Comment François Hollande a progressivement perdu la confiance des Français sur la question du terrorisme<!-- --> | Atlantico.fr
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La volte-face de François Hollande qui voulait, le 14 juillet, mettre fin à l’état d’urgence et réduire le nombre de militaires de l’opération Sentinelle avant de faire des propositions inverses après l’attentat de Nice, a porté atteinte à sa crédibilité.
La volte-face de François Hollande qui voulait, le 14 juillet, mettre fin à l’état d’urgence et réduire le nombre de militaires de l’opération Sentinelle avant de faire des propositions inverses après l’attentat de Nice, a porté atteinte à sa crédibilité.
©Reuters

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Problématique essentielle de l'élection présidentielle à venir, et des échéances électorales qui suivront, le terrorisme est un sujet de société désormais majeur... sur lequel François Hollande, fortement crédité après le 11 janvier et le 13 novembre, perd du terrain.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Juillet 2016 : L’été terroriste

Au lendemain de l’attentat de Nice, un sondage de l’Ifop pour Atlantico[1] indiquait que c’est la lutte contre le terrorisme qui pèserait le plus dans les choix électoraux des Français pour la prochaine élection présidentielle avec 67% de réponses : "va beaucoup compter dans votre vote". La lutte contre le chômage et la relance de l’activité économique en France (60% de réponses "va beaucoup compter"), qui occupe depuis des décennies la pole position dans les priorités de nos concitoyens, est toujours très présente mais néanmoins "détrônée" par l’enjeu du terrorisme. On soulignera qu’à  part en 2002, où l’enjeu de l’insécurité avait été premier dans les préoccupations des Français, toutes les élections présidentielles de ces trente dernières années se sont déroulées dans un contexte où la question économique – synthétisée dans la lutte contre le chômage – était centrale. Le climat d’opinion qui règne aujourd’hui dans le pays est donc exceptionnel. Les faits dramatiques survenus au cours du mois de juillet ont puissamment contribué à l’alimenter mais, comme nous allons le voir, le basculement auquel nous assistons s’est produit par étapes, juillet 2016 en étant à la fois la dernière en date et l’une des plus importantes en termes d’impact sur l’opinion.

1-   Le terrorisme s’ancre au cœur du débat public et devient la première préoccupation des Français

Si la sensibilité à la menace terroriste se maintient à ce niveau dans les mois qui viennent, l’élection présidentielle de 2017 se déroulera dans un climat d’opinion inédit et très particulier, avec tout ce que cela peut impliquer comme conséquences sur les rapports de forces électoraux. On rappellera qu’en 2002, à l’issue d’une campagne marquée par la prégnance de la thématique sécuritaire, Lionel Jospin fut éliminé au soir du premier tour.

On peut certes penser que la primauté accordée à la lutte contre le terrorisme mesurée dans ce sondage Ifop pour Atlantico tient au fait que le terrain d’enquête a été réalisé une semaine seulement après l’attentat au camion de Nice. Mais si cet effet n’est pas à négliger, les données de l’Ifop montrent que nous sommes sur une tendance plus lourde. La rupture s’est en fait produite il y a plus de sept mois, en novembre 2015, au moment des attaques contre les terrasses parisiennes, le Bataclan et le Stade de France. Comme le montre le graphique suivant, les 6 et 7 novembre, soit une semaine avant cette vague d’attentats massifs, c’est encore traditionnellement la lutte contre le chômage qui domine, et de loin, en termes de priorités avec deux fois plus de citations que la sécurité et la lutte contre le terrorisme (35% contre 18%). Le paysage change radicalement à la suite du 13 novembre avec une inversion spectaculaire de la hiérarchie. A quelques jours du premier tour des régionales, c’est désormais la sécurité et la lutte contre le terrorisme qui surclassent toutes les autres thématiques, dont le chômage.

Quatre mois plus tard, à la mi-avril, alors que le bruit de fond[2] terroriste n’a pas diminué et a été alimenté par les attentats de Bruxelles (22 mars 2016), cette hiérarchie demeure inchangée. La prégnance de la menace terroriste au cours de cet été 2016 n’est donc pas un phénomène conjoncturel mais s’inscrit dans une tendance de fond résultant d’un basculement survenu en novembre 2015. Le drame de Nice, la série d’attaques en Allemagne puis le meurtre du prêtre dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, nous y reviendrons, sont autant d’éléments qui ont conforté et consolidé la prédominance de cette thématique dans les esprits.

Ce contexte sécuritaire pèse très lourdement dans la mesure où dans l’enquête sur les déterminants du vote pour l’élection présidentielle de 2017, le thème qui arrive en troisième position après la lutte contre le terrorisme et la lutte contre le chômage est celui de la lutte contre la délinquance, avec 51% de réponses : "va beaucoup compter dans mon vote". Tout se passe comme si la multiplication des attaques terroristes, souvent l’œuvre d’individus en lien ou ayant eux-mêmes eu une expérience délinquante préalable, venait créer un continuum entre la criminalité ordinaire et le terrorisme. Dès lors, pour assécher ce terreau terroriste, il conviendrait de lutter plus énergiquement contre la petite et la grande délinquance. A l’appui de cette thèse, on constate que la demande d’une sévérité accrue de la justice, qui s’exprimait déjà avec force il y a quelques années, a encore augmenté en 2016, la part des personnes estimant que les peines prononcées en matière de grand banditisme ne sont pas assez sévères passant de 72% à 85% entre 2013 et 2016 et de 62% à 70% pour ce qui est de la petite délinquance[3].    

2-   Le choc de Nice vient réactiver le spectre de la menace terroriste

A la veille de l’Euro de football, les autorités comme le grand public partageaient une vive crainte face à une attaque terroriste qui aurait pu viser notamment une fan-zone et occasionner ainsi de très nombreuses victimes. Selon un sondage Ifop pour Dimanche-Ouest-France[4], 79% de nos concitoyens craignaient une telle attaque durant cet événement sportif. Malgré la défaite des Bleus en finale, la société française poussa un soupir de soulagement à la fin de la compétition et le gouvernement félicita les forces de l’ordre qui avaient su déjouer ce funeste pronostic. En dépit des appels de Daesh à faire de la période du ramadan un "mois de sang", l’Euro s’était bien déroulé et les Français avaient pu goûter en toute sécurité aux plaisirs d’une vie normale en se retrouvant dans les stades ou dans les rues pour suivre ensemble les matches de football. C’est ce regain d’optimisme que l’attentat de Nice allait brutalement briser. Le nombre de victimes (84 morts et plus de 200 blessés), le public visé (une foule familiale représentant la diversité de la population française), l’événement (le feu d’artifice organisé pour la fête nationale), le lieu (une ville de province et non Paris comme lors des attaques précédentes) tout comme le mode opératoire très différent des autres attentats allaient conférer à cet événement une très forte puissance d’impact dans l’opinion. Alors que la France avait cru pouvoir respirer au lendemain d’un Euro de football à haut risque, l’horreur djihadiste se rappelait soudain à notre souvenir sous une forme totalement inédite et impensable,  et surtout ultraviolente et meurtrière. Interviewé par Le Figaro[5] dans les jours qui suivirent cet attentat, le député UDI des Alpes-Maritimes, Rudy Salles évoqua "une baisse de vigilance et un relâchement". Dans le cadre de la polémique sur les failles du dispositif de sécurité entre la droite niçoise et le gouvernement, ce diagnostic du parlementaire visait le gouvernement mais l’on peut avancer l’idée selon laquelle, d’une manière plus générale, les Français, en dépit du double-meurtre de Magnanville, étaient parvenus à reléguer au fond de leur esprit le spectre de la menace terroriste ces dernières semaines et ont donc été d’autant plus saisis par l’attaque de Nice.

Si l’on se base sur le Tableau de bord politique Ifop-Fiducial pour Paris-Match et Sud-Radio, baromètre qui mesure chaque mois quels ont été les thèmes qui ont animé les conversations des Français, on constate en effet qu’au début du mois d’avril, c’est encore la thématique terroriste qui monopolise l’attention. 90% des Français déclarent alors avoir parlé des attentats de Bruxelles avec leurs proches. Avec 76% de citations, l’arrestation de Salah Abdelslam arrive en seconde position suivie par les manifestations contre la Loi El Khomri (68%). Un mois plus tard, au début du mois de mai, cette hiérarchie s’inverse : 69% des Français ont parlé de ces manifestations (sujet le plus discuté ce mois-là) suivies en seconde position par le transfert de Salah Abdeslam en France (59%).  Au début du mois de juin, l’actualité terroriste est alors nettement moins présente et ce sont les inondations en Ile-de-France, dans le Centre et en Nord-Pas-de-Calais-Picardie qui se taillent la part du lion avec 89% de citations, suivies par les divers blocages liés à la mobilisation contre la loi Travail et les manifestations contre ce texte (79% pour chacun des items).

Entre les grèves, les manifestations et les violences liées à la mobilisation contre la loi Travail, la météo capricieuse et les inondations, le moral des Français avait été durement mis à l’épreuve ces derniers mois. L’arrivée des vacances, le bon déroulement de l’Euro de football et le départ du Tour de France avaient remis du baume au cœur de nos concitoyens qui voyaient le cours normal de la vie estivale reprendre ses droits. L’attaque de Nice n’en fut que plus traumatisante. Ainsi, alors que l’idée selon laquelle "la France a basculé dans une véritable situation de guerre avec tout ce que cela implique comme conséquences" avait fortement reflué entre novembre et décembre 2015 en passant de 59 à 37% de citations, cette idée est de nouveau partagée par un Français sur deux au lendemain des attentats de Nice[6].

Ce constat est autant partagé dans l’agglomération parisienne (48%), territoire déjà plusieurs fois ciblé, que dans les villes de province ou les communes rurales (50%). Et signe que l’impact de l’attentat a été très puissant, la proportion de personnes jugeant la menace terroriste comme étant très élevée a grimpé à 61% au lendemain du 14 juillet, soit un niveau proche de celui mesuré après les attentats de novembre (68%) mais surtout bien supérieur à celui que nous enregistrions en janvier 2015 (49%) après Charlie.

Dans ce contexte, 40% de nos concitoyens déclarent que leur propre vie quotidienne dans les prochains mois va "beaucoup" (10%) ou "assez" (30%) changer suite à ces attentats. Ces évènements ne produisent donc pas uniquement des effets sur les opinions et les représentations. Ils conduisent également, et cela montre bien la force d’impact qu’ils ont sur notre société, à des modifications de comportements et d’habitudes. C’est particulièrement vrai dans l’agglomération parisienne dont 19% des habitants (contre 9% en province) déclarent avoir l’intention de changer "beaucoup" leur vie quotidienne. On pense bien entendu à l’usage des transports en commun ou à la fréquentation des cafés, restaurants et des salles de spectacle, dont le taux de remplissage n’a jamais retrouvé le niveau qui était le sien avant les attentats de novembre.

Mais ces changements pourraient aller bien plus loin que le choix du mode de transport ou la fréquence de sorties le soir. Pour garantir leur sécurité, 81% des personnes interrogées seraient ainsi prêtes à accepter davantage de contrôles et une certaine limitation de leurs libertés, dont 40% qui s’y disent même "tout à fait prêtes". Les sympathisants des Républicains (94%) et du FN (84%) se montrent les plus enclins à un tel renoncement à une part de liberté individuelle, mais cette proportion est également très élevée dans les électorats de la gauche : 79% parmi les sympathisants socialistes mais aussi 70% chez ceux d’Europe Ecologie Les Verts et 68% auprès de ceux du Front de gauche. Même dans ces électorats idéologiquement plus libertaires, l’arbitrage penche aujourd’hui clairement plus du côté de la sécurité que de celui de la liberté.

Cet état d’esprit se traduit concrètement par le fait que 50% des personnes interrogées souhaitent un renforcement de l’état d’urgence et 36% son maintien en l’état, seulement 14% optant pour sa levée. Dans le détail, pas moins de 68% des Français seraient favorables à ce que les milliers de fichés "S" soient arrêtés et emprisonnés et 91% pour ce qui est de la création d’une peine de prison à perpétuité réelle, dont 68% qui y seraient "tout à fait favorables".

Ces chiffres sont en cohérence avec d’autres données qui montrent que c’est d’abord sur le terrain de la réponse pénale que les attentes de l’opinion se portent. De cette façon, si les Français sont certes 69% à penser que, par rapport à la menace terroriste, les autorités n’en font pas assez pour ce qui est des effectifs de policiers, de gendarmes et de militaires, et 77% en ce qui concerne les moyens juridiques accordés aux forces de police et aux services de renseignement pour surveiller et interpeller les individus suspectés d’activités terroristes, cette proportion atteint 88% pour les peines prononcées par la justice contre les membres des réseaux et des cellules terroristes.

3 - La confiance dans le gouvernement ébranlée

Cette demande d’une justice beaucoup plus dure et sévère envers les terroristes et leurs complices s’adresse en premier lieu au pouvoir politique, perçu de plus en plus comme n’ayant pas la main assez lourde. Cette perception n’est pas sans conséquence sur la crédibilité gouvernementale.

Comme le montre le graphique suivant, François Hollande et son gouvernement bénéficiaient, en effet, depuis janvier 2015 d’une confiance majoritaire pour faire face et lutter contre le terrorisme. On se souvient notamment qu’une large partie de la population avait approuvé l’attitude du Président au lendemain des attaques contre Charlie Hebdo et le Bataclan.

Pour toutes les raisons que nous avons évoquées précédemment, il semble que le climat ait profondément changé à la suite de ce troisième attentat majeur. Entre janvier et juillet 2016, la confiance dans l’exécutif sur ce domaine a ainsi chuté de 16 points.

On peut penser que la volte-face de François Hollande qui indiqua, lors de son allocution du 14 juillet, son intention de mettre fin à l’état d’urgence et de réduire le nombre de militaires affectés à l’opération Sentinelle avant de faire quelques heures plus tard, à la suite de l’attentat de Nice, des annonces totalement opposées a également durement porté atteinte à la crédibilité du "commandant en chef" aux yeux de l’opinion[7]. L’opposition, droite et FN de concert, allait s’engouffrer dans cette brèche et attaquer durement le gouvernement. L’union nationale qui avait encore tenu quelques jours à la suite des attentats du 13 novembre vola cette fois instantanément en éclat. Cependant, la polémique qui se développa dans les jours qui suivirent l’attentat entre le gouvernement et les élus de la droite niçoise sur les effectifs de police nationale et municipale présents sur la promenade des Anglais n’était pas manifestement à la hauteur des attentes des Français. Interrogés par l’Ifop une semaine après l’attaque de Nice, seuls 23% d’entre eux estimaient ainsi que les Républicains feraient mieux que le gouvernement actuel pour lutter contre le terrorisme (15% qu’ils feraient moins bien et 60% ni mieux, ni moins bien). Par ailleurs, 67% des personnes interrogées se prononçaient à l’inverse de ce spectacle de division en faveur de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale face au défi du terrorisme[8]. 71% des sympathisants des Républicains et 68% de ceux du Parti Socialiste partageaient cette aspiration à un consensus et à une coopération de toutes les forces politiques pour contrer et répondre à cette menace majeure.

4- L’attaque de Saint-Etienne du Rouvray : le sur-attentat

C’est dans ce contexte déjà très dégradé que les Français allaient apprendre avec stupeur le 26 juillet que deux jeunes terroristes avaient attaqué une église à Saint-Etienne-du-Rouvray, dans la banlieue de Rouen, et y avaient égorgé un prêtre et blessé très grièvement un fidèle avant d’être abattus par les policiers arrivés rapidement sur place. Le choc dans le pays fut immense et cette attaque fit l’effet d’un sur-attentat. Ce terme est employé pour désigner une technique désormais assez régulièrement utilisée par les djihadistes qui consiste à perpétrer, après un premier attentat meurtrier, une seconde attaque (souvent au moyen de bombes ou de voitures-piégées) au même endroit alors que les secours affluent, pour multiplier le nombre de victimes et susciter le chaos. Bien évidemment, le mode opératoire, la chronologie des attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray et la distance géographique entre les deux lieux de ces attaques ne correspondent pas au schéma du sur-attentat. Pour autant, l’effet produit sur une opinion publique comme celle de la France, pays qui n’est pas soumis au même niveau de violence terroriste que des pays comme l’Irak, l’Afghanistan ou la Syrie, est de notre point de vue assez proche. Les citoyens français se relevaient à peine du drame de Nice, qui avait acté concrètement que la province pouvait être visée et que les modes opératoires les plus inattendus pouvaient être employés, que des terroristes frappaient de nouveau en un autre point du territoire[9]. Cette répétition des attaques s’est produite à un rythme très rapproché pour un pays comme la France. Six mois se sont écoulés entre Charlie Hebdo et la décapitation de Saint-Quentin-Fallavier dans l’Isère en juin 2015, puis deux mois entre cette attaque et la tentative d’attentat à bord du Thalys en août, puis encore trois mois avant le Bataclan et les terrasses parisiennes contre un délai de 12 jours seulement entre les deux dernières attaques du mois de juillet ; et cette accélération du rythme des attaques a produit en France un effet proche de celui du sur-attentat dans les pays les plus fréquemment exposés.

Une autre caractéristique s’apparente à ce mode opératoire. Le sur-attentat a comme objectif d’amplifier l’effroi et de franchir un cran supplémentaire en ajoutant l’horreur à l’horreur et en frappant, au mépris de toutes les conventions, des personnes déjà victimes (les blessés du premier attentat) mais aussi les secours arrivés sur les lieux. Après avoir visé un public familial à Nice, les terroristes s’en prenaient cette fois à une église, lieu symbolique et sacré, et à un prêtre, très âgé de surcroît. Outre l’effet de répétition quelques jours seulement après Nice, outre le fait que la province était une nouvelle fois visée mais qu’il ne s’agissait plus cette fois d’une grande métropole touristique mais d’une petite ville banale et comparable à de très nombreuses autres, l’égorgement d’un prêtre dans son église nous faisait franchir, à l’instar d’un sur-attentat, un nouveau stade dans l’horreur et la barbarie après les images d’un camion de 19 tonnes fauchant des familles dix jours plus tôt. C’est exactement cette idée qu’exprima Nicolas Sarkozy quand il déclara dans son intervention du 24 juillet : "Notre ennemi n'a pas de limite, pas de tabou, pas de morale, pas de frontière". On retrouve également cette idée d’un franchissement d’un stade supplémentaire dans l’échelle de l’horreur dans les propos de Bernard Cazeneuve : "Je mesure pleinement les conséquences et la portée symbolique de cet acte. On a franchi un cap supplémentaire, c’est totalement déflagrateur"[10].   

Alors que l’attentat de Nice avait, comme on l’a vu, déjà produit des effets majeurs dans l’opinion, l’attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray allait amplifier ce puissant mouvement. Comme le montre le graphique suivant, la proportion de personnes jugeant la menace terroriste "très élevée", qui était déjà quasiment à son plus haut niveau après l’attaque de Nice, progresse de nouveau pour atteindre le second taux le plus élevé depuis la mise en place de ce baromètre en septembre 2001 avec un score de 65% à 3 points seulement du taux enregistré au lendemain du Bataclan (68%). Et comme le montre le graphique suivant, alors que la perception de l’intensité de la menace avait décrue entre novembre 2015 et janvier 2016, elle n’a fait que se renforcer depuis lors.

De la même façon, l’idée selon laquelle la France a basculé dans une véritable situation de guerre avec tout ce que cela implique comme conséquence, qui était partagée par 50% des interviewés au lendemain de Nice (en progression de 13 points par rapport à décembre dernier) gagne encore du terrain avec 55% d’approbation, soit une fois encore un score très proche de novembre 2015 (59%).

Dans ce contexte où la menace terroriste apparaît très élevée à deux Français sur trois et où plus d’un sur deux perçoit son pays comme étant confronté à une guerre, la hiérarchie des priorités est désormais totalement dominée par l’enjeu sécuritaire. L’urgence absolue de la lutte contre le terrorisme s’impose à toutes les autres considérations pour 58% des Français. Nous avions vu comment, à la suite des attentats de novembre, cette thématique avait brutalement détrôné la lutte contre le chômage en tant que priorité numéro 1 de nos concitoyens. Les attaques de Nice puis de Saint-Etienne-du-Rouvray ont encore davantage renforcé l’aspect prioritaire de la lutte contre le terrorisme qui écrase désormais toute concurrence.

Au regard de ces chiffres, on mesure à quel point la demande de sécurité adressée par nos concitoyens aux pouvoirs publics est intense, configuration dans laquelle le gouvernement devra vraisemblablement faire des annonces fortes ou donner des gages supplémentaires de sa détermination et de l’efficacité des services de sécurité s’il veut garder un certain crédit auprès de la population. On constate également à quel point ce sujet risque de totalement préempter le débat politique dans les prochains mois.

5- Une très forte pression pour adapter notre système juridique

Le degré d’inquiétude et le caractère inédit et exceptionnel de la menace génèrent de très fortes attentes d’adaptation de notre système juridique. La révélation du fait que l’un des assaillants de Saint-Etienne-du-Rouvray avait été placé en détention (à la suite de deux tentatives de départ en Syrie) avant d’en sortir muni d’une fiche "S" et d’un bracelet électronique lui permettant de sortir de son domicile dans la matinée, créneau horaire au cours duquel il commettra son horrible forfait, relancera instantanément le débat sur l’internement préventif des individus fichés "S" sur la scène politico-médiatique. Ces éléments auront également un impact très net dans l’opinion. Alors que l’internement préventif de ces personnes était déjà soutenu par 62% des sondés en mars 2016, cette proportion fut portée à 68% après l’attentat de Nice avant de prendre encore 6 points de plus après l’attaque de l’église normande pour atteindre un score de 74%, identique à celui observé juste après les attentats du 13 novembre.

Si c’est autour de cette question des fichés "S" que le débat allait concrètement se polariser, il oppose plus largement la droite qui souhaite, dans la situation exceptionnelle que nous traversons, adapter notre système judiciaire et prévoir des mesures d’exception qui dérogent à nos principes juridiques et constitutionnels à la gauche, qui avance qu’il ne faut pas modifier notre système judiciaire ni déroger à nos principes juridiques et constitutionnels, car c’est cela qui garantit l’existence de l’état de droit et cela reviendrait donc à conférer une victoire idéologique aux terroristes.

Quand ces deux points de vue généraux sont soumis aux Français, le constat est sans appel et les résultats sont très proches du rapport de forces observés sur la question spécifiques des fichés "S". 77% des interviewés se disent ainsi en faveur d’une adaptation de notre système judiciaire contre seulement 17% qui ne souhaitent ni le modifier ni déroger à nos principes juridiques et constitutionnels[14]. Cette position qui est défendue par le gouvernement est donc aujourd’hui ultra-minoritaire dans le pays et même dans les rangs socialistes, 73% des sympathisants PS étant en faveur d’une adaptation de notre cadre juridique à la situation nouvelle créée par la multiplication des attaques terroristes.

Compte-tenu de ce contexte, la confiance dans François Hollande et le gouvernement pour faire face et lutter contre le terrorisme, qui avait beaucoup chuté au lendemain de l’attentat de Nice comme on l’a vu, s’érode encore davantage. Désormais, les Français ne sont plus que 29% à lui faire confiance contre 33% après Nice et 49% en janvier 2016. Dans le même temps, la proportion des interviewés n’accordant aucune confiance au président et au gouvernement en la matière passait de 22% en janvier à 36% après Nice puis désormais à 41%.

Signe de la fragilisation de François Hollande dans l’opinion sur cette question, un autre sondage récent[15] portant sur la personnalité perçue comme la plus capable d’assurer l’équilibre entre lutte contre le terrorisme et maintien de l’état de droit indiquait que François Hollande était très nettement distancé. Il n’obtenait ainsi que 16% de citations très loin derrière Nicolas Sarkozy (29%), Marine Le Pen (30%) et Alain Juppé (32%).

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[1] Sondage réalisé par internet du 21 au 25 juillet 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 965 personnes.
[2] Nous avons développé avec Alain Mergier cette notion de "bruit de fond" dans le livre 2015 : année terroriste, publié par la Fondation Jean Jaurès.  
[3] Sondage Ifop pour Atlantico réalisé par internet du 29 au 31 mars 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 956 personnes.
[4] Sondage réalisé par internet du 25 au 26 mai 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 1001 personnes.
[5] Le Figaro – 22/07/2016
[6] Sondage Ifop pour Le Figaro réalisé par internet du 15 au 16 juillet 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 1000 personnes.
[7]   La cote de popularité du président de la République, mesurée dans le baromètre Ifop pour Le Journal du Dimanche, ne progressera d’ailleurs que de 3 points en juillet 2016 (de 14 à 17%) contre un rebond beaucoup plus important en novembre 2015 après le Bataclan (+ 7points) et a fortiori en janvier 2015 après Charlie et l’Hyper cacher (+12 points). 
[8]   Sondage Ifop pour Le Journal du Dimanche réalisé par téléphone du 22 au 23 juillet 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 1004 personnes
[9]  Sachant qu’entre ces deux attentats, des évènements terroristes très médiatisés eurent lieu en Allemagne. Le 18 juillet, soit 4 jours seulement après Nice, un jeune migrant se revendiquant de Daesh agressait à l’arme blanche des passagers d’un train et le 24 juillet, soit 2 jours avant Saint-Etienne-du-Rouvray, un autre migrant ayant lui aussi prêté allégeance à cette organisation se faisait sauter à l’entrée d’un festival de musique.
[10] In Le Point 04/08/2016
[11] Sondage Ifop pour Le Figaro et RTL réalisé par questionnaire auto-administré en ligne le 16 novembre 2015 auprès d’un échantillon de 910 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
[12] Sondage Ifop pour Atlantico.fr réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 29 au 31 mars 2016 auprès d’un échantillon de 956 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
[13] Sondage Ifop pour Le Figaro réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 15 au 16 juillet 2016 auprès d’un échantillon de 1000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
[14] Sondage Ifop pour Valeurs Actuelles réalisé par internet du 27 au 29 juillet 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 1012 personnes
[15] Sondage Ifop pour Atlantico réalisé par internet du 3 au 5 août 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 1002 personnes

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