David Martinon : "les Taliban nouveaux étaient censés être différents, la preuve est désormais faite que non"<!-- --> | Atlantico.fr
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L'influence des Taliban à travers l'Afghanistan a pris une nouvelle dimension ces derniers mois.
L'influence des Taliban à travers l'Afghanistan a pris une nouvelle dimension ces derniers mois.
©KARIM SAHIB / AFP

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Les autorités talibanes ont exécuté, le 7 décembre, un Afghan reconnu coupable de meurtre. Cette annonce souligne l’intention des Taliban de s’en tenir à leur interprétation de la loi islamique. David Martinon, ambassadeur de France en Afghanistan, décrypte l’influence et l’emprise des Taliban.

David Martinon

David Martinon

David Martinon est Ambassadeur de France en Afghanistan. David Martinon était auparavant Ambassadeur pour le numérique et ambassadeur pour la cyberdiplomatie et l’économie numérique. Il était également le Représentant spécial de la France pour les négociations internationales sur la société de l’information et l’économie numérique.

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Atlantico : Sur Twitter, vous vous êtes exprimé à propos du retour d’une « talibanisation » complète du pays. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

David Martinon : Dès avant la chute de Kaboul, je répétais que les talibans n’avaient pas changé, que les talibans modérés, ou 2.0, cela n’existait pas. J’estimais que c’était un mythe destiné à donner des gages à la communauté internationale pour qu’elle estime possible de travailler à Kaboul. Je n’y ai jamais cru. A l’automne 2021, j’ai rappelé à mes collègues de la communauté internationale que le Conseil de sécurité de l’ONU avait voté cinq conditions au réengagement à Kaboul (que le régime rompe tous liens avec les organisations terroristes ; qu’il respecte les droits de l’homme, et donc les droits des femmes ; que le pouvoir soit inclusif ; la liberté de circulation dans et hors du pays ; la liberté de travailler pour les organisations humanitaires), et que les talibans ne les remplissaient pas : l’émir d'Al-Qaïda a été neutralisé par un drone américain dans une maison du centre-ville de Kaboul ; les filles ne vont plus à l’école ; le pouvoir est complètement capturé par les talibans qui ne sont qu’un mouvement au sein d’une ethnie, les pachtounes ; et les libertés sont totalement bafouées.

Depuis, la France n’a cessé de répéter que la Talibanisation était en cours, mais qu’elle n’était que partielle. On m’a beaucoup rétorqué qu’il n’y avait rien de « partiel » puisque les filles n’allaient plus à l’école, etc. Et je répondais que malheureusement cela pouvait encore être pire. A mon sens, la talibanisation n’allait être complète que le jour où les exécutions publiques reprendraient. Or, il y a 15 jours, l’émir des talibans, le mollah Akhundzada, depuis Kandahar – le vrai centre du pouvoir – que les juges appliquent totalement la charia. Cela impliquait, je cite, « les exécutions publiques, les lapidations, les flagellations et les amputations punitives ». Et le 8 décembre, un certain nombre de châtiments, a donné instruction aux juges  été exécutés en public. Et dans la province de Takhar, deux condamnés à mort ont été exécutés et une femme a été lapidée à mort. Les chefs talibans sont venus en grande pompe à Takhar pour l’occasion. Donc à mon sens, la talibanisation est désormais complète. D’autant qu’il y a aussi eu des flagellations publiques et des amputations punitives dans d'autres régions.

Cela veut-il dire que les choses ne peuvent pas empirer ?

Malheureusement non. Je crains qu’après les vacances de Noël on comprenne – parce que ça ne sera pas nécessairement annoncé publiquement – que les femmes n’auront plus le droit d’aller à l’université. Je crains aussi que les conditions d’opérations concédées par les talibans aux ONG soient de plus en plus inacceptables et que toute aide humanitaire devienne difficile.

Pensez-vous que la situation et les difficultés humanitaires vont créer un mouvement de migration ?

Ce mouvement existe déjà, il est continu depuis des années. Nous l’avons favorisé, par humanité, depuis la chute de la République. Il n’y a aucune raison qu’il s’arrête si ce n’est la crainte et le danger que peuvent ressentir les Afghans qui souhaitent traverser la frontière. Ils doivent payer un passeur et avoir suffisamment d’argent pour tenir durant ce long voyage. Mais il n’y a pas de vague migratoire depuis la chute de Kaboul à l’exception des demandes d’asile que nous avons accueillies avec bienveillance. Et cela notamment parce que les pays frontaliers ont fermé leurs frontières, et que les pays de rebond, la Turquie,  l’Iran et le Pakistan ne sont pas particulièrement accueillants. La Turquie elle-même avait d’ailleurs fermé sa frontière avec l’Iran. A cela s’est ajouté la neige qui a tout bloqué l’hiver dernier.

Marianne a raconté l’histoire de talibans qui quittent le pays pour l’Europe afin de trouver la tranquillité ailleurs, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Cela ne m’étonne pas. Au sein de l’insurrection taleb, il y avait aussi des personnes qui se sont engagés de manière opportuniste.

Pour vous, croire aux talibans nouveaux était une illusion. Qu’est-ce qui a laissé cette dernière s’installer ? De la naïveté ?

Pas pour la France en tout cas. On m’a appelé « le taliban de la communauté internationale » car on me jugeait trop rigide dans ma lecture des cinq conditions fixées par le Conseil de sécurité.  Certains au sein de la communauté internationale ont effectivement voulu revenir rapidement à Kaboul. Pour cela, il fallait pouvoir plaider que les Talibans avaient changé, ce qui n’était évidemment pas le cas. Jour après jour, ils sont revenus à ce qu’ils ont toujours été. Et c’est devenu de plus en plus difficile pour les Etats et les ONG. 15 mois avant la prise de Kaboul, j’avais anticipé une reprise de contrôle rapide et totale du pays par les talibans. J’avais aussi prévenu qu’il faudrait fermer l’ambassade pour des raisons politiques et de sécurité évidentes. Ces mêmes raisons nous empêchent aujourd’hui de revenir. Il y a deux mois, deux agents diplomatiques russes ont été tués dans un attentat devant leur ambassade. Il y a une semaine, l’ambassadeur du Pakistan a été visé par un attentat, qui a grièvement blessé un de ses officiers de sécurité. Ce lundi, une guest house prisée par les diplomates et hommes d’affaires chinois a été attaquée. Ce ne sont pas les talibans qui sont à l’œuvre – plutôt l’Etat Islamique au Khorasan, c’est-à-dire la branche afghane de Daech -, mais ça prouve qu’il n’y a pas de sécurité à Kaboul.

Quelles conséquences cela a-t-il pour vous en tant qu’ambassadeur ?

D’un point de vue pratique, je travaille depuis la France. Ça ne m’empêche pas d’être en contact avec mes sources, avec la diaspora, de travailler avec les ONG, de participer au conseil d’administration de l’Institut médical français de la mère et de l’enfant de Kaboul.  D’un point de vue politique, le non-respect des cinq conditions empêche tout réengagement. Cela ne veut pas dire que la France n’apporte pas d’aide humanitaire. La France et la communauté internationale ont été très généreuses. Respectivement 100 millions et 1,2 milliards au total en 2021. Et cette aide est non conditionnée.

Comment s’assurer que cette aide aille là où elle doit aller sans finir dans les poches du régime ?

C’est difficile et nous n’avons pas de doute sur le fait qu’une partie est accaparée par les décideurs talibans. C’est pourquoi la France s’en tient à des projets qu’elle mène depuis longtemps car nous savons contrôler la tenue de ces programmes. C’est le cas de l’institut médical français de la mère et de l’enfant. Nous avons aussi des programmes éducatifs en direction des femmes et des filles que nous supervisons étroitement. Pour le reste, nous nous en remettons à des ONG de confiance et aux agences de l’ONU.

Y-a-t-il, malgré tout, des lueurs d’espoir ?

La seule lueur d’espoir, c’est qu’il semble que la situation macroéconomique ne soit pas aussi catastrophique qu’on nous le donne à penser. L’ONU pensait devoir couvrir 28 des 32 millions d'Afghans, un chiffre effarant. Mais les chiffres de la Banque mondiale sont plus rassurants et nuancent cette vision sombre de la situation dans le pays. 

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