'avoir une double lecture.

En effet, la Chine est, également aujourd'hui, le pays qui dispose des premières capacités de production en éolien au monde - environ 25% de la capacité mondiale-, en solaire photovoltaïque -23% du total mondial- et en hydroélectricité -28,6% du total mondial-. Se faisant, les énergies renouvelables y représentent 20% de la production énergétique globale.

Il est d’ailleurs important de bien comprendre qu’au-delà des enjeux de contribution à l’effort global en matière de lutte contre le réchauffement climatique, la Chine avait, également, une réelle urgence, à faire face au phénomène d’ « airpocalypse » c’est-à-dire à d’inquiétants épisodes de pollution qui saturaient, notamment l’air des villes, en particules fines à des niveaux de concentration très largement supérieur aux seuils jugés dangereux par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)… et par la population elle-même, extrêmement mobilisée pour retrouver un ciel bleu devenu depuis longtemps totalement invisible. Cela explique d’ailleurs que Pékin ait décidé de stopper définitivement sa dernière centrale thermique au charbon et de bannir ce dernier de son mix énergétique.

Face à ces différents gages, il me semble donc assez peu rationnel de nier ou de minimiser la réelle volonté politique de s'acheminer vers un mix énergétique plus vert et, de facto, de jouer un rôle dans la tentative de limiter le réchauffement tel que prévu dans les Accords de Paris.

Alors que la Chine avait promis de mettre un terme à la construction de centrale à charbon, de nouvelles entrent encore en service. Comme la communauté internationale peut-elle se faire entendre par Pékin ? 

En fait la Chine, qui s’est engagée dans le cadre de son plan quinquennal à plafonner sa capacité de centrales à charbon à 1110 GW d'ici 2020, vient d’être accusée par l’organisation américaine CoalSwarm de mettre en service de nouvelles  capacités de production « cachée » qui pourraient  s'élever à 259 gigawatts (GW), ce qui représenterait « plus que la totalité des centrales à charbon aux États-Unis et une augmentation de près de 25 % par rapport aux capacités actuelles » toujours selon cette organisation qui s’appuierait notamment sur des images satellites.  Pourtant aujourd'hui, en principe la construction des centrales à charbon a été stoppée. En supposant donc que ces accusations se révèlent fondées, il faut prendre en compte que, même si le gouvernement chinois, pourtant réputé plus qu’efficace en matière d’application de ses décisions, se retrouve face au temps de latence évident entre le démarrage de la construction de ces centrales et leur mise en service. De ce fait, ce n'est pas parce que certaines centrales entrent ou vont entrer dans quelques temps en service, qu'elles viennent juste d'être construites. D’ailleurs le rapport précise que le problème relevé remonte à « septembre 2014, lorsque le gouvernement central a transféré le pouvoir de délivrer des permis de construire aux autorités locales », car cette « décision aurait entraîné une multiplication par trois des permis de construire entre 2013 et 2015, alors accepté par les gouverneurs locaux, et qui auraient relancé des projets à l'arrêt pour faire repartir la croissance économique et même régularisé après coup de centrales à charbon illégales » Or, le gouvernement, « s'apercevant de son erreur, a fait passer, dès 2016, une série de restrictions pour refréner les constructions », mais cet « ordre -toujours selon Coal Swarm semble n’avoir pas été suivi d'effet, car la plupart des chantiers auraient été poursuivis. De plus l'exploitation de celles qui étaient déjà en service demeure.

Les besoins en énergie sont considérables –et ils ne cessent de s'accroître- mais ils sont moins dépendants des centrales à charbon. En effet, au-delà des énergies renouvelables, le nucléaire se développe également largement en Chine. La fusion, début février 2018 de la CNNC (China National Nuclear Corp) et la CNEC (China Nuclear Engineering & Construction), pour en faire un géant de 150.000 salariés, pesant en Bourse plus de 100 milliards de dollars, en est une illustration. Concrètement, cela va se traduire par une augmentation du nombre de réacteurs qui passerait de 38 à 57 (19 en cours de construction), avec une volonté affichée par le gouvernement chinois de doubler cette capacité pour atteindre 120 à 130 GW en 2030…. Même à ce niveau (au double de la France qui produit 70% de son électricité par du nucléaire avec 58 réacteurs) pour la Chine cela ne correspondrait qu’à moins de 10% de la production électrique du pays.

Toujours dans l’intention de réduire le niveau de ses émissions de CO2, la Chine est également, selon l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) en train de se convertir en premier importateur de gaz naturel, avec de plus en plus de centrales à gaz supposées remplacer les centrales à charbon. D’ici à 2023, la Chine, a prévu d’accroitre ses consommations de gaz naturel de 40%, avec une multiplication des accords avec la Russie, qui frappée par les sanctions américano-européennes, depuis la guerre de Crimée, se tourne vers la Chine pour écouler son gaz.

Globalement, bien que des progrès soient encore possibles, il est donc indéniable que la communauté internationale s'est d'ores et déjà fait entendre par Pékin.  Par ailleurs, elle a, dans son ensemble, saluée les efforts fait par le gouvernement chinois. 

A l'heure actuelle, et compte tenu des dispositions prises par Pékin, est-il toujours souhaitable de maintenir une certaine pression sur la Chine afin qu'elle respecte ses engagements énergétiques ?

Je pense qu'il faut surtout faire pression sur les Etats-Unis étant donné que le pays a quitté les accords de Paris… un « petit sujet » qui devait également intéresser Coal Swarm… et ce, même si, les entreprises américaines continuent de miser, pour les plus évoluées, sur la croissance verte. 

Aujourd'hui, la Chine a compris quelque chose que ni les Etats-Unis ni l'Europe ne semblent avoir bien pris en compte : non seulement il y a un intérêt sociétal et citoyen à protéger notre planète et les conditions de la vie sur terre, mais également un intérêt strictement économique….Il s’agit donc de faire d’une pierre trois coups, en créant de la croissance verte, en réduisant les externalités négatives (coûts cachés résultant des dommages contre l’environnement -santé, dégâts climatiques, etc- mais en luttant également efficacement contre le réchauffement climatique.

Ces dispositions permettent, de plus, à la Chine d’afficher et de développer une position de leader en la matière tant sur le plan domestique que sur la scène internationale, avec un programme politique salué à l'étranger, à commencer par le propre gouverneur californien Jerry Brown, qui n’a pas hésité à rencontrer le Président chinois sur le sujet de la lutte contre le changement climatique.

En termes purement économiques, la Chine a fait le pari de basculer, sur le marché intérieur, dans l'économie verte avec de multiples exemples à l’appui dont celui des véhicules électriques, dont près de la moitié des unités vendues ces dernières années ont été destinés à la Chine soit 600.000 véhicules -sachant qu’environ 30% de la pollution totale du pays provient des voitures à essence-. Cela suscite bien sûr de nombreuses vocations dont la nouvelle Weilai, qui signifie, en mandarin, "le ciel bleu arrive", lancée par Nio, une parmi des milliers de start up dont le PDG, William Li, 43 ans, serial entrepreneur, 1.500e fortune mondiale, se rêve en Elon Musk chinois.

Bref, les Chinois, soutenus par un programme politique volontariste paraissent donc avoir compris quelque chose qui semble encore échapper à de nombreux pays, à savoir les secrets d’une croissance économique durable autour de ce nouveau paradigme éco-énergétique. Un pari qui pourrait, sans doute, contribuer à transformer le pays en première puissance économique mondiale comme l’annonçait le Président Xi Jinping, plus que déterminé à capitaliser sur ces nouvelles opportunités…

[1] Définie comme telle à partir d’un niveau de revenus égal ou supérieur à 120.000 Rmb (soit environ 15.000€)

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