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Voici pourquoi les jeunes veulent changer de carrière de plus en plus vite
©Reuters

Souplesse juvénile

Plusieurs enquêtes publiées récemment montrent que les jeunes arrivants sur le marché du travail souhaitent changer d'emploi de plus en plus vite.

Vincent  de Gaulejac

Vincent de Gaulejac

Vincent de Gaulejac est professeur de sociologie à l'UFR de Sciences Sociales de l'Université Paris 7 Denis-Diderot.

Il est l'auteur du livre Les sources de honte (2011, Point), Travail, les raison de la colère (2011, Seuil). Il a également publié Manifeste pour sortir du mal-être au travail avec Antoine Mercier (2012, Eds. Desclée de Brouwer), Dénouer les noeuds sociopsychiques (Odile Jacob, 2020), a co-écrit La lutte des places avec Isabel Taboada-Léonetti chez Desclée de Brouwer, a collaboré à De la lutte des classes à la lutte des places. Son dernier ouvrage, Mettre sa vie en jeux: Le théâtre d'intervention socioclinique, co-écrit avec René Badache est sorti en 2021 aux Éditions Seuil.

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Atlantico : Dans une enquête menée par ZipRecruiter auprès de demandeurs d’emploi âgés de 34 ans et moins, moins de la moitié des personnes interrogées ont déclaré qu’elles comptaient rester dans le même secteur à long terme. Parmi les travailleurs âgés de 25 à 34 ans contactés par le site d'emplois Monster.com, 26% se voient entamer une nouvelle carrière au cours des cinq prochaines années. Comment expliquer que les changements de carrière adviennent de plus en plus tôt ? Pourquoi les jeunes travailleurs ont-ils des difficultés à rester dans le même secteur plus de cinq ans ?

Vincent de Gaulejac : Depuis des années, le patronat et nos différent gouvernements, ne cessent de répéter que le marché du travail est trop rigide, enchâssé dans des contraintes qui seraient un obstacle à l’embauche. Ils ont prôné la flexibilité, la mobilité, l’adaptabilité. Les jeunes ont bien compris que les règles avaient changée et qu’il leur fallait apprendre à vivre dans une société « liquide », selon le concept proposé par Z. Bauman. Ils ont mis la « flexibilité » au coeur de leur existence, dans tous les domaines, affectif, sexuel, géographique et professionnel. Ce ne sont pas eux qui ont des « difficultés à rester dans le même secteur » », c’est le marché du travail qui les a conduit à défendre leur autonomie vis-à-vis des employeurs par une mobilité permanente.

Les travailleurs d'aujourd'hui sont moins fidèles aux entreprises individuelles : l'ancienneté moyenne n'est que de quatre ans. Quelle vision de l'entreprise domine chez les jeunes diplômés qui entrent sur le marché du travail aujourd'hui et qui pourrait expliquer la disparition progressive de la valeur d'ancienneté et de fidélité à l'entreprise ?

Les valeurs de fidélité était valorisées dans le privé comme dans le public jusque dans les années 1970. Dans une recherche sur IBM, qui vient d’être réédité (L’emprise de l’organisation, Presse de l’ULB, 2019), nous avions décrit les prémisses de la révolution managériale qui proposait à ses employés de jouer « gagnant-gagnant ». La culture d’entreprise de l'époque préconisait des valeurs comme la considération de la personne, la reconnaissance pour les employés performants et encourageait la fidélité. les employés savaient qu’ils pourraient effectuer toute leur carrière chez IBM. Dans les services publics, la sécurité de l’emploi était un éléments déterminant de l’attachement des fonctionnaire à leur mission. Ils acceptaient des salaires moins élevés que dans le privé parce que leur travail avait du sens. Le nouveau management à dévalorisé l’ancienneté au profit de l’avancement au mérite, la fidélité au profit de la performance, la stabilité de l’emploi au nom du  turn over. La valeur travail  n’est plus considérée pour laisser place à la  share holder value (la valeur pour l’actionnaire). Ce phénomène est répandu surtout dans les grandes entreprise, un peu moins dans les PME qui sont toujours soucieuses de garder leurs employés. Par contre, l’uberisation du marché du travail ne fait qu’accentuer la mobilité et « l’infidélité ». Ceci ne veut pas dire que les jeunes ne cherchent pas la sécurité de l’emploi. Mais seulement qu’ils savent qu’ils ne la trouveront pas.Ils ont a cet égard un comportement stratégique.

A l'avenir, risque-t-on de voir le marché du travail se diviser entre ceux qui restent longtemps dans le même secteur et ceux qui ont besoin de changer régulièrement de carrière ? Lesquels seront les plus prisés et qui y gagnera le plus ?

La valorisation des « premiers de cordées » exacerbe ce que j’ai proposé d'appeler la lutte des place (Desclée de Brouwer, 2014). Cette lutte des places à trois visages. Le visage de l’excellence pour ceux qui sont performants, flexibles, adaptables, ceux qu’on appelait en son temps « les winners » et qui sont en permanence au bord du burn out. À l’opposé, les loosers, sont du côté de l’exclusion, de la précarité, des petits boulots, leur lutte n’est pas du côté de la réussite mais de la survie. Entre les deux restent tous ceux qui luttent pour tenter de conserver leur emploi, pour garder leur place. Dans la société liquide, hyper moderne, la lutte des places s’est substituer à la lutte des classes. Je ne sais qui sort vraiment gagnant dans ce contexte. Chacun est renvoyé à lui-même pour s’en sortir, les « gagnants" comme les perdants vivent dans le stress, les uns pour répondre à l’exigence de performance, les autres pour tenter d’exister (cf les Gilets jaunes). Ceux qui sont entre les deux vivent dans la peur de perdre le statut qu’ils ont réussi à obtenir. 

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