Voilà pourquoi les espions de la vraie vie ne ressemblent ni à James Bond ni aux héros de séries à la Homeland<!-- --> | Atlantico.fr
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Une image de l'acteur écossais Sean Connery, qui a joué dans sept films de James Bond, est vue lors de l'avant-première de l'exposition "Bond in Motion" au Musée international de l'espionnage à Washington, DC, le 27 février 2024.
Une image de l'acteur écossais Sean Connery, qui a joué dans sept films de James Bond, est vue lors de l'avant-première de l'exposition "Bond in Motion" au Musée international de l'espionnage à Washington, DC, le 27 février 2024.
©Mandel NGAN / AFP

Espionnage

Le cinéma d’espionnage à la James Bond constitue d’excellents films d’aventure très divertissants et généralement bien faits. Mais ces œuvres sont totalement éloignée de la réalité qui est beaucoup plus sombre et anodine.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Concernant les services de renseignement, on a tendance à regarder ce qui ne va pas et non ce qui va. Comment l’expliquer ? Comment s’organisent les services de renseignement ?  

Alain Rodier : Il est normal que l’on regarde ce qui ne va pas car, si les échecs sont en partie connus, les succès restent dans le domaine du secret durant de longues années. C’est ainsi que l’opération Fortitude qui a consisté à berner les Allemands sur le lieu de débarquement en 1944 n’a été connue dans le détail que dans les années 1970 quand toutes les archives ont été rendues accessibles aux chercheurs et universitaires.

Et les succès, il y en a beaucoup. Si l’on prend le cas des éliminations ciblées (opération homo et arma), le résultat n’est que la partie visible d’opérations très complexes qui ont permis l’identification et la localisation exacte d’objectifs sensibles et protégés : la plupart des califes du groupe État Islamique, les deux émirs d’Al-Qaida et les centrifugeuses iraniennes (virus Stuxnet) l’ont compris à leurs dépens.

Si chaque pays a sa spécificité - par exemple les États-Unis ont 18 agences de renseignement -, globalement la majorité ont des services intérieurs chargés du contre espionnage, du contre-terrorisme et de la contre-ingérence, des services extérieurs qui ont pour mission de recueil de renseignements à l’étranger et des services techniques qui gèrent toutes les informations d’origine électromagnétique, satellitaires, etc.

Il y a quelques exceptions comme les MIT turc qui a une compétence intérieure et extérieure. Enfin, il existe le renseignement militaire destiné à informer les forces armées dans leur domaine propre.

À noter que dans les pays démocratiques, seuls les services de renseignement extérieurs sont habilités a opérer en dehors des lois (des pays ciblés, mais aussi des lois nationales.) Cela est tempéré par le fait qu’ils sont contrôlés - après coup -  par des commissions indépendantes.

Toutefois, il vaut mieux pour les opérateurs de ne pas se faire prendre les doigts dans le pot de confitures. Ils sont généralement lâchés par les responsables et les autorités intermédiaires « sautent » comme des fusibles (affaire Greenpeace).

Si le renseignement dans sa globalité n’est généralement pas placé dans la main d’un seul homme, c’est que le pouvoir politique craint que ce responsable super informé ne devienne trop puissant et ne finisse par représenter un danger pour lui. Il pourrait avoir des dossiers sur tout et sur tous…

Toutefois, comme il convient tout de même de coordonner l’action de l’ensemble des services et qu’il n’y ait pas redondance et budget gaspillé, il existe un « coordonateur » du renseignement qui rassemble tous les « directeurs » mais il n’a pas une réelle autorité hiérarchique au sens strict du terme. Le seul responsable final des services de renseignement, c’est la plus haute autorité de l’État. C’est d’ailleurs ce qui fait la puissance des « directeurs » des services : en fin de comptes, ils ne répondent qu’au chef de l’État.

En France, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme nommé en conseil des ministres conseille le Président de la République dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, il coordonne l'action des services spécialisés de renseignement […] et, en tant que de besoin et pour les seules finalités du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, des autres services de renseignement […]. Il transmet les instructions du Président de la République aux ministres responsables de ces services et s'assure de leur mise en œuvre. 

La directrice du renseignement national (Director of National Intelligence, DNI) est une responsable du gouvernement fédéral des États-Unis, sous l'autorité et le contrôle directs du président des États-Unis pour :

. faire fonction de conseil principal pour le président, le Conseil pour la sécurité nationale (National Security Council) et le Conseil pour la sécurité du territoire (Homeland Security Council), pour tout ce qui concerne le renseignement en rapport avec la sécurité nationale ;

. faire fonction de coordinateur de la communauté du renseignement, un ensemble des 18 principales agences de renseignements des États-Unis ;

. superviser et diriger la mise en œuvre du programme national du renseignement (National Intelligence Program).

Quelles sont les causes possibles de l’échec des services de renseignement ? Est-ce davantage la faute à une personne ou à l’organisation dans son ensemble ?

En dehors des cas de « trahison », la « faute » ou « faille » n’est jamais individuelle pour la simple raison que le renseignement suit un processus dit « chaîne du renseignement ». Cette dernière part du recueil de l’information d’origine technique ou humaine, son analyse par des spécialistes, sa mise en forme après recoupements et sa transmissions aux autorités politiques ou militaires qui « ont à en connaître. »

Aussi étonnant que cela puise paraître, les renseignements recueillis sont abondants, voire sur-abondants (trop d’informations tue l’information.)

Même si un système de tri automatique est fait en amont, il y a un goulet d’étranglement au niveau des analystes qui ne sont jamais assez nombreux pour gérer les flux. Le problème de la coordination entre les spécialistes en politique, économie, technique est aussi très délicat à gérer d’autant que, par souci de cloisonnement pour ne pas nuire à la confidentialité de l’information, il est parfois difficile de déterminer qui doit être mis au courant d’un renseignement jugé sensible.

De ce fatras d’informations, de renseignements, de rumeurs… sort enfin la diffusion finale qui est lue, relue et vérifiée par les « sachants hiérarchiques » avant d’être adressée aux autorités.

Les services de renseignement doivent avertir, mais c'est aux décideurs politiques qu'il incombe d'agir. Dans quelle mesure les décideurs politiques ont-ils leur importance dans l’équation ? 

C’est bien là le deuxième écueil : les décideurs (qui ont souvent à leur disposition d’autres informations parfois contradictoires, en France via les Affaires étrangères qui font un excellent travail) vont t’ils croire les informations transmises par les services ?

Ensuite, quelles décisions seront-ils amenés à prendre – s’ils en prennent une, ce qui n’est pas toujours le cas -.

Du temps de la Guerre froide, il était commun de dire que le KGB et son pendant militaire, le GRU « savaient tout » sur l’Occident. Leurs agents étaient infiltrés du bas en haut de l’échelle hiérarchique, les communications étaient toutes écoutées, etc. Ils lisaient à livre ouvert en Occident !

Mais les autorités politiques moscovites aveuglées par le prisme de l’idéologie marxiste-léniniste ne croyaient pas leurs services de renseignement car ils dérangeaient leurs certitudes. Les rapports finissaient donc au fond des tiroirs sans que l’on n’en tienne compte…

Il est fort possible que ce soit ce qui est arrivé à Poutine avant l’invasion de l’Ukraine. Il semble aberrant que le GRU, le SVR, le FSB ait pu croire une minute que les populations ukrainiennes allaient accueillir les troupes russes en libératrices tant le rejet du « Russe » (en dehors des régions russophiles de l’Est) était immense…

Il est vrai qu’avec les dictateurs, les responsables des services de renseignement ont aussi tendance à ne présenter que ce qui va « plaire » au monarque de peur d’être limogés - voir pire ; même si la peine de mort est abrogée en Russie, on meurt beaucoup dans les colonies pénitentiaires sibériennes -. 

On accuse également les différents services de renseignement d’obéir parfois à un agenda politique. Avant l’invasion russe en Ukraine, les services de renseignement américains avaient alerté sur cette hypothèse. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n’y avait pas cru. Comment les services de renseignement doivent-ils agir pour légitimer leurs alertes ? 

En ce qui concerne les Américains, je pense qu’ils avaient les mêmes informations que les autres services de renseignement. Globalement, tout le monde pouvait compter les effectifs russes en manœuvre autour de l’Ukraine et la posture offensive de ces unités.

Les analystes américains ont été plus sagaces que leurs homologues occidentaux et ukrainiens parce qu’ils avaient eu la sagesse de garder de très bons experts du monde russe. Pour les Français, la Guerre froide étant terminée, les spécialistes russophones ont laissé la place aux arabophones jugés plus à même de répondre aux préoccupations gouvernementales.

Plus grave encore, depuis l’affaire de la présentation des « preuves » devant l’ONU de l’existence d’armes chimiques en Irak qui a justifié l’entrée en guerre des États-Unis, la méfiance était restée très grande vis-à-vis de ce grand pays allié. 

Mais c’est une réalité : les déductions américaines se sont donc révélées exactes…

Peut-être que si des forces otaniennes avaient été déployées dans l’ouest de l’Ukraine bien avant février 2022, l’invasion aurait pu être évitée.

Mais il existe aussi l’hypothèse que cela l’aurait provoqué l’ire de l’ours russe. L’Otan qui se serait alors retrouvé au contact direct des Russes - ce qu’aucun responsable occidental (excepté ceux des pays baltes et polonais) ne souhaite -.

À quel point le cinéma – avec ses espions comme James Bond – faussent l’image que l’on a des services de renseignement ?

Le cinéma d’espionnage à la James Bond constitue d’excellents films d’aventure très divertissants et généralement bien faits. Mais, ces œuvres sont totalement éloignées de la réalité qui est beaucoup plus sombre et anodine. Les seuls qui s’en rapprochent un peu sont les films tirés des romans de John le Carré dont le premier (l’espion qui venait du froid) est glaçant…

Il ne faut pas se faire d’illusions, le Bureau des légendes entre dans la première catégorie bien que les réalisateurs aient pris des faits réels comme base d’inspiration… 

Pour conclure, le pouvoir politique demande beaucoup aux services de renseignement et c’est bien légitime. Ces derniers répondent la majeure partie du temps à ces exigences - même s’il existe de gros trous dans la raquette -. Ce qui est absurde, c’est de leur demander de prédire l’avenir. La prospective est un art difficile qui est plus du domaine de « Madame Irma »…

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