Agriculture : les nombreuses vertus des objets connectés<!-- --> | Atlantico.fr
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Le monde agricole est très ouvert aux nouvelles technologies.
Le monde agricole est très ouvert aux nouvelles technologies.
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Minute Tech

Porteuse de véritables enjeux, l'e-agriculture (ou agriculture connectée) est d'ores et déjà une réalité. Si elle permet plus de précision, une plus grande efficacité ou une simplification du travail, elle nécessite encore une certaine prise en charge, dans la mesure où elle peut représenter un danger.

Roger Le Guen

Roger Le Guen

Roger Le Guen est enseignant-chercheur en Sciences Sociales, Titulaire de la Chaire Mutations Agricoles à l’ESA.
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Atlantico : On savait le monde agricole très ouvert aux nouvelles technologies. On ne s'étonnera pas de l'arrivée des objets connectés dans les métiers de l'élevage et de la culture. Pouvez-vous nous donner quelques exemples d'objets connectés déjà utilisés au quotidien dans les nombreux secteurs de l'agriculture en France et à l'étranger ?

Roger Le Guen : Parmi les plus utilisés dans le monde agricole, nous pouvons citer des drones équipés de caméras, qui permettent d’analyser un potentiel agronomique, de suivre la croissance de plantes ou encore le parcours d’animaux. Des capteurs météo localisés dans des parcelles permettent également d’analyser très finement les variations climatiques et d’envisager un management cultural très pointu (<100 m). Ils apportent ainsi une aide à la décision dans la gestion des sols, la gestion de l’irrigation ou dans le choix des dates optimales de semis.  

Les objets connectés s’appliquent également à l’identification et à la conduite individuelles des animaux d’élevage, quel que soit leur nombre. Par exemple, à l’aide de puces embarquées dans une boucle ou un bracelet, qui vont permettre de collecter des données précises sur son activité (podomètre), sa position (géolocalisation gps) et son état de santé (comportement d’alimentation, relations avec les autres animaux, température du corps, détection des chaleurs, etc.). On peut également citer des capteurs embarqués sur tracteurs pour "tracer" des travaux, mesurer des rendements, établir un suivi historique d’intervention sur les parcelles, suivre l’effort d’un moteur ; mais aussi des robots de traite, des distributeurs automatiques d’aliments concentrés aux bovins (DAC), des détecteurs du vêlage pour les vaches, des colliers de rumination pour les bovins etc. 

Quels sont les produits connectés attendus ? Quels sont les développements en cours ?

Tous ces équipements permettent de capter des informations sur chaque activité, chaque atelier et pour l’ensemble de l’entreprise agricole. Les données sont ensuite retransmises à un centre capable de les traiter selon des algorithmes donnés, afin de : calculer des rapports entre des objectifs, des moyens et des performances de production ; puis encore de mesurer et d’expliquer des écarts synchroniques ou diachroniques de pratiques, de résultats. Ils permettent aussi bien sûr de recevoir en retour des diagnostics pour les agriculteurs et, en perspective, des possibilités accrues de pilotage à distance du vivant et de leur travail.

En "incrémentant" ensuite ces données sur des populations plus ou moins grandes, on obtient des "datas" qui permettent de comparer des ateliers / exploitations entre elles ou encore d’obtenir des référentiels de données par production, par technique, par territoire… Ces développements sont en train de déboucher sur des possibilités croissantes d’interconnections entre capteurs et outils, sur des services marchands nouveaux à l’adresse des agriculteurs ; aussi sur des échanges entre agriculteurs, des possibilités de traçabilité des produits pour les industries et les distributeurs alimentaires, et même pour les consommateurs ; sur des supports de conseil de type temps réel, ou encore capables d’intégrer des trajectoires de pratiques et de résultats.

De nombreuses start-up ont lancé ou sont en train de concevoir des objets connectés innovants. C’est pourquoi nous avons invité 15 sociétés à "pitcher" lors des 1ers rdv de l’agriculture connectée qui se sont déroulés le 15 octobre dernier à l’ESA (École Supérieure d’Agricultures) à Angers. Elles ont ainsi pu présenter un échantillon de ces innovations, appliquées aux différentes filières agricoles. Citons par exemple les drones d’Airinov, les capteurs d’aide à la décision en grandes cultures de Weenat, ou encore le capteur d’émotions Neurokiff mesurant l’activité cérébrale du consommateur à la dégustation et apportant des indicateurs liés à la puissance du plaisir. Au-delà de ces exemples français, de nombreux développements sont en cours en Europe et dans le monde, et la seconde édition de l’événement s’appliquera certainement à en proposer des exemples significatifs.

Plus généralement, quels sont les grands enjeux de l'e-agriculture ?

Les enjeux sont multiples : être beaucoup plus précis pour produire à partir du vivant en visant une meilleure efficacité à la fois énergétique et agro-écologique ; simplifier le travail, notamment sa dimension administrative ; faciliter des économies d’échelle ; piloter des plantes et des animaux à distance, donc réduire l’astreinte et/ou le risque ; communiquer à l’intérieur de filières et avec le public ; améliorer beaucoup plus rapidement des innovations produits et/ou procédés ; mieux communiquer entre pairs et/ou experts de l’agriculture aux plans techniques et opérationnels ; anticiper sur certains risques ou contraintes agricoles …

Quels sont les opportunités ou les risques liés à ces enjeux, en terme de formation, de pratique professionnelle, de coûts financiers et de place des agriculteurs dans notre société ?

Les opportunités étant contenues dans les enjeux ci-dessus, je soulignerai ici davantage les risques humains et sociaux de ces évolutions :

- l’abstraction croissante du travail qui rend les compétences existantes en partie obsolètes ou qui peut marginaliser les agriculteurs peu formés / familiers ;

- la peur du grand public à l’égard de la robotisation, du pilotage à distance du vivant (entraînant une dégradation de l’acceptabilité sociétale de l’agriculture déjà mise à mal depuis les années 1990, suite aux crises sanitaires) ;

- un risque de dépendance des agriculteurs à l’égard des fournisseurs informatiques et des entreprises de traitement de data, avec :

a) captation de la valeur ajoutée résultant de ces changements liés à la promotion de cultures professionnelles de plus en plus individualistes 

b) dimension géostratégique contrôlée par des GAFA alliées au gouvernement nord-américain ;

- une simplification du métier qui peut entraîner des baisses de revenu compensées par une pluri-activité généralisée et l’entrée d’acteurs opportunistes en agriculture (au sens de recherchant le profit à court terme par des productions hyper standardisées pour les industries).

Pour maîtriser toutes ces innovations technologiques dans l’agriculture, il faut soutenir la transformation des pratiques professionnelles des agriculteurs et des techniciens, donc de nouveaux investissements en formation, en particulier chez ceux qui sont les moins qualifiés, ce qui n’est pas simple. Au-delà de cet aspect, ce qui est aussi en jeu, c’est le devenir de la profession agricole en tant que collectif capable de peser sur l’orientation de son secteur et la place des agriculteurs dans notre société. C’est ce que nous nous appliquons à comprendre et à soutenir via la Chaire de sociologie rurale Mutations Agricoles, une expérience unique en France, qui a été notamment à l’origine des 1ers rdv de l’agriculture connectée et qui a rappelé que les approches sociologique et économique sont aussi indispensables à prendre en compte que les aspects technologiques auxquels on réduit trop souvent l’enjeu des mutations en cours par le numérique.

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