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Voilà ce qui se passe dans votre cerveau lorsque vous êtes sur zoom
©Hans Lucas / AFP

Interactions

Des chercheurs de l’Université de Yale ont relevé que notre cerveau ne traite pas les conversations Zoom de la même manière que les conversations en face-à-face

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Une étude réalisée par le Professeur Hirsch et son équipe de l’Université de Yale a comparé la manière dont interagissent deux personnes en situation réelle et avec Zoom, la célèbre plateforme vidéo. Quelle méthode ont-ils utilisé ? Quelles conclusions sont tirées ? Est-ce une recherche comparative de premier plan ? 

Jean-Paul Mialet : Le face à face est la pierre angulaire de l’activité du psychiatre. Lors de la pandémie de Covid, il a fallu substituer à la rencontre réelle la consultation vidéo. Obtient-on alors à une situation similaire ? En dépit des nombreux avis contraires de confrères enthousiastes, mon opinion sur ce point a toujours été négative. Ce qui n’était alors qu’une impression sans autre fondement qu’un sentiment de frustration par rapport à l’expérience clinique vient d’être confirmée par une remarquable recherche d’une équipe de Yale menée par la professeure de psychiatrie et neurosciences Joy Hirsch.

A titre préliminaire, notons que la question du traitement des visages est un domaine familier de la psychologie expérimentale. Les recherches ont été nombreuses depuis les années 70, mais elles se sont jusqu’à présent déroulées uniquement en statique : on se bornait à tenter de comprendre quelles zones du cerveau étaient sollicitées par l’interprétation d’un visage donné. Hirsch est la première à examiner la situation naturelle de la rencontre, qui est celle d’une dyade : que se passe-t-il dans les cerveaux de deux individus en interaction ?

Cette exploration multimodale des interactions face à face est-elle plus rigoureuse ?

L’exploration qu’elle mène fait appel à des indices physiologiques classiques tels que ceux recueillis par l’EEG (électroencéphalogramme, où l’on s’intéresse à la spatialisation des ondes d’activité électrique du cerveau et à leur fréquence), la pupillométrie (le diamètre pupillaire varie en fonction du niveau d’éveil général) et l’enregistrement des mouvements oculaires (informant sur la dynamique du regard, notamment emplacement et durée des fixations). Mais elle y ajoute une méthode récente de neuroimagerie qui donne une représentation fonctionnelle de l’activité cérébrale avec un matériel relativement simple et transportable : la fNRIS ou spectroscopie fonctionnelle dans le proche infrarouge. Une révolution technologique qui rend presque les services de l’IRM fonctionnelle sans les mêmes lourdes contraintes : il est à parier qu’on en apprendra beaucoup grâce à elle sur l’activité de l’esprit « en situation » (Elle vient d’être employée, par exemple, pour visualiser l’activité du cerveau de musiciens pendant qu’ils jouent d’un instrument.)

Interactions réelles vs virtuelles, des réactions bien différentes ?

L’investigation de l’équipe de Hirsch compare les informations obtenues avec ces différentes méthodes dans une interaction réelle ou virtuelle. Elle porte sur 28 adultes distribués en 14 dyades.  Pour chaque paire, le face à face, distant de 1,40m, se déroule dans deux conditions : une condition naturelle où le visage est exposé en direct à travers une fenêtre vitrée et une condition virtuelle où le visage est transmis sur un écran via une caméra. La présentation alterne des séquences « on » et « off » de 3 secondes chacune ; dans la condition « on » les visages sont visibles alors que dans la condition « off », la fenêtre vitrée est opaque comme le moniteur.

Dans chacune des mesures sont observées des différences très significatives selon que le face à face oppose deux visages réels ou virtuels. Dans la situation réelle, le regard s’attarde davantage sur le partenaire, le diamètre pupillaire est plus grand. Du point de vue de l’EEG, on observe dans la situation réelle, et non dans la situation virtuelle, des ondes Théta. Enfin, la fNRIS indique, dans la situation réelle, une activité accrue dans les réseaux de la région dorso pariétale et un synchronisme de l’activité de ces régions dans les dyades que les chercheurs interprètent comme un signe d’échanges mutuels d’information à base sociale. 

Ainsi, dans le face à face « live » : plus de fixation du regard, plus d’éveil (pupilles élargies), plus  d’activation EEG et implication accrue de faisceaux neuronaux qui sont en lien avec la quête d’indices clés pour l’interprétation d’un contexte (ces neurones sont ceux qui répondent lors de la présentation d’un stimulus saillant et qui sont guidés par l’attention pour diriger le comportement vers des cibles jugées pertinentes). 

Résumons. Nous avons une implication globale franche dans l’interaction réelle dont l’interaction virtuelle n’est que la version appauvrie. Faut-il alors oublier Zoom ? 

On a pu espérer que le télétravail serait demain la nouvelle norme de la vie professionnelle, renvoyant à l’archaïsme les contraintes du bureau. On a vu que cet espoir avait fait long feu : la plupart des dirigeants exigent aujourd’hui le retour au « présentiel », le directeur de Zoom y compris. Le télé travail a révélé ses limites.  Sont-elles celles qu’indiquent cette expérience ? Pas exactement. Travailler en présence de ses collègues de travail va bien au-delà du face à face examiné dans la recherche qui vient d’être exposée. Mais on peut tracer un parallèle : travailler au milieu des autres amène à s’impliquer davantage que dans un environnement désincarné. Et même les rencontres autour de la machine à café qui pouvaient sembler une perte de temps contribuent à synchroniser l’équipe (comme les esprits) ainsi qu’à faire naître des questions imprévues qui enrichit et fait vivre l’activité. Mes patients qui travaillaient par Zoom lors de la pandémie se plaignaient beaucoup de la fatigue générée par cette activité. Moi-même, j’ai pu constater que les consultations vidéo fatiguaient davantage que les consultations ordinaires, ce que j’interprétais comme la conséquence d’une relation désincarnée : seule une relation incarnée peut donner l’animation qui entretient l’élan et peut inspirer en profondeur l’échange. La relation avec une image, même si vous connaissez bien la personne, manque d’épaisseur. Paradoxalement, cela peut autoriser une désinhibition et des confidences qu’on ne s’autoriserait pas dans la relation réelle – ce qui, pour une consultation psychiatrique, est quelques fois positif. Mais elle ne permet pas la spontanéité de la relation réelle ; elle impose de contempler l’image de l’autre tout en gardant un œil sur sa propre image. Avez-vous remarqué combien il est difficile de conclure une séance Zoom par un « Au revoir » qui sonne juste ? 

De là à ne voir que des défauts dans un progrès majeur qui permet aujourd’hui d’assister à une réunion à l’autre bout de la planète sans quitter son bureau, en épargnant tant de coûts et d’effort… Non ! Ne jetons pas nos tablettes par-dessus bord. Elles contribuent à effacer les limites de notre espace personnel et à rejoindre où qu’ils soient ceux que nous aimons ou avec lesquels nous collaborons. Nous sommes, grâce aux écrans, presque parvenus à satisfaire nos rêves d’ubiquité. Presque ! Mais pas plus. C’est parfois si simple à mettre en œuvre qu’on pourrait s’illusionner. Il est heureux qu’une recherche comme celle du Pr Hirsch nous ramène à la réalité – bien plus riche que toutes les images ! 

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