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Cecil le lion et les migrants : indignation au carré
©Reuters

« Oh ! »

S'indigner est dans l'air du temps, mais ne s'indigne pas correctement qui veut. Petit précis d'indignation contemporaine (attention, il faut s'accrocher pour suivre).

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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On sait depuis Stéphane Hessel, saint patron des indignés, que l'indignation est devenue un impératif moral, et qu'il convient d'exprimer sa révolte contre ceci ou contre cela sur Facebook chaque matin, mais je m'indigne de ce qu'aucune étude sérieuse ne se soit encore penchée sur le nouveau phénomène de l'indignation au carré.

Jusqu'à présent, on s'indignait linéairement : il se passait quelque chose d'indigne, et on s'indignait directement contre. C'était de l'indignation au premier degré. Désormais, on s'indigne de ce que d'autres préfèrent s'indigner pour une cause jugée secondaire, inférant que de ne pas plutôt s'indigner d'une indignité plus légitime vaut cautionnement de cette dernière.

L'affaire du dentiste amateur de safari est un bon exemple. Un type paye 50 000 dollars pour avoir le droit d'abattre un lion et, paf, « les réseaux sociaux s'enflamment » (soit dit en passant, je m'indignerais bien contre ce nouveau cliché à la gomme mais je vais essayer de ne pas trop digresser sur ce coup).

A priori, cette indignation précise devrait ne poser aucun problème à qui que ce soit. Un chasseur, c'est méchant par nature, pas de doute, mais celui-ci cumule les défauts : il est américain et exerce une profession libérale présumée fortement rémunératrice, donc triplement méchant. D'autant plus qu'on nous dit que le lion abattu n'était pas n'importe qui, qu'il avait un joli prénom (Cecil), une couleur de cheveux pas banale et qu'il travaillait bien à l'école et ne mangeait que des légumes.

Si l'abattre n'est pas indigne, zut alors !

Mais voilà que l'on s'indigne en parallèle sur Twitter du sort des migrants, et que se mettent à fleurir les indignations sur le thème : « Comment osez-vous vous indigner de la mort du lion quand des gens se noient en Méditerranée ? ». Ce dernier drame est indigne, et d'ailleurs, je m'en indigne, rassurez-vous, mais les indignés s'indignant de l'indignité des défenseurs du lion ne deviennent-ils pas à leur tour indignes ? Et ne serait-il pas plus digne de s'indigner sans préalable du drame des migrants, voire même de la fin tragique du lion ? Et s'indigner du drame des seuls migrants n'est-il pas indigne, quand on pourrait commencer par s'inquiéter du réchauffement climatique qui menace tout le monde ?

Mais j'arrête-là parce que je vais louper mon train pour Dignes-les-Bains (« Quoi, vous partez en vacances alors qu'on tue des lions, que des migrants migrent et que la planète se réchauffe ? Quelle indignité ! »).

Le permis dans une pochette-surprise

Moi, j'aime bien Taubira pour pas mal de raisons, même si elle me gonfle un peu à l'occasion, mais son histoire de permis de conduire m'intrigue un peu. Si j'ai bien compris, il y a tellement de gens qui roulent sans être passés par l'auto-école qu'on perd son temps à les emmerder pour si peu et qu'une amende remplacerait avantageusement un rendez-vous avec le juge.

Il y a bien une certaine logique derrière tout ça, comme l'idée que dès qu'une forme particulière de délit devient massive, elle encombre les tribunaux et doit donc être rétrogradée au niveau d'une simple broutille tout juste punissable d'une amende, mais pourquoi ne pas étendre le principe à tout ce qui fatigue le système judiciaire : cambriolages, vols de ceci ou cela, agressions sur la voie publique (il suffit de jeter un coup d'oeil aux stats pour sélectionner les trucs les plus courants pour faire la liste des délits les plus chronophages méritant davantage d'indulgence)...

Bien sûr, une réforme du permis de conduire qui permettrait à tout le monde de le passer sans s'endetter comme un étudiant en médecine américain pourrait aussi être envisagée, mais Taubira a dû trouver que c'était trop simple – un peu comme Hollande, lorsqu'il a remplacé la baisse des cotisations sociales par le crédit d'impôt parce que c'était plus dans la tradition française de remise de formulaires en quadruple exemplaires avec tampons pour stimuler l'embauche. C'est pas très digne...

Mortelle cocorida

Je ne savais même pas que ça existait (vous pensez bien que je m'en serais indigné autrement), mais il y a encore des combats de coqs en France. Et à peine apprends-je que ces combats existent qu'on me dit qu'on va les interdire progressivement.

Il est vrai que forcer des animaux à entre-tuer dans une arène ne vaut pas tellement plus cher que d'aller tirer sur des lions en Afrique (et ça ne doit pas être très bon pour le goût du poulet aux morilles non plus). Et on s'étonne que les ennemis de la corrida ne se soient pas placés sur ce créneau depuis bien longtemps. Sans doute que dans leur esprit, le taureau est plus digne que le coq, mais moins que le lion ou le migrant, il faut voir...

Mais ce qui est marrant (OK, pas marrant marrant, mais curieux, ne sautez pas tout de suite sur vos grands chevaux, vous allez leur faire du mal), c'est que tout contrevenant à la nouvelle législation peut désormais être punis de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende quand prendre la route sans savoir distinguer un panneau stop d'un sens giratoire pourrait ne plus coûter que 500 euros.

L'histoire ne dit pas ce qui arriverait à un type qui écraserait en coq en roulant sans diplôme mais je pense que je demanderais à Taubira si je la vois cet été à Dignes.

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