"Islam, musulman, islamiste, islamophobie…" : comment échapper au double piège du déni et de l’amalgame ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La France devra essayer d'éviter le déni et de la minimisation d’une part ; l’amalgame et l’exclusion, de l’autre.
La France devra essayer d'éviter le déni et de la minimisation d’une part ; l’amalgame et l’exclusion, de l’autre.
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Totem et Tabou

Le magnifique élan national en réaction à cette semaine noire doit nous inviter à une réflexion approfondie et renouvelée : loin de tout déni et de tout amalgame, en évitant les tentations rhétoriques -et politiques- dont nous sommes coutumiers et qui, ça et là, refleurissent.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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D’abord l’horreur puis l’émotion, à sa mesure. Des mots très justes de François Hollande et de Nicolas Sarkozy. Des mots encore plus précis (notamment sur l’antisémitisme) de Manuel Valls. Puis le magnifique élan national d’hier et d’aujourd’hui. Dès demain, on nous le promet, la recherche des causes, des parades et des remèdes. A moins qu’un nouveau drame, toujours en suspens, ne vienne emporter les dernières digues de notre pauvre raison. A moins, de façon encore plus probable, que nous ne retombions dans nos chers travers : divisions partisanes, récupération politique et retour aux vieilles postures. Et aux bonnes vieilles rhétoriques : celle du déni et de la minimisation d’une part ; celle de l’amalgame et de l’exclusion, de l’autre.

Commençons donc par le déni et ou la minimisation : ce sont toutes les formulations qui, déjà, refleurissent : « ce ne sont pas des Musulmans »… « quelques centaines d’individus »… des « déséquilibrés »… « des jeunes paumés »… « nous ne sommes pas en guerre »… »… « gare à l’islamophobie »… « le problème n’est pas religieux mais social » etc…

La posture du déni et/ou de la minimisation n’a qu’une faiblesse, mais elle est grande : il suffit de lui appliquer ce que j’appellerai « le test de la symétrie ». Imaginons une minute que les journalistes de Charlie aient été victimes d’intégristes chrétiens : de fait, Charlie n’a pas ménagé les symboles les plus sacrés du christianisme ! Et demandons-nous alors quelles auraient été les réactions : « surtout pas d’amalgame » ? «  Ce ne sont pas des chrétiens » ? « C’est une infime minorité » ? « De jeunes paumés» ?  Et aurait-ton crié à la « christianophobie » ?

Nous aurions sans doute eu un tout autre discours sur le thème du « retour de la bête immonde ». Me trompé-je ?

Mais voilà « l’élastique rhétorique » qui repart dans l’autre sens ; celui de l’amalgame et de l’exclusion : « l’Islam en est au Moyen Age »… « C’est une religion violente » … « Regardez les terroristes : tous des Musulmans » ; (donc « tous les Musulmans sont des terroristes »)… « Ces gens ne s’intègrent parce qu’ils ne veulent pas s’intégrer »… Avec, pour les plus échauffés, en ligne d’horizon, « la Grande Déportation » en réponse au « Grand Remplacement ». D’un mythe à l’autre … Et le risque redoutable du déchirement social.

Quel remède contre ces idées-là ? Le plus difficile à mettre en œuvre, sans doute : la connaissance élémentaire : connaissance de ce qu’est l’Islam dans sa grande variété et plus délicat encore : un minimum de sens historique.

Sur l’Islam, je me contenterai de renvoyer aux déclarations des Musulmans eux-mêmes, du  conservateur Moussaoui au libéral Bidar : aucun des deux ne dit que « les terroristes ne sont pas des musulmans » : mais que ce sont des musulmans dévoyés, qui suivent une voie littéraliste et violente, née il y a une trentaine d’années en Afghanistan, très minoritaire mais en essor au sein de l’Islam, le salafisme djihadiste. Et qu’ils  prennent en otage l’ensemble de la religion. Nous avons d’abord affaire à « une guerre au sein de l’Islam », comme l’a rappelé maintes fois Gilles Kepel. Et une guerre qui déborde chez nous, si l’on veut bien se rappeler les victimes musulmanes de Merah et des frères Kouachi. Et une guerre qui nous vise aussi : l’estimation du nombre d’islamistes potentiellement dangereux est de 5.000. C’est très peu par rapport à la communauté musulmane (1 pour mille !) mais c’est plus que « quelques déséquilibrés ». Suffisamment pour déstabiliser un pays en tout cas.

Alors que faire ? Et d’abord, comment DIRE ?

Eh bien, une analogie très simple vient à l’esprit, facilitée par la richesse de notre vocabulaire et notre (tragique) expérience historique : nous distinguons très bien  nazis et nationalistes, socialistes et staliniens. Nous pouvons de même aisément distinguer « islamistes » et « musulmans ».

L’on rappellera que parmi les plus intraitables adversaires du nazisme, se trouvaient des nationalistes patentés : un Churchill, un de Gaulle. De même (voire la Tunisie, voire le Kurdistan) les combattants musulmans contre l’islamisme sont légion.

Ce qui n’est en rien un dédouanement. Bien au contraire : l’Islam doit s’interroger, comme le nationalisme par rapport au nazisme, comme le socialisme par rapport au stalinisme, sur ce qui a permis -et ceux qui ont permis-, en son sein, cette dérive meurtrière.

Mais pour l’ensemble de notre société, y compris les Musulmans en tant que citoyens, le message est plus large : le totalitarisme a pris un autre visage. Ce n’est plus celui de notre vieux « fascisme », contre lequel tant de nos belles âmes font de la résistance… à retardement et sans risque ! Ce visage encagoulé et meurtrier vient de dévaster la France et ce nouveau totalitarisme s’en prend, exactement comme les précédents, à l’essence même de notre culture politique et de notre vivre-ensemble : la démocratie et les libertés.

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