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Vote du PLF 2020 : 3 mois de débats pour presque rien (de nouveau)
©ALAIN JOCARD / AFP

Tout ça pour ça

Le Projet de loi de finances pour 2020 doit être voté en première lecture à l'Assemblée nationale ce mardi.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Emmanuel Macron a déclaré dans The Economist il y a quelques jours : "Nous avons besoin de plus d'expansionnisme et de plus d'investissement. [...] Je pense que c'est pour cela que le débat autour du 3% dans les budgets nationaux, et du 1% du budget européen, est un débat d'un autre siècle." Le PLF 2020 va être adopté solennellement aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Le déficit prévu pour 2020 serait, selon le HCFP, de 2,2%. En ne regardant que le niveau de déficit, Emmanuel Macron et le gouvernement peuvent-il réfléchir à la répartition des charges et des dépenses publiques, et à leurs effets ? 

Mathieu Mucherie : Ils n'en sont pas là... Ils sont au stade du tripatouillage, ils font ce qu'ils peuvent. En réalité, ils naviguent à vue, comme les banquiers centraux. Il n'y a pas de doctrine claire. On sait tous depuis le début que les 3%, c'est une connerie. Ils ne peuvent pas trop le dire, mais ils le disent un petit peu. L'idée, c'est donc d'essayer de faire semblant de respecter une sorte de guidance budgétaire. Pourquoi ? Surtout pour ne pas perdre la face, comme dans les cultures asiatiques ! Il ne faut pas chercher plus loin. Ils essayent aussi de ne pas trop se mettre en faute par rapport au partenaire allemand. Et pour le reste, ils ne peuvent pas non plus aller trop loin vu le taux de croissance qu'on a. Il ne resterait plus rien si jamais l'Etat commençait à faire vraiment de l'austérité. Et puis de toute façon, du point de vue la pure rationalité économique, étant donné que les taux sont nuls ou négatifs et que l'Etat s'endette à 10 ans à taux négatifs, il n'y a pas d'urgence à resserrer. Et en même temps, ils sont obligés de faire un tout petit effort parce que quand même, on aura noté que, que ce soit dans l'enseignement, à l'hôpital, ou dans la police, il y a de grosses demandes actuellement, dont certaines sont tout à fait légitimes. 

Ils se disent donc qu'il faut donc encore tenir pendant 2 ans et demi, en faisant semblant de respecter les demandes légitimes (service public, gilets jaunes, etc.) tout en faisant aussi semblant de respecter vaguement les engagements pris auprès de Bruxelles. Cela pouvait passer assez agréablement il y a encore dix-huit mois parce que le gouvernement était persuadé qu'il y aurait 2% de croissance chaque année. C'était la programmation d'Emmanuel Macron sur cinq ans. Il était parti du principe qu'il n'y avait plus ce cycles économiques et qu'on aurait deux fois notre croissance potentielle chaque année pendant cinq ans de suite. C'était assez beau... Evidemment, dès qu'il est arrivé, la croissance est passé de 2% à 1,5%. Maintenant, elle est plus proche de 1%, et encore, c'est parce qu'on fait de la relance budgétaire. Sinon le secteur privé est en dessous. On sent bien par ailleurs que dans un an, on va être proche de zéro. Que fait-on dans ce cas ? On fait un peu de bidouillage : il y a un peu de hors bilan ; il y a des jeux de passe-passe avec la dette de la SNCF, etc. C'est politique de rabots, de rabais, de petits stimulus sectoriels. C'est donc exactement ce qu'Emmanuel Macron avait dit qu'il ne ferait plus : un pilotage à la François Hollande, à courte vue, sans véritable réforme des effectifs de la fonction publique, sans réforme de l'Etat. 

Une des mesures phares du PLF 2020 est la baisse de l'Impôt sur le revenu, et des baisses de charges plus généralement pour les classes moyennes (de l'ordre de 5 milliards) dans le contexte de l'après gilets jaunes.  Ce genre de mesures sont compensées par la baisse de la charge de la dette dans un contexte de taux très bas. Est-ce que ce contexte n'empêche pas la réforme de l'Etat ? 

Déjà, 5 milliards parait important. Mais ramenés au 1100 milliards de dépenses publiques de toutes les administrations, les 5 milliards ne seront probablement pas perçu par les agents économiques. Si en même temps, vous augmentez le prix des péages ou de l'électricité, parfois pour de bonnes raisons d'ailleurs, votre baisse d'impôts de 5 milliards est incolore, inodore. Elle n'aura aucune influence. 

Sur le reste, je ne suis pas d'accord avec cette explication. L'Etat secrète son déficit comme une glande secrète une hormone. C'est quasiment naturel. C'est une gigantesque machinerie. Il ne faut pas imaginer des gens qui font de l'optimisation financière de haut niveau en se disant : j'ai une baisse de taux, donc cela va me donner tant de marge financière. Ce n'est pas comme cela que ça se passe. On a à faire avec une énorme machine, avec 5 millions de fonctionnaires, avec des charges salariales stables. A la marge, il y a des questions de croissance, mais rien de plus.

C'est ce qui explique selon vous les déclarations du Président ?

 Si Emmanuel Macron était en capacité, grâce à la croissance, de passer en-dessous des 3% de manière significative et durable, il passerait son temps à dire : "Nous sommes passés en dessous des 3%, voyez à quel point je traite convenablement les finances publiques par rapport à mes prédécesseurs". Mais vu qu'il n'est plus dans la capacité de le faire, il casse le thermomètre. On va réentendre parler des fameux investissements d'avenir qui permettent de parler différemment du déficit public. Il va dire que de toute façon, c'est de la faute des gilets jaunes. Ce ne sera, quoiqu'il arrive, pas de sa faute. Ce ne sera pas lui qui aura été dans l'excès d'optimisme dans sa programmation de 2017. Ce ne sera pas lui qui aura exagéré le rôle des pseudo-réformes structurelles qu'il a à moitié entamées. Ce sera la croissance mondiale qui fait défaut à cause des méchants Américains, des méchants Chinois, ou des méchants Brexiters, mais ce ne sera jamais de la responsabilité de la France. Toutes les techniques de disculpations qu'utilisent les banquiers centraux ou les financiers seront utilisées par le camp Macron. 

Il a annoncé la semaine dernière qu'il y aurait un plan d'urgence pour l'hôpital. Est-ce que cela n'annonce pas qu'à chaque crise sociale, jusqu'à la fin du quinquennat, le gouvernement lâchera du lest en faisant de petits efforts localisés ?

C'est exactement, trait pour trait, ce qu'il avait dit qu'il ne ferait plus. Il avait dit : "Avec moi, le nouveau monde, ce ne sera plus une gestion au fil de l'eau, dans l'urgence, ce ne sera plus du bricolage ou du saupoudrage. On a un plan et une stratégie. On va donc avoir de la croissance, parce que je suis très intelligent et que je suis entouré de gens qui sont des managers dans l'âme." Voilà la promesse : réduire les déficits, respecter le modèle social français, et faire des réformes structurelles. En fait, cela ne tient pas, parce qu'il n'y a aucune raison pour cela tienne. Même si on avait de la croissance, on reste piloté par les émotions, les manifestations, par des éléments très conjoncturels. Il n'a pas la profondeur de banc en termes de ressources humaines. Il n'a pas les marges de manœuvres politiques. 

On revient donc toujours au péché originel de ce mandat et de tous les mandats précédents. La théorie des 100 jours de Milton Friedman, qui dit que si vous êtes très légitime au moment de votre élection, il faut tout faire passer au maximum dans les trois premiers mois, est vérifiée. Quand on regarde les trois premiers mois, on a l'impression de changements, mais ce sont des changements de ressources humaines, de marketing. Beaucoup d'agitation, mais sur le fond des réformes économiques, il n'y a rien. On ne se fâche pas avec les vraies réformes qui font mal, comme la libéralisation du foncier ou les retraites. On passe des heures et des heures sur la loi de la moralisation de la vie politique. Maintenant qu'on a ni croissance, ni capacité politique pour agir, il fait exactement ce que font ses prédécesseurs : du pilotage à courte vue. Le PLF est donc un non-événement, sinon le signe d'une hollandisation d'Emmanuel Macron.

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