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Capter l'énergie du Gulf Stream, une solution pour produire de l'électricité verte ?
©MARTIN BUREAU / AFP

Atlantico Green

Le Gulf-Stream offre une capacité énergétique exceptionnelle et non-intermittente. Mais l'utiliser reste pour l'instant un rêve d'ingénieurs.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Atlantico : Quels avantages offre le Gulf Stream pour la production d'énergie ? 

Loïk Le Floch-Prigent : Le rêve des énergéticiens a toujours porté sur l’énergie des mers, que ce soit celle de la houle, des courants ou les marées. Le fait d’avoir cette puissance aussi importante non utilisée semble absurde tandis que nous nous épuisons à rechercher du gaz, du pétrole, de l’uranium, à construire des barrages, et que nous voudrions ne plus faire appel à un charbon très polluant. Le soleil et le vent ont été plus facilement dominés mais l’intermittence pose des problèmes de plus en plus complexes : pour utiliser rationnellement les matériels actuels, leur généralisation est contestée à la fois par les riverains compte tenu de leur empreinte au sol, et par les gestionnaires de réseaux qui croulent sous les surcoûts et les pointes et chutes de tension. L’énergie renouvelable idéale serait donc, théoriquement, celle des mers. Depuis une soixantaine d’années les ingénieurs planchent sur ce sujet, renouvelant ainsi la pensée de nos ancêtres qui avaient construit les moulins à marée que l’on peut encore visiter en Bretagne.

La première réalisation a eu lieu en Bretagne, avec l’usine marémotrice de la Rance : 240 MW avec 24 turbines inaugurée en 1966. Elle fonctionne toujours, mais ses coûts de maintenance sont élevés et elle n’a pas connu le développement international envisagé. Les sud Coréens ont inauguré en 2011 une centrale de 254 MW à Sihwa Lake pour 300 millions d’euro avec un rendement aujourd’hui encore médiocre.

C’est donc vers les courants que les ingénieurs ont porté leurs efforts avec un centre d’essais en Ecosse dans les îles Orcades où différents matériels imaginatifs sont testés tandis qu’ici ou là on assiste à des tentatives d’installation le long des cotes ou sur des îles. Les matériels utilisés sont des « hydroliennes » qui sont des turbines hydrauliques dont la puissance est fonction, comme les éoliennes, du cube de la vitesse du courant. Le problème rencontré, parmi beaucoup d’autres, est celui de la variation de la vitesse du courant ainsi que de sa direction. Il en résulte, en général, l’inconvénient majeur de l’intermittence et la nécessité d’une orientation optimale pour un matériel immergé en principe fixe. On a donc des exigences contradictoires qui sont pain bénit pour les inventeurs de génie, mais pour la maîtrise des solutions on n’a pas assez d’une vie.

C’est là, alors que des turbines nombreuses arrivent à une certaine maturité, que le projet d’utiliser le Gulf Stream prend sa racine. Le Gulf Stream est un courant (chaud) qui prend naissance dans le Golfe du Mexique , longe les cotes de l’Atlantique Nord, et vient même sur nos côtes de la Bretagne Sud, nous permettant de bénéficier d’une chaleur additionnelle. Certes les collapsologues nous disent déjà qu’il va disparaître… mais même si on les écoute, on en a encore pour des centaines d’années, on peut donc essayer de l’utiliser. Le milliardaire Saoudien Nasser Alshemaimry, considérant, à juste titre, que le long des côtes de la Floride, le Gulf Stream fournissait un courant continu autour de 2 mètres par seconde, ce qui est le minimum requis pour l’économie d’une hydrolienne, a donc essayé 5 types de turbines immergées à 25 mètres de profondeur, à 32 kms au large des côtes. Il considère que les résultats sont encourageants. Il est clair que sur une période courte, 24 heures, il n’a pas connu de variation significative de vitesse, pas plus que de direction, il n’a donc pas connu les cauchemars des fabricants de turbines qui font les essais en Ecosse. L’avantage de l’utilisation du Gulf Stream est donc bien le caractère non intermittent, comme pour un écoulement de fleuve ou de canal qui reste, pour l’instant, une utilisation plus intéressante des matériels développés. Outre le caractère prévisible du fleuve, le fait d’être en eau douce et de ne pas avoir les problèmes de corrosion dus au sel permet d’avoir un peu plus de sérénité qu’en mer. On comprend donc bien pourquoi le « crazy » Saoudien, comme il se nomme lui-même s’est intéressé au Gulf Stream

Comment et où l'utilisons nous actuellement ?

Il n’y a pas d’utilisation « humaine » du Gulf Stream. La nature nous a légué ce trésor qui permet de radoucir le climat de l’Atlantique Nord et la différence de température entre la Bretagne Nord, celle de la Manche, et la Bretagne Sud est significative en toutes saisons, les climatologues en ont fait un objet d’études important depuis la naissance de cette science. Les marins connaissent bien les caractéristiques de cette merveille de la nature et le retour des Antilles en bateau à voiles était plus court que le voyage aller !

Est-ce une solution viable pour l'avenir ? 

L’utilisation du Gulf Stream n’est pas pour demain ! Les énergies « marines » sont en période d’essais, et cela peut durer des dizaines d’années avant que l’on arrive à des utilisations rationnelles. Il y a trois sujets. Le premier est technique : peut on arriver à trouver des solutions pérennes. Le second est économique : à quel coût et donc est-on compétitif par rapport aux autres sources d’énergie. Le troisième est climatique : quel est le bilan carbone. On voit que les éoliennes en mer n’ayant pas surmonté (et c’est impossible en théorie) le problème de l’intermittence ne peuvent avoir qu’un développement limité quoi que disent leurs promoteurs. Elles continuent à être subventionnées, et leur bilan carbone n’est pas glorieux. Théoriquement, l’utilisation d’un courant marin continu est, lui, plus intéressant mais elle se heurte à bien d’autres difficultés. La principale est de savoir si ce courant, en principe sans variations, connaît effectivement une continuité de direction et de débit. Pour cela il faut immerger un dispositif pendant au moins une année (ADCP ou turbine Guinard Poséide). Un essai de 24 heures n’est pas suffisant car une variation de 20 degrés peut conduire à perdre la moitié de la puissance. Donc on ne dispose pas aujourd’hui du premier étage, la connaissance intime du courant. Ensuite le point de vue économique doit être regardé avec les hydroliennes les plus avancées, l’HS 1000 d’Andritz Resamer Hammerfest en essais actuellement aux Iles Orcades, semble le matériel le plus pertinent pour mener les premiers calculs, et peut-être les premiers essais en « réel ». Les problèmes d’isolation, de maintenance, de dimensionnement, de variation de débit et de cheminement et enfin le coût et la faisabilité du câblage pourraient être ainsi approchés. Puisque Nasser Alshemaimry dit que c’est son dernier combat, on peut douter qu’il puisse le gagner dans un temps court, mais ses successeurs pourront sans doute un jour dire qu’il était le visionnaire de l’utilisation de l’énergie des mers tandis que ceux qui ont fait la promotion des éoliennes en mer seront considérés par la postérité comme des prédateurs inutilement coûteux.

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