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La Russie semble avoir inventé une nouvelle et redoutable manière de censurer internet.
La Russie semble avoir inventé une nouvelle et redoutable manière de censurer internet.
©Mikhail KLIMENTYEV / Sputnik / AFP

La Minute Tech

Dans une tentative de réguler les réseaux sociaux et pour réduire l'influence de Twitter, le Kremlin semble avoir développé de nouvelles techniques pour restreindre l'accès à certains sites et contrôler l'information en ligne.

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte est docteur en information scientifique et technique. Maître de conférences à l'Université Catholique de Lille et expert  en cybercriminalité, il intervient en tant qu'expert au Collège Européen de la Police (CEPOL) et dans de nombreux colloques en France et à l'International.

Titulaire d'un DEA en Veille et Intelligence Compétitive, il enseigne la veille stratégique dans plusieurs Masters depuis 2003 et est spécialiste de l'Intelligence économique.

Certifié par l'Edhec et l'Inhesj  en management des risques criminels et terroristes des entreprises en 2010, il a écrit de nombreux articles et ouvrages dans ces domaines.

Il est enfin l'auteur du blog Cybercriminalite.blog créé en 2005, Lieutenant colonel de la réserve citoyenne de la Gendarmerie Nationale et réserviste citoyen de l'Education Nationale.

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Atlantico : La Russie semble avoir trouvé le moyen de restreindre l’accès à Twitter en réduisant le flux de données lorsqu’on cherche à y accéder. Comment peut-elle faire cela ? Est-ce la première fois ?

Jean-Paul Pinte :Ce n’est pas la première fois que le Kremlin chercheà contrôler l'information en ligne en censurant ou en supprimant des contenus et en bloquant complètement l'accès à Internet. Elle le fait depuis dix ans mais cette fois, les autorités russes s'attaquent de manière agressive aux plateformes de réseaux sociaux qui sont dominées par des entreprises américaines. En mars dernier, les utilisateurs ont constaté que le chargement des photos et des vidéos sur Twitter était plus lent que d'habitude en Russie. Cependant, il ne s'agissait pas d'une défaillance du réseau ou d'une erreur de serveur, mais d'une action délibérée du régulateur d’Internet russe, Roskomnadzor, visant à limiter le trafic vers Twitter.

Le site « Développez.com » nous signale même que l’autorité de régulation russe a resserré la plateforme américaine en représailles à ce qu'elle a décrit comme un échec dans la suppression de milliers de posts qui « encouragent le suicide des mineurs et contiennent de la pornographie enfantine ainsi que des informations sur la consommation de drogues ». Cette mesure est intervenue après que les autorités russes eurent accusé Twitter et d'autres réseaux sociaux en janvier de ne pas avoir supprimé des messages incitant les enfants à participer à des manifestations antigouvernementales.

Il faut aussi rappeler que les députés russes ont adopté le 23 décembre 2020, une loi permettant à Moscou de bloquer des sites Internet étrangers en cas de « censure » et de « discrimination » de médias locaux. Ce texte semblait viser officieusement Facebook, YouTube, Twitter et
les plateformes américaines, qui sont devenues de plus en plus agressives vis-à-vis des informations venues de médias Russes et de la désinformation en ligne.

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La plateforme Twitter est ainsi accusée par Moscou de ne pas suffisamment faire son travail en matière de modération et les autorités russes ont annoncé mi-mars 2021 donner un mois au réseau social américain Twitter pour supprimer les contenus "illégaux" de sa plateforme, sous peine de blocage dans le pays.

"Afin de protéger les citoyens russes et d’obliger le service internet à se conformer à la législation russe, des mesures de réponse centralisées ont été prises à l’encontre de Twitter à partir du 10 mars 2021, à savoir le ralentissement de la vitesse du service", a indiqué dans un communiqué le gendarme russe de l’internet et des médias, Roskomnadzor.

"Le ralentissement sera mis en oeuvre sur 100 % des appareils mobiles et 50 % des appareils fixes", a précisé cet organisme qui a le pouvoir de bloquer des sites ou ressources internet en Russie. Roskomnadzor a assuré avoir envoyé "plus de 28.000 demandes de suppression initiales et répétées de liens et de publications illégales" à la firme américaine depuis 2017, sans effet.

Ce lundi 5 avril, le régulateur des communications de l’État russe, le Roskomnadzor, a annulé sa menace antérieure de bloquer entièrement Twitter. Il procédera différemment, et prévoit de prolonger sa décision de ralentir Twitter jusqu’au 15 mai. La législation russe d’internet est extrêmement sévère, et aime que les plateformes et divers sites se conforment aux exigences et volontés des organes de surveillance d’État. Selon la loi, par exemple, les réseaux sociaux disposent de 24 heures pour supprimer un contenu interdit. Or, le temps moyen de suppression de Twitter est d’environ 81 heures.

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La Russie a pour cela construit toute une infrastructure en essayant de préserver ce qu'elle appelle sa souveraineté numérique ou Internet. Donc, actuellement, le Kremlin a la capacité technique de bloquer les plates-formes. Au fil des ans, les autorités russes ont adopté une approche globale pour essayer de contrôler toutes les sphères d'expression en ligne. On cite ainsi depuis un moment des lois qui imposent l'enregistrement des blogueurs populaires et obligent les entreprises à stocker les données des utilisateurs russes sur des serveurs en Russie.

Bien que la fermeture des plateformes de médias sociaux occidentaux populaires en Russie puisse être faisable, cela pourrait ne pas être efficace pour faire taire l'opposition dans le pays. On peut noter que depuis le blocage de Telegram en 2018, de nombreux Russes avaient appris à utiliser les réseaux privés virtuels (VPN) pour masquer leur adresse IP et accéder au contenu bloqué. Les gens trouveraient toujours des moyens de se connecter, de se mobiliser et de sortir dans la rue.

Les experts pensent qu'en ralentissant le trafic réseau, la Russie espère que ses citoyens seront trop frustrés pour utiliser le site. Cette mesure a toutefois eu des effets secondaires involontaires. Tout le contenu de Twitter étant hébergé sur t.co, les régulateurs russes ont bloqué tous les domaines contenant « t.co » dans leur chaîne. De nombreux autres sites, dont Microsoft.com et Reddit.com, ont donc également été bloqués.

Pourquoi la Russie cherche-t-elle à limiter l’accès à Twitter et pas à un autre réseau ?

Le réseau de microblogging Twitter est un canal de communication largement utilisé en Russie par les partisans de l'opposant Alexeï Navalny, dont la condamnation récente à une peine de prison le mois dernier a déclenché des manifestations dans le pays.

Twitter facilite aussi plus encore que d’autres réseaux la diffusion de contenus "illégaux" : ceux jugés pédopornographiques ou faisant l'apologie de l'usage de drogues ou du suicide. 

La démarche des autorités russes s'inscrit donc dans un contexte de critiques à l'égard des géants (majoritairement américains) que sont Twitter, Facebook, YouTube et dans une moindre mesure TikTok. Moscou a depuis des semaines en ligne de mire ces grands réseaux sociaux, accusés notamment d'avoir laissé se diffuser des publications illégales en soutien à l'opposant emprisonné Alexeï Navalny. Le sénateur russe Alexandre Bachkine a réagi, assurant que cette mesure "constituera une bonne douche froide qui donnera à réfléchir à YouTube et à tous les autres". 

La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a accusé les géants de l'Internet de "fonctionner en dehors du cadre juridique" et de "n'obéir à aucune loi russe". Début mars 2021, Facebook avait bloqué des articles des médias russes RBK et TASS sur l'arrestation d'"extrémistes" ukrainiens présumés.

Brider l’accès aux sites plutôt que de les bloquer est-il un moyen efficace et détourné pour les régimes autoritaires de pratiquer la censure ?

Difficile de choisir entre le fait de brider ou de bloquer lorsque l’on parle des réseaux sociaux dans un pays car, aujourd’hui ils impactent les échanges du monde entier et nul ne peut dire si la Russie pourrait s’en passer, qu’il s’agisse au niveau des citoyens que des entreprises ou encore des administrations.

Une loi adoptée par les députés russes a été imaginée pour contrer les sanctions des réseaux sociaux américains contre les médias du pays. Les députés russes ont ainsi permis de pouvoir bloquer des sites Internet, tels que Facebook, Twitter ou Youtube, si ces derniers sont reconnus coupables de "censure" ou "discriminations".

Cette affaire illustre les tensions croissantes entre Moscou et les grands réseaux sociaux étrangers ces derniers mois, la Russie dénonçant leur toute-puissance et critiquant leur modération des contenus, notamment politiques.

En réaction, les autorités n'ont cessé ces dernières années de serrer la vis sur le "runet", l'internet russe, au nom de la lutte contre l'extrémisme, le terrorisme et la protection des mineurs. Des concepts fourre-tout selon les détracteurs du Kremlin, qui y voient des tentatives de censure. La Russie bloque déjà avec un succès variable nombre de sites d'opposition ou ayant refusé de coopérer avec les autorités, comme par exemple le réseau social professionnel LinkedIn, détenu par l'américain Microsoft.

La Russie a enfin fait part de sa volonté de se doter d'un "internet souverain" capable de fonctionner de manière indépendante en cas de coupure du pays des grands serveurs mondiaux, mais aussi à accroître son contrôle sur le web.

En 2020, pas moins de 109 épisodes de coupures d’Internet ou de restrictions à la navigation en ligne ont été recensés par l’ONG Access Now en Inde, souvent accompagnés de justifications sécuritaires. En Russie, comme en Iran, réapparaissent ces derniers mois des velléités de constitution d’un réseau Internet souverain, donnant la part belle à des services hébergés sur le sol national, tout en contrôlant plus fermement les services étrangers. Si les stratégies diffèrent, de nombreux pays continuent de resserrer leur mainmise sur les télécommunications, sur fond d’enjeux cruciaux pour la liberté d’expression et les droits humains des populations.
Une émission récente de France Culture nous signale qu'en Iran l'accés à « l’internet mondial » est encore possible mais plus contraint, sur un plan tarifaire notamment, et avec ce phénomène des coupures d’accès en période de mouvements sociaux qui isolent alors le pays du reste de la planète. 
En Russie, le correspondant du journal à Moscou Benoît Vitkine, rapportait aussi que jeudi dernier la stratégie numérique était globalement la même mais habillée, justifiée différemment : le Kremlin parle de « défense de sa souveraineté », de sa « cybersécurité », surveille et censure les réseaux sociaux au nom de la « lutte contre la pédopornographie ». Mais la Russie de Poutine n’a pas les moyens de se passer pour l’instant des réseaux web mondiaux car les infrastructures russes sont encore très connectées au monde extérieur. De quoi laisser encore la possibilité aux vidéos Youtube du clan Navalny d’être visionnées des millions de fois, mais jusqu’à quand ?

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