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Zemmour Jadot : la campagne des effets papillons
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Jeu d'influence

Ces candidatures pourraient être la clé d'une élection présidentielle tant elles peuvent forcer les autres candidats à se redéfinir.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : C’est finalement Yannick Jadot qui a été choisi pour représenter EELV à la présidentielle. Il est actuellement crédité relativement faiblement dans les sondages (6%). Sa candidature pourrait-elle, néanmoins, rebattre les cartes à gauche en suscitant des changements de dynamique chez d’autres candidats ?

Vincent Tournier : Soulignons d’abord que Sandrine Rousseau n’est pas passée loin de la victoire. Son score de 49% est même assez surprenant quand on voit les postures qu’elle a adoptées, qui sont parfois assez déroutantes. Ajoutons aussi que le corps électoral des Ecologistes est passé de 12 000 personnes en 2017 à 120 000 en 2021, ce qui peut signifier deux choses : soit beaucoup de citoyens non écologistes sont venus voter pour torpiller la primaire et faire gagner la candidate la plus controversée, ce qui n’est pas impossible mais reste néanmoins délicat ; soit il y a eu une véritable dynamique en faveur des écologistes, et notamment de Sandrine Rousseau et des idées qu’elle avance, c’est-à-dire l’écoféminisme, l’intersectionnalité ou encore le wokisme. 

Il faut aussi tenir compte d’un autre élément, qui n’a pas été assez souligné : si Yannick Jadot n’a pas fait le triomphe qu’il pouvait espérer, c’est parce que celui-ci avait déjà été désigné comme candidat en 2016, mais qu’il avait finalement choisi de se désister en février 2017 au profit de Benoît Hamon. Les électeurs écologistes ont sans doute gardé en mémoire cet abandon en cours de route. Yannick Jadot a donc pu susciter un double malaise : d’une part il n’est pas un candidat fiable, d’autre part il a joué la carte de la modération face à Sandrine Rousseau alors qu’en 2017 il n’a pas hésité à s’allier avec Benoît Hamon, lequel était le candidat le plus proche des thématiques actuelles de Sandrine Rousseau. Il est donc difficile donc de cerner Yannick Jadot, ce qui ne joue pas en sa faveur. 

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Toujours est-il que cette victoire étriquée complique sérieusement la tâche de Yannick Jadot. Il est clair qu’il souffre d’un manque de légitimité dans son propre camp. Il va donc devoir tenir compte de l’autre partie de son mouvement, celle qui n’a pas voté pour lui et qui aspire à une écologie plus radicale et très accès sur les questions de société. En même temps, s’il fait trop de concessions, il va se retrouver dans une position délicate, puisqu’il va devoir assumer des contradictions importantes, ce que les médias ne manqueront pas de lui faire remarquer. Dans tous les cas, la candidature des écologistes n’est pas assise sur des bases solides, ce qui ne laisse pas vraiment présager une campagne flamboyante. 

De la même manière, alors qu’Éric Zemmour est crédité de 10 à 11% des voix, Marine Le Pen est descendue pour la première fois sous la barre des 20% d’intentions de vote. L’effet de la candidature de Zemmour peut-il donner le sentiment qu’une place est encore à prendre pour le second tour et que l’affrontement Macron-Le Pen n’est pas inéluctable ?

L’effet de la candidature d’Eric Zemmour sur les intentions de vote pour Marine Le Pen est très net : depuis que sa candidature a été intégrée dans les sondages, Marine Le Pen a plongé sous la barre des 20%. Et d’après le dernier baromètre Harris Interactive, réalisé le 29 septembre, elle est même tombée à 16%, alors que, de son côté, Éric Zemmour est grimpé à 13%. A ce rythme-là, les courbes devraient logiquement se croiser dans les semaines qui viennent, ce qui serait évidemment tragique pour Marine Le Pen. 

A ce stade, la question ne va plus être : est-ce que Zemmour doit être candidat, mais est-ce que Marine Le Pen peut encore se maintenir ? C’est une question que Marine Le Pen a tout fait pour rendre illégitime, et c’est même la raison pour laquelle elle a déclaré sa candidature très tôt, espérant plus que jamais apparaître comme la candidate naturelle et incontestable. Mais maintenant, compte-tenu de la dynamique qui se crée autour d’Éric Zemmour, elle ne va pas y couper. Elle va certes tenter de réagir, comme elle vient de le faire en lançant un grand plan contre l’immigration dans l’espoir de reprendre le dessus et de casser la dynamique Zemmour (qu’elle a traité au passage de « faux prophète »), mais peut-elle encore inverser la tendance ? Elle va être contrainte d’expliquer ce qui justifie sa candidature puisqu’elle risque d’être accusée de mener de nouveau son camp à l’échec, surtout lorsque les sondages commenceront à dire qu’elle n’est même plus assurée d’accéder au second tour. 

Cela étant, de son côté, Éric Zemmour n’est pas au bout de ses peines. S’il persévère dans son projet de candidature, il va devoir démontrer qu’il peut faire mieux que Marine Le Pen, c’est-à-dire à la fois se qualifier pour le second tour, ce qui n’est pas encore évident à ce stade, et ensuite battre Emmanuel Macron au second tour, ce qui est encore moins évident. Le journaliste souffre en effet du même défaut que Marine Le Pen : il est jugé infréquentable par une bonne partie de la population. De plus, il a un discours très intellectuel qui le tient assez éloigné de l’électorat populaire. Il va donc devoir trouver une manière de capter les électeurs qui ne lisent pas ses livres, qui ne le connaissent même pas, et qui cherchent surtout un candidat anti-système qui ne soit pas issu de l’aristocratie politico-médiatique parisienne. 

Il reste qu’Éric Zemmour bénéficie d’un atout considérable : il n’est pas plombé par le nom des Le Pen, ni par les quarante ans d’histoire du Front national, ni même par les échecs successifs des Le Pen. La polarisation des débats médiatiques autour de ses idées lui assure aussi l’image d’un paria, ce qui peut contribuer à lui donner beaucoup de force auprès des déçus du système. Il peut donc incarner un espoir que Marine Le Pen n’est plus vraiment en mesure d’apporter, ne serait-ce qu’en donnant du crédit à l’idée qu’une victoire n’est pas impossible.  

A quel point l’effet papillon de ces deux candidats peut-il être important pour la présidentielle qui s’annonce ? Qui va en profiter ?

L’effet papillon n’est pas le même entre les deux candidats. Il est clair qu’Éric Zemmour est susceptible d’avoir un impact bien plus important que Yannick Jadot sur la configuration générale de l’élection. Ce dernier dispose en effet d’un espace électoral très réduit, comme l’ont démontré les précédentes élections présidentielles. Rappelons qu’en 2017, lorsque Yannick Jadot s’est retiré au profit de Benoît Hamon, il ne faisait que 2% dans les sondages. 

Ce score dérisoire souligne que les écologistes sont frappés d’une malédiction : ils bénéficient d’une cause consensuelle et peuvent faire de bons scores dans certains scrutins, mais ils échouent lamentablement à l’élection décisive qu’est la présidentielle. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé diverses stratégies. En 2007, la primaire EELV avait désigné à une courte majorité Dominique Voynet au détriment d’Yves Cochet. La situation était donc très comparable à celle d’aujourd’hui, avec une candidate représentant la voix de la modération face à un candidat plus radical. Résultat : Dominique Voynet n’a obtenu que 1,6% des voix au premier tour. En 2012, nouvelle stratégie : cette fois, la primaire désigne Eva Joly, qui est plus radicale, au détriment du médiatique Nicolas Hulot. Résultat : elle fait à peine mieux avec 2,3%. 

Donc, on comprend pourquoi Yannick Jadot s’est retiré en 2017 quand il a vu qu’il stagnait à 2%. Peut-il espérer faire mieux cette fois-ci ? C’est possible puisqu’il est annoncé à 6-7% et qu’il a réussi à obtenir 13,5% aux élections européennes de 2019. On verra s’il parvient à décoller, mais a priori, il va vers un échec programmé car la présidentielle est le tombeau des espoirs écologistes. Il faudrait d’ailleurs qu’ils s’interrogent en profondeur sur les raisons de ces échecs. 

Relevons quand même que, dès que l’élection de Yannick Jadot a été annoncée, Christophe Castaner lui a envoyé un appel du pied en ne tarissant pas d’éloges sur lui. Le parti d’Emmanuel Macron a-t-il l’intention de négocier avec lui ? Cela peut paraître étonnant quand on se souvient que Yannick Jadot a opté pour Benoît Hamon en 2017. Mais après tout, Emmanuel Macron a bien réussi à récupérer Nicolas Hulot. De son côté, Yannick Jadot va peut-être se dire qu’il vaut mieux négocier, surtout si les sondages lui prédisent un score relativement honorable, plutôt que d’aller vers une nouvelle défaite assurée.  

Dans le cas d’Éric Zemmour, on n’est pas du tout dans la même situation car la surface électorale n’est évidemment pas la même. Sa candidature est susceptible de créer de véritables déflagrations. Déjà, on voit qu’il fragilise considérablement la position de Marine Le Pen. Mais il peut aussi faire fléchir la droite. Certes, il semble à ce stade guère envisageable que la droite renonce à son propre candidat, mais une telle option n’est pas exclue. Alors que Xavier Bertrand est pour l’heure le meilleur candidat de la droite en termes de suffrages potentiels, il plafonne à 14%. C’est clairement un effet de l’arrivée d’Éric Zemmour, qui le prive de toute marge de progression, ce qui lui ferme de ce fait l’accès au second tour de la présidentielle. 

Dans ces conditions, à quoi bon maintenir sa candidature ? La droite a beau affirmer qu’Éric Zemmour n’est pas dans son camp, comme vient de le dire Christian Jacob, elle risque d’aller dans le mur. En interne, des pressions vont donc certainement s’exercer pour prôner un retrait tactique du candidat de droite, quitte à négocier ensuite avec Éric Zemmour pour les élections législatives. 

On n’en est évidemment pas encore là, mais ce qui est sûr, c’est qu’Éric Zemmour est potentiellement celui qui peut déconstruire totalement l’élection présidentielle de 2022 telle qu’elle était annoncée jusqu’à maintenant.

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