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Journée de grève et de mobilisation : les manifestants anti loi El Khomri sont-ils les plus concernés par la réforme du code du travail ?
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Comme de coutume, ce sont principalement les salariés du secteur public qui descendent dans la rue pour protéger un code du Travail... qui ne s'applique pas à eux.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Education nationale, universitaires, fédération CGT des services publics mais aussi appels à la grève dans plusieurs entreprises du privé... Quelle sociologie peut-on faire des personnes qui manifestent aujourd'hui contre la loi El Khomri ? PME, grandes entreprises, services publics... Qui sont-ils ?

Eric Verhaeghe : Majoritairement des actifs qui ne relèvent pas du secteur privé ni du code du travail. Parmi eux, on trouve un grand nombre de fonctionnaires peu concernés par la réforme du marché et du droit du travail (et même pas concernés du tout), épuisés par une politique salariale publique qui n'a ni queue ni tête. Rappelons ici qu'en 2012 la gauche a arrêté le plan de suppression d'emplois lancé par Nicolas Sarkozy, avec son non-remplacement des départs à la retraite. La même gauche a même décidé de recruter de manière totalement dogmatique et populiste 60 000 enseignants en plus, sans se poser la question de l'intelligence de cette mesure. Résultat : face à la contrainte budgétaire, il a fallu rémunérer ces nouveaux venus en gelant les salaires pendant plusieurs années. Même si diverses stratégies de contournement ont été mises en place pour "dégeler" en partie la situation, il n'en reste pas moins que les fonctionnaires sont désespérés par une situation bloquée pour longtemps. 

Hubert Landier : On trouvera dans la rue trois types de manifestants.

D’abord, les conservateurs ; pour eux, tout changement au code du Travail, dès lors qu’il remet en cause certaines protections légales, apparaît comme un danger, voire comme une profanation. Et cela même s’il s’agit d’adapter le droit à l’évolution des réalités économiques et de favoriser la création d’emplois. Et même si ces protections légales sont plus formelles que réelles. Les conservateurs sont installés derrière des textes et ils craignent que leur remise en cause ne débouche sur la fin de leur tranquillité. Ce sont des rentiers qui défendent leur rente.

Viennent ensuite ceux qui sont animés par une intention idéologique ou un projet politique. Il s’agit pour eux de dénoncer "les cadeaux aux entreprises", ou "la dérive libérale du Gouvernement". Certains sans doute sont sincères dans leur indignation, mais ils ne s’aperçoivent pas qu’ils sont manipulés par des leaders soucieux d’abord de faire tomber le Gouvernement afin de prendre sa place.

Viennent enfin les réformistes, pour lesquels il s’agit d’obtenir des améliorations et qui reprochent au Gouvernement de n’avoir pas laissé davantage de place au point de vue des syndicats avant de présenter son projet.

Vous amalgamez tout ça, vous y rajoutez les revendications salariales à la SNCF et à la RATP, et ça vous donne la journée d’action du 9 mars.

Parmi les salariés qui défilent contre la loi El Khomri, combien sont réellement concernés par une réforme du droit du travail ?

Eric Verhaeghe : A ce stade, très peu et pour une raison simple : les salariés du privé savent que des adaptations sont indispensables. Chaque jour, ils mesurent l'absurdité des situations qu'ils connaissent en interne. Les protections souvent absurdes que le Code du Travail offrent aujourd'hui servent régulièrement les tire-aux-flancs et désespèrent les "travailleurs" qui jouent le jeu du collectif. Rien n'est plus agaçant pour un collègue que de devoir faire le boulot de ceux qui utilisent le Code du Travail comme une arme pour protéger leur paresse ou se défiler au maximum des tâches qui leur reviennent. L'idée que le Code du Travail n'est pas assez protecteur est une posture de ceux qui ne connaissent rien à la vie de l'entreprise. Il y a donc peu de chances pour que les salariés du privé se "retournent" véritablement contre le projet de loi. En revanche, il existe un risque évident de voir les "troupes" étudiantes servir d'idiots utiles pour une contestation dont ils seront les premières victimes. 

Quel point peut-on faire aujourd'hui de la légitimité des syndicats représentants les salariés, nombreux à se positionner contre les intentions de la loi El Khomri ?

Eric Verhaeghe : Il existe deux blocs distincts. Les réformistes se focalisent aujourd'hui contre deux ou trois mesures, comme la barémisation des indemnités de licenciement, mais ne contestent pas vraiment le fond de la loi. Celle-ci propose de déroger au Code du Travail par accord d'entreprise. C'est un dispositif qui aide surtout les grandes entreprises mais les amateurs du genre trouveront que le texte va dans le bon sens. La victoire du Gouvernement est d'éviter le débat sur ces points-là et de le concentrer, somme toute, sur des points mineurs par rapport à l'économie d'ensemble. On notera que ce pôle réformiste est le plus représentatif du secteur privé : il regroupe les confédérations syndicales qui sont dominées par les fédérations du privé (CFDT, CGC, CFTC). L'UNSA fait exception parmi eux.

L'autre bloc, celui des "contestataires", qui demande le retrait global du texte, regroupe les syndicats dominés par les fonctionnaires ou les entreprises publiques. C'est évidemment le cas de la CGT et de FO, qui détiennent des bastions dans les services publics. Ceux-là ne craignent évidemment rien du chômage, ni du marché de l'emploi. Ne pas le réformer leur convient donc très bien. 

Hubert Landier : Les syndicats représentatifs des salariés au niveau national sont au nombre de 5. Deux d’entre eux, la CGT et FO, réclament le retrait du texte et trois autres, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, veulent des modifications, ce qui n’est pas la même chose.

Les autres, soit n’ont qu’une faible influence, soit ne sont pas concernés, ce qui est le cas des syndicats d’étudiants, de magistrats ou d’enseignants. Ils sont là pour faire nombre mais cela ne doit pas faire illusion.

Comment évoluer le potentiel contestataire de l'articulation du mouvement social contre la réforme ferroviaire et de celui contre la loi El Khomri ?

Eric Verhaeghe : C'est la grande inconnue, et la grande crainte du Gouvernement ! La peur de voir un "mouvement social" éclaté de façon fortuite, mais qui surferait sur la grogne latente dans le pays, traverse le pouvoir depuis la crise de 2008. C'est le réflexe bien connu du : "Et si les Français descendaient dans la rue pour préparer le Grand Soir" ? Chaque conjonction de mouvement social donne lieu à la même crainte. Rien n'exclut qu'elle ne se produise, mais cette idée est forcément biaisée par la reconstruction a posteriori de l'histoire de la Révolution Française. Des générations d'historiens marxistes nous l'ont dépeinte comme un basculement brutal de l'ombre vers la lumière, conduit par des bourgeois et réalisé par des foules en colère. La réalité de la Révolution est très différente. Elle s'est plutôt produite par une série de basculements de petite ampleur, et par des réactions politiques désordonnées, aléatoires, qui ont fini par "faire Révolution". Nous pourrions assister à un phénomène de ce genre dans les jours à venir, mais il faut se souvenir qu'il a déjà commencé. Rappelons qu'un Français sur dix a manifesté le 11 janvier 2015 pour une forme d'unité nationale. Cette aspiration n'a pas tardé à être déçue. De mon point de vue, le potentiel contestataire se trouve plus de ce côté-là que du mouvement "social".

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