Canal Istanbul : ce nouveau lien entre mer Noire et Méditerranée sur lequel Erdogan pourrait gagner gros<!-- --> | Atlantico.fr
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Le « Canal Istanbul » est une voie d’eau artificielle qui doit doubler le détroit du Bosphore.
Le « Canal Istanbul » est une voie d’eau artificielle qui doit doubler le détroit du Bosphore.
©Adem ALTAN / AFP

Géopolitico Scanner

Les détroits du Bosphore sont régis par des traités internationaux. Avec ce canal, la Turquie serait souveraine. Un élément majeur dans le nouvel assemblage : Russie, Chine et autres pays non-alignés sur l’axe occidental qui est en train de se mettre en place.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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C’est un « rêve », un « projet fou », selon les propres mots du président turc, Recep Tayyip Erdogan. Le « Canal Istanbul » est une voie d’eau artificielle de 45 km, sur 150 m de large et 25 m de profondeur, qui doit doubler le détroit du Bosphore. Mais le projet est sous le feu des critiques, de la part de l’opposition notamment. Comment expliquer que le projet soit si controversé ? Quels sont les arguments des détracteurs ? 

Michael Lambert : Le projet d'élargissement du canal du Bosphore représente tout à la fois un enjeu économique majeur, et pas seulement pour la Turquie, militaire et stratégique, qui vise à confirmer le retour du pays sur la scène internationale.

Sur le plan économique, cette extension permettra d'augmenter le passage des navires en provenance de la mer Noire, dont on sait que plusieurs pays disposent d'un potentiel agricole important, comme en témoigne le poids des céréales ukrainiennes pour endiguer plusieurs famines au Moyen-Orient et en Afrique. L'Ukraine, mais aussi la Roumanie, la Bulgarie et la Géorgie, ont intérêt à ce que le projet aboutisse pour intensifier leurs échanges avec le reste du monde. De plus, la région de la mer Noire dispose d'un potentiel touristique en plein essor, ce qui permettra à Ankara de renforcer et de contrôler les relations entre le bassin méditerranéen et la mer Noire, et d'obtenir plusieurs revenus provenant des taxes sur le transit des marchandises.

Sur le plan militaire, les navires et les sous-marins pourraient ainsi transiter plus facilement dans cette région, un élément non négligeable comme le montre l'intensification de la présence militaire occidentale et russe aux abords de l'Ukraine. La Turquie pourra décider de l'entrée et de la sortie de la mer Noire, ce qui lui servira à renforcer sa position au sein de l'OTAN, mais aussi vis-à-vis de la Russie, qui dépend d'elle pour accéder au Proche-Orient.

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Sur un plan stratégique, cela signifie que la Turquie pourrait redevenir l'épicentre des relations entre l'Europe et la Russie, avec un projet similaire à celui du canal de Suez.

Le projet est polémique à plus d'un titre. Tout d'abord, le financement des travaux sera un fardeau pour l'économie turque, qui est actuellement en proie à une crise et à une forte inflation. En outre, il y aurait des conséquences environnementales, telles que la détérioration de la mer Noire et de la mer de Marmara. Les eaux de la mer Noire sont moins salées et son écosystème est fragile avec des espèces qui ne peuvent pas s'adapter rapidement à un tel changement de salinité. Ce changement aura également des répercussions sur les nappes phréatiques.

Enfin, il faut ajouter que le président turc voit dans ce chantier un moyen de relancer le secteur immobilier, avec plusieurs constructions à proximité de l'éventuel nouveau canal, dont les principaux bénéficiaires sont en partie des proches du gouvernement. 

Débattu depuis 2011, le canal d'Istanbul aurait dû être inauguré en 2023, pour le centenaire de la République turque. En quoi ce canal est-il une "nécessité" pour Istanbul et la Turquie ? Sa construction est-elle vraiment stratégique ?

Bien que controversé, ce canal est une nécessité si la Turquie entend retrouver son statut de grande puissance internationale. Il donnera au pays un rôle fondamental dans les relations entre l'Occident et la Russie/Eurasie et renforcera sa position au sein de l'OTAN. Sur le plan économique, il en fera un maillon essentiel dans le passage des produits agricoles à l'heure où l'on reconnaît l'importance de ce secteur pour la stabilité mondiale. Sur le plan psychologique, ce projet ambitieux permettra à Erdogan de se positionner en bâtisseur, c'est-à-dire dans la lignée de Mehmet et d'Ataturk.

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Sa construction est donc très stratégique, lourde de conséquences, et pourrait avoir à long terme pour conséquence de faire de la Turquie un pays leader incontournable entre l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie. 

Alors que la Turquie s'apprête à élire son président et à renouveler son parlement, ce projet a-t-il une chance d'être mis en œuvre ? Sera-t-il un sujet de campagne ?

La question principale sera celle du financement, alors que l'économie turque est confrontée à une forte inflation et à des pressions démographiques et climatiques. Ce sera davantage un argument pendant la campagne mais ne sera pas au cœur de celle-ci, le terrorisme et la guerre en Ukraine occupant une place beaucoup plus prépondérante.

Le projet pourrait néanmoins voir le jour, si l'économie turque parvient à se stabiliser et si le pays ne doit pas faire face à de nouvelles situations de crise comme le tremblement de terre du 6 février dernier.

La Turquie a assuré à la Russie que le nouveau canal menant à la mer Noire ne facilitera pas l'accès des navires de guerre étrangers à cet espace maritime d'importance stratégique pour Moscou. Ankara pourrait-elle instrumentaliser la construction de ce canal et son utilisation future à des fins géopolitiques ?

Ce sera le cas, mais il semble essentiel de rappeler que les navires de guerre et les sous-marins de l'OTAN et de la Russie n'ont pas besoin d'un élargissement du canal pour pouvoir y transiter à ce jour, cela ne serait vraiment indispensable qu'en cas de guerre de haute intensité avec plusieurs centaines de navires devant atteindre la mer Noire simultanément, ce qui semble peu probable.

Naturellement, la Russie n'a que peu d'intérêt à voir cet élargissement, qui profitera finalement à l'économie de pays comme l'Ukraine et la Roumanie, et renforcera la position de la Turquie (membre de l'OTAN).

Dans sa globalité, le projet est donc essentiellement économique et le caractère militaire semble secondaire, même si disposer d'un couloir plus large pour faire transiter plusieurs navires militaires simultanément est un atout en temps de guerre.

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