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Ce clivage droite-gauche sur la politique environnementale qui renaît de ses cendres avec la visite de Greta Thunberg
©Reuters

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Avec la venue de Greta Thunberg hier, le clivage droite-gauche semble se réanimer, et notamment la ligne de fracture entre LR et LREM.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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David Nguyen

David Nguyen

David Nguyen est directeur conseil en communication au Département Opinion et Stratégies d'Entreprise de l'Ifop depuis 2017. Il a été conseiller en cabinet ministériel "discours et prospective" au ministère du Travail (2016-2017) et au ministère de l'Economie (2015-2016). David Nguyen a également occupé la fonction de consultant en communication chez Global Conseil (2012-2015). Il est diplômé de Sciences-Po Paris. 
 
Twitter : David Nguyen
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Atlantico: Guillaume Larrivé a par exemple appelé au boycott en dénonçant la venue d'un "gourou apocalyptique" et Julien Aubert dénonce un coup de communication et d'instrumentalisation. Ce type de position est taxé à gauche de climato-scepticisme. Vous semble-t-il que cet évènement est emblématique d'une nouvelle ligne de fracture politique ? Comment décrire ce clivage ?

 David Nguyen : En apparence, il n’y a désormais plus de clivages entre la gauche et la droite au sujet de l’écologie. Prenons les élections européennes : aucun parti n’a osé ignorer ce thème durant la campagne, de la planification écologique de la France insoumise jusqu’au localisme du Rassemblement national en passant par les 1000 milliards d’investissements verts promis par LREM. Mais cette unanimité dans les discours n’empêche pas qu’il existe bien des clivages autour de la question environnementale au sein de la société, en particulier concernant la priorité à accorder à cette thématique. Ces clivages réapparaissent lorsqu’il s’agit de faire des choix, même anodins, comme par exemple aller écouter une militante écologiste de 16 ans… Selon un sondage réalisé par l’Ifop en juin 2019, lorsqu’on demande aux Français quels sont selon eux les objectifs prioritaires dans les mois à venir, l’accélération de la « transition énergétique » atteint la première position à égalité avec la « lutte contre les inégalités » parmi les sympathisants de gauche, quand elle reste en avant dernière position (sur 13 objectifs) chez les sympathisants de droite. Les sympathisants LREM restent eux dans une position intermédiaire et la place juste après « augmenter le pouvoir d’achat » et «  réduire la dette de la France ». Le débat autour de la venue de Greta Thunberg semble faire écho à ce clivage gauche droite très marqué en termes de priorités : les députés de gauche partagent totalement le sentiment d’urgence écologique de l’adolescente, quand les députés de droite refusent que ce thème écrase tous les autres. Les députés LREM quant à eux restent dans un entre-deux, certains assistent, d’autres restent à distance.

Edouard Husson : Une hirondelle ne fait pas encore le printemps. C’est vrai qu’on se disait, hier, que certains, à LR, retrouvaient les réflexes normaux d’un parti d’opposition. Il y a beaucoup de raisons de s’insurger contre l’invitation à Mademoiselle Thunberg. La représentation nationale a quelque chose de sacré: on ne devrait inviter personne sur un coup de tête ou pour suivre une mode, aussi mondiale soit-elle. Ensuite, le rôle des parlementaires est, entre autres missions, de contrôler, enquêter, vérifier. On aimerait que la Commission des Affaires étrangères prenne le temps de nous dire quels intérêts soutiennent cette nouvelle prédicatrice itinérante. Par ailleurs, il est bien vrai que l’approche religieuse de l’écologie est l’un des nouveaux dadas de la gauche. On y trouve tous les ingrédients d’un nouveau totalitarisme, avec ses théories, ses cultes, ses excommunications. Il y a eu un épisode significatif lors du premier débat entre les candidats aux européennes. Jordan Bardella, qui avait été bien préparé sur ce sujet par Hervé Juvin, s’est réclamé d’une écologie concrète, enracinée dans les territoires. Aussitôt Jadot s’est tourné vers lui et, prenant la pose du grand inquisiteur, lui a demandé s’il croyait au réchauffement climatique. Depuis le XIXè siècle, la gauche prétend, régulièrement, avoir le monopole de la science et invente des dogmes, qui ont aussi peu à voir avec la science que les théories de Lyssenko à l’époque du regretté Maréchal Staline. Alors, oui, il est bon - et normal, que des députés LR aient appelé au boycott de la séance avec Mademoiselle Thunberg. Espérons que ce ne soit qu’un début, le prélude à la reconstruction d’une opposition. 

Qu’est-ce qui, dans la personnalité de Greta Thunberg, dans son discours et dans la manière dont a été organisé l’événement, semble contraire à quelque chose d’essentiel dans la pensée politique de droite ? 

Edouard Husson : A la différence de la gauche, qui combat le christianisme pour y substituer des religions de son invention, la droite respecte la distinction entre les domaines religieux et temporel pour laisser toute sa liberté à la religion et permettre l’organisation réaliste du domaine profane.  Avec Miss Thunberg, nous sommes dans la manifestation d’une nouvelle religion de gauche, donc totalitaire. Une nouvelle version du millénarisme qui resurgit régulièrement dans l’histoire de l’Europe. Il est significatif qu’elle ait déclaré qu’elle n’avait pas d’avis sur le CETA. Dès que l’on se met à parler du monde réel, il n’y a plus personne. Notre oracle itinérant est très fort pour lancer des invectives, annoncer la fin des temps, suggérer des dérives sectaires. Mais parler du vrai monde, des relations sociales, du commerce, de la vie quotidienne, ce n’est pas son truc. 

Qu’est-ce qui est au contraire emblématique d’une position de gauche ? 

Edouard Husson : Il faut tout de même rappeler que la pensée de gauche est devenue, aujourd’hui, très faible. Pour un Michéa, combien de tocards? Il y a un texte qui - malheureusement - rassemble tous les clichés de la gauche sur l’écologie, c’est l’encyclique du Pape François Ier intitulée Laudato Si. Je pense que c’est le texte le plus faible jamais publié par un pape! Il est d’ailleurs soutenu par très peu d’analyse théologique; en revanche, il nous propose tous les poncifs possibles sortis du cerveau de Jeffrey Sachs ou de Leonardo Boff. Il faut bien comprendre que, depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, la gauche est intellectuellement très ébranlée et politiquement déboussolée. Le totalitarisme écologique la tente fortement. Cela pourrait lui permettre de se structurer à nouveau. Evidemment, c’est un chemin semé d’embûches. On reçoit Mademoiselle Thunberg à 14h et à 16h on vote le CETA. Et puis il y a les débats à venir sur la PMA et la GPA. Les Verts allemands ont longtemps été très hostiles à tout ce qui était manipulation du matériau humain (recherche sur les embryons, par exemple). On ne doit pas attendre autant de cohérence de la gauche française. 

L'IFOP a publié pour le JDD un sondage sur l'opinion des Français sur l'action du gouvernement en matière d'écologie ce week-end. Un large consensus semble émerger, sauf peut-être sur les méthodes à employer pour parvenir à répondre aux problèmes environnementaux. Quelles sont les fractures de l'opinion sur cette question ? Est-ce que cela répond aux fractures territoriales qu'on a vu émerger avec le mouvement des Gilets jaunes ?

David Nguyen :  Il y a effectivement un consensus de plus en plus large : d’après notre sondage pour le JDD, 89% des Français se disent inquiets en pensant au phénomène de réchauffement climatique, soit 13 points de plus qu’en avril 2018. En quelques mois, Nicolas Hulot a démissionné en claquant la porte, des marches pour le climat se sont organisées, des épisodes caniculaires s’enchaînent, EELV a fait un score inattendu aux européennes et Greta Thunberg est devenue une icône internationale. A cela s’ajoute que les questions économiques et de l’emploi restent certes prioritaires, mais moins écrasantes qu’au cœur de la crise économique. Tout cela contribue à l’installation d’une préoccupation écologiste, qui ne connaît d’ailleurs pas véritablement de clivages : 89% des CSP+ sont inquiets du réchauffement climatique contre 87% des CSP-, 87% des Franciliens contre 89% des provinciaux et même 87% des utilisateurs quotidiens de véhicules motorisés contre 90% des non utilisateurs. Ceci étant dit, tout est ensuite une question de priorité. On peut s’accorder sur le constat mais ne pas apprécier de la même façon les mesures envisageables : si plus de 80% des cadres comme des ouvriers se disent prêts à baisser leurs appareils de chauffage, seuls 15% des ouvriers et 12% des habitants de communes rurales accepteraient de payer davantage de taxes sur les carburants contre 45% des cadres. Les clivages qui étaient actifs lors de la crise des gilets jaunes, sont bien évidemment toujours présents et tout le monde n’est pas prêt à engager la transition écologique à la même vitesse.

Nous avons publié ce week-end un sondage qui montrait bien les lignes de fracture sur la question de l'intégration suite aux manifestations des supporters de l'Algérie. Il montrait également la difficulté, pour la majorité, d'aborder ces questions face à un électorat très divisé. Est-ce que, de la même manière, l'électorat LREM est divisé sur les thèmes de l'écologie et les manières d’aborder les questions environnementales ? Où se situe plutôt la fracture si ce n'est pas au sein même de la majorité ? 

David Nguyen :  Il faut surtout avoir à l’esprit que la composition de l’électorat de la majorité présidentielle a changé entre 2017 et 2019. Les élections européennes ont été l’occasion d’une mutation de l’électorat LREM, amputé d’environ un cinquième de ses électeurs de 2017 passés chez EELV et augmenté d’un quart des électeurs de François Fillon. Il y a donc une droitisation de l’électorat présidentiel. Pourtant, je ne pense pas qu’Emmanuel Macron souhaite « coller » à cette droitisation et réduire ses efforts en matière d’écologie. L’enjeu ici est bien plutôt de reconquérir ces électeurs macronistes partis chez EELV qui pourraient être séduits par le discours ni gauche – ni droite de Yannick Jadot et manquer à Emmanuel Macron lors des prochains scrutins. On est ici dans un cas d’école du « en même temps » macronien, l’exécutif doit continuer de convaincre ses électeurs de droite qu’il transforme la France sur le plan économique, tout en donnant des gages à des électeurs écologistes déçus par son bilan environnemental.

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