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Faire des européennes un référendum anti-Macron : l’aveu de faiblesse de RN et LFI
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

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Le fait de vouloir faire de ces élections européennes un référendum anti-Macron trahit-t-il une absence de fond chez La France insoumise et le Rassemblement National?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Au regard des différents sondages d'opinion concernant les prévisions de vote en vue des élections européennes, que penser de la stratégie du Rassemblement National et de La France insoumise qui semblent vouloir faire de ce scrutin un référendum anti-Macron?

Edouard Husson :  Il est intéressant de comparer les sondages actuels aux résultats de 2014. Dans le sondage IFOP actualisé du 14 mai 2019, le Rassemblement National et les Patriotes sont à 23+2,5, soit à peu de choses près les 24,8% de 2014. Si vous regardez ce qui est perdu par LR (6 points), les centristes (8 points) et le PS (8 points) dans les sondages actuels par rapport au résultat de 2014, vous obtenez le score prévu pour LREM: 22 points. Debout la République faisait un peu moins de 4% en 2014, on promet quelques dizièmes de points en plus à Debout la France. Le Front de Gauche faisait un peu moins de 7%, la France insoumise gagne à peine 2 points à 8,5% dans le sondage de l’IFOP. Donc en gros les sondages nous indiquent d’un côté la confirmation du bouleversement du premier tour de l’élection présidentielle au coeur du spectre autrefois couvert par UMP + UDI/Modem + PS. Et de l’autre une étonnante incapacité à faire bouger les lignes, plus à droite ou plus à gauche de ce noyau central. Le Rassemblement National + la France Insoumise peuvent bien pointer du doigt Macron: il vaudrait mieux se demander pourquoi eux-mêmes ne possèdent pas la même capacité à dynamiter, respectivement, la gauche et la droite. 

Christophe Bouillaud : Il faut comprendre que cette stratégie de nationalisation est largement inévitable pour la plupart des partis dans la mesure où encore cette fois-ci les électeurs français semblent découvrir à quoi sert le Parlement européen. Les élections européennes ont beau avoir lieu en France depuis 1979, il semble bien en effet que la plupart des électeurs n’aient pas encore compris exactement à quoi servent ces élus européens, il est vrai que les grands médias français ne parlent que très peu de ce qui se passe au Parlement européen dans l’intervalle entre deux élections européennes. Bref, à moins d’être un électeur vraiment très bien informé des affaires européennes, en réalité, on vote essentiellement en fonction de considérations françaises, même si on dit le contraire dans les sondages.
 De plus, concrètement les futurs élus du Rassemblement national comme ceux de La France insoumise en dépit des proclamations grandioses d’Europe qui va changer à la veille de l’élection seront en toute probabilité confinés dans l’opposition au sein du futur Parlement européen. En effet, sauf surprise d’ampleur historique, une grande coalition centriste va se reformer au lendemain des élections européennes, et ni le RN ni FI ne seront invités à en faire partie. Or, comme le montre l’enquête du Monde sur les élus du FN/RN lors de la législature européenne qui s’achève, lorsqu’on est un parti se situant hors de cette grande coalition centriste, on n’a pas grand-chose à faire au Parlement européen, on tourne en rond. On pourrait d’ailleurs tout aussi bien ne pas siéger, cela ne changerait pas grand-chose en réalité. Le Parlement européen donne en effet surtout à ses oppositions de droite et de gauche le droit de regarder les trains législatifs passer et de se taire. Donc, ce n’est pas très porteur d’aller expliquer aux électeurs qu’on va aller siéger en leur nom dans un Parlement où l’on jouera au final les utilités. Du coup, cela parait plus rationnel et plus porteur de faire simplement de l’élection européenne un moment de critique du pouvoir national en place, donc en termes partisans un « référendum anti-Macron », une classique élection intermédiaire en somme. 

Quelles sont les limites d'une telle stratégie ?

Edouard Husson : Attaquer en permanence Emmanuel Macron est totalement contre-productif: cela revient à tendre en permanence un miroir à Narcisse, qui vit et prospère du fait qu’on le place au centre des débats. Est-ce que la France Insoumise et le Rassemblement National ont un projet à eux? Ce n’est pas l’impression qu’ils donnent. Jean-Luc Mélenchon avait réussi quelque chose lors de l’élection présidentielle: il avait fait advenir une véritable gauche en faveur de qui on avait voté dans un peu toutes les classes sociales. C’est-à-dire que Mélenchon avait représenté un élément d’alternative à Macron. Ceci s’est perdu durant les deux ans qui viennent de s’écouler.  De même, on remarque que la dynamique de deuxième tour de l’élection présidentielle, qui avait vu Nicolas Dupont-Aignan appeler à voter pour Marine Le Pen: le RN, les Patriotes et DLF rassemblent 30% d’intentions de vote; s’ils avaient su s’unir, ils auraient largement distancé LREM et représenté un véritable choc pour le système, équivalent, mutatis mutandis, à la percée de Macron au premier tour de 2017. 

Christophe Bouillaud : Pour l’instant, cette stratégie ne semble en effet pas très porteuse. Selon les derniers sondages, le RN plafonne à 22/23% des suffrages, soit moins que son score de 25% des européennes de 2014. Mais, en cumulant ce score avec celui des Patriotes, autour de 1/2%, on n’est certes pas très loin de l’étiage de 2014. Du côté de la FI, les sondages la donnent à 8%. Un tel score décevant a priori au regard de la présidentielle de 2017 serait cependant déjà mieux que celui du Front de gauche (FG) en 2014 qui n’avait fait que 6,6% de voix. Or le FG comptait en son sein le PCF, qui cette fois-ci se présente seul, avec un score dans les sondages de 3%. Cette séparation entre le PCF et FI donne du coup l’impression que ce camp de « la gauche de gauche » s’est beaucoup plus affaibli depuis la présidentielle qu’il ne l’a fait en réalité.  Donc, en réalité, les deux oppositions extrêmes à droite et à gauche se tassent par rapport au premier tour de la présidentielle de 2017, mais ne s’écroulent pas. Bien sûr, en tant qu’oppositions, elles auraient pu s’attendre à une progression, comme rétribution logique de leur travail d’opposants. C’est donc décevant. 
Mais il faut bien comprendre aussi que les électeurs du RN et surtout de la FI croient savoir aussi que cette élection européenne ne changera rien dans leur vie quotidienne. S’agissant souvent d’un électorat jeune et populaire, participationniste seulement lors des grands moments politiques comme la  présidentielle, il va s’abstenir plus que les autres. C’est plus vrai pour FI que pour le RN. 
Par ailleurs, les deux forces connaissent des graves problèmes de leadership. Marine Le Pen n’est pas remise de son échec à la présidentielle de 2017. Elle avait bâti tout un récit sur le sérieux de son projet pour gouverner, rompant ainsi avec les seules ambitions tribuniciennes de son propre père. Cela n’a pas marché, et surtout elle s’est écroulée sur la dernière ligne droite. Par ailleurs, le FN a perdu Florian Philippot qui était son porte-parole omniprésent dans les médias avant 2017. Le changement de nom de FN à RN n’a en plus rien changé sur le fond. Avec le jeune candidat qu’il s’est donné, le RN semble être du coup  dans une position attentiste. Une contre-performance pourra toujours être attribuée à ce choix de tête de liste.  Du côté de la FI, Jean-Luc Mélenchon est critiqué pour sa tendance à faire de FI son parti personnel. Il n’est pas épargné non plus par les grands médias qui ne manquent pas une occasion de souligner les côtés obscurs du personnage. Il faut dire que son expression publique oscille entre le meilleur – ses interventions parlementaires - et le pire – comme lors des perquisitions au siège de son parti. Là aussi le choix d’une tête de liste peu connue pourra servir d’excuse à une contre-performance. 

Au-delà du succès relatif de cette stratégie, n'est-ce pas un aveu de faiblesse sur leur propre projet ? 

Edouard Husson : Le grand défi, pour le Rassemblement National, c’est de pouvoir élargir sa capacité à rassembler à droite. C’est-à-dire qu’il faut sortir du populisme pour aller vers une forme de conservatisme. C’est la seule façon de créer une dynamique capable de faire échec à Macron. Sinon, l’actuel président se fera fort de continuer à défendre ses 24% de premier tour de la présidentielle de 2017 au milieu des décombres du système politique. A gauche, le défi est encore plus grand: il faut, dans un monde où la social-démocratie s’est effondrée et où la majorité devient conservatrice, au sens anglo-saxon, trouver de quoi construire une alternative. Cela passe forcément par une récupération du thème de la nation, au sens de la Révolution française. or on a plutôt vu Jean-Luc Mélenchon s’éloigner du souverainisme et tenter une carte d’écologiste. Il a peu de chance de réussir vu que l’électorat Vert est soit chez Macron soit dans un parti autonome.  

Christophe Bouillaud : Ces deux partis qui promettent chacun de changer de fond en comble l’Union européenne sont en fait condamnés à échouer. Par construction même de son système politique, l’Union européenne ne peut évoluer que très lentement, de manière très consensuelle, par petits pas dans une direction ou dans une autre. Tout projet un peu ambitieux de changement n’est pas le bienvenu. Seuls les petits pas et le travail patient de construction de coalitions de cause sont bienvenus. 
Par contre, il y a sans doute une dissymétrie entre le RN et la France insoumise. Sur l’aspect contrôle de l’immigration, le RN et ses partis alliés ne rencontrent plus de grandes résistances de la part de la coalition centriste. Il suffit pour s’en convaincre de suivre les déclarations de Nathalie Loiseau, la tête de liste LREM. Comme s’en félicitent les têtes pensantes du RN ou leurs compagnons de route, ils ont gagné la « bataille culturelle » sur ce point, en France et ailleurs en Europe. Qu’il faille réduire l’immigration est devenue une évidence partagée, les centres et l’extrême-droite se contentent de discuter des moyens et de l’habillage juridique de ce refus. 
Pour ce qui est de la FI,  porté au niveau européen par une alliance nommé « Et maintenant le Peuple ! », la coalition centriste est et restera opposée à la plupart de ses propositions. L’Union européenne est fondamentalement libérale du point de vue économique, et toutes les propositions « socialistes » de la FI sont condamnées à rester lettre morte. De petites choses de détail pourront peut-être obtenues à force d’acharnement de certains eurodéputés particulièrement bosseurs, mais cela ne changera pas la face de l’Union. 
Autrement dit, la stratégie d’influence du RN et de ses alliés, si on la limite à la maîtrise de l’immigration, est plutôt porteuse, pas celle de la FI. Cette dernière hésite du coup beaucoup sur ce qu’elle attend de l’Europe. C’est donc moyennement attirant pour les électeurs. Mais, rappelons-le, c’est logique : l’Union européenne dispose par construction d’un mécanisme qui amortit tout mouvement politique brusque. Ce n’est pas une question de faiblesse de son projet, mais d’adaptation de celui-ci aux institutions « édredons » de l’Union. 

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