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Djihadisme et nazisme : petit exercice de "rhétorique-fiction"
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Rhétorico-laser

Et si l’on appliquait la lecture " sociologiquement correcte " du phénomène djihadiste à la montée du nazisme dans la jeunesse allemande avant 1933 ? Nul doute que les mêmes " analystes " se scandaliseraient à juste titre…

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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La lecture dominante du phénomène djihadiste s'inscrit dans un discours souvent déterministe et victimaire (urbanisme, pauvreté, chômage, relégation). Mais on pourrait faire de même avec les jeunes nazis d'avant 1933 : chômage de masse, déstructuration sociale, délinquance fréquente, humiliation de l'Allemagne.  Au-delà de la condamnation de ses actes – évidemment indispensable – il convient d’abord de s’interroger ce qui peut pousser aux pires extrêmes une jeunesse qui, ne l’oublions jamais, est aussi la nôtre : car les extrémistes ne manquent pas chez nous. C’est pourquoi, avant toutes choses, cette jeunesse national-socialiste nous interpelle : née en Europe, éduquée en Europe, et hélas abandonnée par l’Europe ! Avant de la stigmatiser, a-t-on assez pris en compte le véritable gouffre social et économique dans lequel on l’a précipitée ? A-t-on vu l’impact effrayant des criantes inégalités qui fracturent nos sociétés ? Et a-t-on pris la mesure d’un désespoir sur lesquels prospèrent naturellement les prophètes de malheur ? Or la gravité et la longueur d’une crise sans précédent, ses millions de chômeurs, toute la "misère du monde" touchent en priorité cette jeunesse, ajoutant à la précarité de la vie quotidienne, la double peine d’une absence de perspectives. A quoi s’ajoute l’humiliation de l’Allemagne après la dernière guerre, sa longue relégation en marge de la société européenne et notre propre intervention en Rhénanie, terreau d’un ressentiment bien compréhensible. Bref, il faut d’abord, comme nous l’ont appris les sciences sociales, contextualiser.

Et relativiser. Gardons-nous des amalgames en effet ! Ces jeunes nationaux-socialistes ne sont qu’une minuscule fraction de la population allemande. Que pèsent-ils statistiquement ? Non pas 1%, mais 1 ou 2 pour MILLE. Va-t-on, pour le dévoiement de quelques-uns, condamner une culture millénaire qui, à travers les siècles, a tant apporté à l’humanité, à commencer par notre pays ?

Non, expliquer n’est pas excuser. Oui, la violence, même aveugle, a des causes. Refuser de les voir, c’est être victime de l’illusion idéologique ; c’est tomber dans le déni ; c’est surtout s’interdire d’y remédier. Car, soyons-en sûrs, les mêmes causes produiront les mêmes effets, chaque jour plus dévastateurs.

Causes socio-économiques donc et avant tout ; mais aussi causes socio-psychologiques - les unes et les autres étant d’ailleurs intimement liées : besoin compréhensible d’idéal, fût-il destructeur, d’une jeunesse qui ne se contente jamais de la grisaille du quotidien, surtout quand ce gris vire au noir ; effondrement de l’autorité de parents dévalorisés aux yeux de leur enfants par leur propre relégation dans le chômage de masse ; repli sur la camaraderie générationnelle dans une société déstructurée ; enfin radicalisation qui prend aujourd’hui la couleur de cette idéologie délétère, après en avoir pris tant d’autres dans les dernières décennies : nihilisme, spartakisme, ultranationalisme. Dans ce cas comme dans les autres, une seule et même loi sociologique, mise en évidence par tous les travaux scientifiques sérieux : la radicalité est première, sa forme idéologique est seconde.

Sa forme sociale peut d’ailleurs elle aussi varier ; l’on a à juste titre noté le grand nombre, dans cette partie de la jeunesse fascinée par la nouvelle idéologie, d’anciens délinquants, petits et grands. Mais l’on a mal compris la signification de ce passage d’une violence à l’autre, qui n’a rien à voir avec une " prédisposition individuelle " qui, on le sait, n’a aucune base scientifique ni avec une " responsabilité personnelle " qui fleure bon la bonne vieille illusion morale - et moralisante. Ce passage, hélas regrettable, ne renvoie qu’à un seul et même phénomène : un implacable mécanisme de marginalisation.

Concluons : la violence aveugle de ces jeunes nazis ne doit surtout pas nous aveugler : elle est d’abord à replacer dans son contexte, celui d’une violence sociale subie. Et sa condamnation elle-même doit bien prendre garde à ne pas alimenter le déchaînement politiquement intéressé et manipulé –  suivez mon regard –  d’une véritable germanophobie. 

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