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Affaire Fillon : Eliane Houlette, l'ex-procureur national financier, affirme avoir subi des "pressions"
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Liberté de parole

Dans le cadre de son audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale consacrée à "l’indépendance du pouvoir judiciaire", Eliane Houlette a témoigné de la "pression du parquet général" dans l’affaire Fillon.

Eliane Houlette, procureur national financier (PNF) de 2014 à 2019, la première à occuper ce poste créé à la suite de l'affaire Cahuzac, a été auditionnée le mercredi 10 juin par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale consacrée aux "obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire".

Lors de son intervention, elle a notamment critiqué le peu de volonté de l'Etat d'assurer l'indépendance réelle des magistrats via une réforme constitutionnelle. 

Eliane Houlette a exposé son expérience à la tête du parquet le plus sensible du pays. Le PNF a la charge des affaires les plus complexes et médiatisées de France. 

Il est généralement assez rare de voir un magistrat raconter publiquement et sans filtre les coulisses de l'institution comme elle l'a fait lors de son audition.

Elle a fait part du "contrôle très étroit" dont elle a bénéficié lors de l'affaire Fillon, selon les informations du Point.

La magistrate, en poste de 2014 à 2019, faisait référence à la "pression du parquet général" subie au début de l'affaire, en février 2017. Elle évoque notamment les demandes incessantes pour qu’elle fasse remonter les informations au plus vite sur les derniers actes d’investigation.

La procureure s'est montrée agacée de ne pas avoir pu se choisir un successeur, chargé d'assurer l'intérim au moment de son départ, en juin 2019, comme c'est normalement l'usage pour tout chef de juridiction ou haut magistrat. 

"La procureure générale (Catherine Champrenault, NDLR) en a décidé autrement, contre mon avis. Je ne pense pas personnellement que ce soit une bonne chose : c'est un intérim qui a été fait par deux avocats généraux, qui étaient dédiés au contentieux économique et financier à la cour d'appel de Paris. Finalement, à travers cet intérim, ils avaient accès à toutes les procédures du Parquet national financier et ils [auraient] pu, si on leur avait demandé, renseigner [la hiérarchie, NDLR] sur tous les actes d'enquête. Je ne pensais pas que c'était opportun". 

La suspicion repose sur les procureurs dès lors que ces derniers sont amenés à enquêter sur des affaires sensibles, notamment liées au pouvoir politique. Selon des informations du Point, les procureurs sont parfois accusés de "recevoir des instructions du ministère de la Justice dans des affaires individuelles – alors que celles-ci sont interdites depuis une circulaire de 2014". Ils sont également pointés du doigt pour "faire remonter – comme la loi les y oblige pourtant – des informations sur des affaires particulières aux parquets généraux, qui eux-mêmes peuvent ensuite les transmettre à la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) de la chancellerie". Ces renseignements peuvent alors parvenir au pouvoir exécutif, sans que celui-ci ait besoin de se justifier sur leur utilisation. 

Dans le cadre de son audition, Eliane Houlette, a indiqué qu'elle souhaitait insuffler davantage de transparence dans les processus de remontées d'informations. Elle s'est alors confiée sur son rôle et ses travaux menés lors de l'affaire Fillon. Elle a notamment été marquée par la "pression du parquet général". Les demandes étaient nombreuses pour qu'elle fasse remonter les informations le plus vite possible sur les derniers actes d'investigation. Des demandes lui étaient parfois adressées pour "les actes de la veille" et qu'elle devait synthétiser "avant 11 heures le lendemain" :

"Les demandes de précisions, de chronologie générale – tout ça à deux ou trois jours d'intervalle –, les demandes d'éléments sur les auditions, les demandes de notes des conseils des mis en cause… Les rapports que j'ai adressés, je les ai relus avant cette audition [devant la commission de l'Assemblée nationale, NDLR]. Il y a des rapports qui étaient circonstanciés, qui faisaient dix pages, précis, clairs, voilà. On ne peut que se poser des questions [sur ce qui est fait de ces informations, NDLR]. C'est un contrôle très étroit…".

Selon des informations du Point, Eliane Houlette a également évoqué le cadre d'une réunion au cours de laquelle on lui aurait demandé d'ouvrir une information judiciaire contre François Fillon, alors que les investigations avaient jusque-là lieu dans le cadre d'une enquête préliminaire :

"J'ai été convoquée au parquet général – j'y suis allée avec trois de mes collègues, d'ailleurs – parce que le choix procédural que j'avais adopté ne convenait pas. On m'engageait [sic] à changer de voie procédurale, c'est-à-dire à ouvrir une information judiciaire. J'ai reçu une dépêche du procureur général en ce sens".

Elle finira par ouvrir une information judiciaire le 24 février 2017.

En février 2017, le Parlement a voté définitivement la réforme de la prescription pénale. La loi prévoit que la justice financière ne pourra plus enquêter sur des faits remontant à plus de douze ans, ce qui pourrait être très favorable à François Fillon. Le PNF va alors publier un communiqué justifiant l'ouverture d'une information judiciaire par l'adoption de cette réforme, ce à quoi va tenter de s'opposer – sans succès – le parquet général, qui ne voulait pas en faire mention.

L'ancienne magistrate a indiqué qu'"aucun des gardes des Sceaux [Christiane Taubira, Jean-Jacques Urvoas, François Bayrou, Nicole Belloubet] ou leurs collaborateurs immédiats ne [l]'ont interrogée ou [l]'ont incitée à agir ou à ne pas agir dans des dossiers particuliers".

Elle a également dénoncé en revanche, lors de son audition, les "très, très nombreuses demandes" du parquet général, lequel s'ingère "au quotidien dans l'action publique" :

"J'ai gardé toutes les demandes, elles sont d'un degré de précision ahurissante […] Je les ai ressenties comme une énorme pression.  Je n'ai pas eu le sentiment que nous faisions cause commune".

Le Point

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