Virus d’un nouveau type : toutes ces données sur le Coronavirus que nous ne maîtrisons toujours pas<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Virus d’un nouveau type : toutes ces données sur le Coronavirus que nous ne maîtrisons toujours pas
©JOEL SAGET / AFP

Équation à inconnues multiples

Plus de 23.000 articles scientifiques ont été écrits sur Covid-19, mais nous ne savons toujours pas comment il peut se propager dans l'air, quel est le rôle des enfants dans la transmission, la durée de l'immunité, ou combien de personnes ont été infectées.

Christopher Payan

Christopher Payan

Christopher Payan est virologue au CHU de Brest et professeur à la faculté de médecine de l'université de Bretagne Occidentale (Brest).

Il est l'un des auteurs de Mini manuel de microbiologie (Editions Dunod)

Voir la bio »
Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

Voir la bio »

Atlantico : Alors qu'Édouard Philippe a annoncé hier la deuxième étape du déconfinement, de nombreuses zones d'ombre demeurent autour du coronavirus. Qu'ignorons-nous toujours à ce stade sur ce virus ?

Christopher Payan : Quel est son origine ? Un passage de chauve-souris à un réservoir intermédiaire animal qui serait le Pangolin en Chine avant de passer chez l’homme ? Quels sont les facteurs de virulence permettant son installation chez l’homme et sa diffusion indépendamment du réservoir animal initial ? Sera-t-il pérenne dans l’espèce humaine et si oui gardera t’il sa virulence initiale avec des décès sur détresse respiratoire ? Les sujets infectés et guéris seront-ils immunisés et protégés ? Quelles séquelles garderont les cas graves hospitalisés en réanimation et guéris ? Il faudra suivre l’épidémiologie de ce virus et ses conséquences chez les sujets infectés dans les prochains années, qui pourraient être modifiés avec la venue d’un vaccin. A quelle échéance ? Obtiendra t’on une protection complète ou partielle comme avec la grippe actuellement ?

Stéphane Gayet : Quand l’épidémie a commencé dans la ville de Wuhan, les biologistes chinois ont été fiers de montrer au Monde entier qu’ils étaient capables d’identifier rapidement le virus en cause. C’est en effet avec une grande célérité que les virologues de Wuhan ont réussi à le classer dans la famille des Coronavirus. En réalité, cette apparente prouesse doit être tempérée par le fait qu’il y existe un laboratoire de recherche en virologie. C’est avec la même promptitude que ces biologistes sont parvenus à préciser la composition précise du génome de ce virus (séquençage de l’ARN viral) : on a ainsi su rapidement qu’il s’agissait d’un bêta coronavirus (groupe 2), proche du SARS-CoV-1 en cause dans l’épidémie chinoise de syndrome respiratoire aigu sévère, ou SARS en anglais (région de Canton, au Sud), en 2002-2003.

Ces apparentes réactivité et efficacité biologiques chinoises ont rassuré l’opinion publique, tout comme les scientifiques du monde entier : on était persuadé que les Chinois avaient la maîtrise de la situation ; cela a contribué à minimiser le risque aux yeux des autres pays. La vérité est que les virologues locaux connaissaient bien les coronavirus depuis l’épidémie de SARS en 2002-2003 et qu’ils les étudiaient en permanence : ils n’avaient donc pas un grand mérite à être efficaces dans ce domaine auquel ils étaient rompus. On peut dire que l’on a été un peu bluffé sur ce point.

Mais cette apparente réactivité efficace n’a pas tenu ses promesses. Certes, les biologistes, étant parvenus à cultiver ce virus sur des tapis cellulaires, ont tout aussi rapidement testé sa sensibilité à différentes molécules pharmaceutiques déjà commercialisées ; c’est ainsi qu’ils ont bientôt repéré une sensibilité à la chloroquine (NIVAQUINE) et à l’hydroxy chloroquine (PLAQUENIL), l’annonçant triomphalement. Le Pr Didier Raoult, microbiologiste et clinicien, a saisi la balle au bond et a fait une déclaration enthousiaste, conforté par sa propre expérience. Il s’en est suivi la confusion que l’on connaît. Et puis on a l’impression que l’on en est resté là sur le plan des études virologiques. Car très vite, les travaux de recherche appliquée se sont tournés vers ce qui pouvait rapporter gros : les antiviraux modernes et les vaccins. Avec pour résultat : un virus qui n’est toujours pas bien connu, tout comme son pouvoir pathogène.

Ce que nous ignorons toujours à ce stade sur ce SARS-CoV-2, ce bêta coronavirus :

Sa résistance physique et le risque qui en découle de se contaminer à partir de l’environnement.

Il s’agit d’un virus respiratoire fragile ; il faut rappeler que les virus ne se multiplient pas et ne s’accrochent pas aux surfaces : ce ne sont que des particules biologiques inertes. En principe, le risque de se contaminer à partir de notre environnement (tout ce qui nous entoure) avec ce type de virus fragile est très faible, compte tenu en plus de sa grande dispersion. Des études de peu d’intérêt scientifique ni même pratique ont été réalisées dans le but de prouver que l’on pouvait retrouver de l’ARN viral sur des surfaces, des heures après leur contamination artificielle. Ce type d’étude est sans rapport avec les circonstances réelles de la vie et ne permet pas de conclure que l’on peut vraiment se contaminer à partir de ces surfaces. Dans le doute, on a fait comme s’il existait un risque environnemental significatif, d’où ces désinfections très probablement inutiles des surfaces (magasins, transports en commun, écoles…).

Sa présence sous forme contagieuse dans les matières fécales.

On a dit que ce virus pouvait être retrouvé dans les matières fécales, mais aucune étude n’a été conduite récemment sur ce sujet. Dans le doute, on a encore exagéré le rôle de l’environnement dans la contamination des êtres humains, sachant que les personnes se lavant mal (ou pas du tout) les mains après avoir été déféquer, conservent des matières fécales sur leurs doigts.

Les modalités exactes de la transmission interhumaine par les aérosols humides (microgouttelettes).

La question n’est toujours pas vraiment tranchée depuis l’épidémie de SARS (2002-2003) et celle de MERS (2012). Car les virus respiratoires peuvent être émis par les personnes contagieuses, au sein d’aérosols humides (microgouttelettes d’un diamètre de 5 à 150 microns : portée maximale de 1,5 mètre et sédimentation rapide) et au sein d’aérosols secs (noyaux de condensation d’un diamètre inférieur à 5 microns : portée maximale de plusieurs mètres et persistance en suspension dans l’air). Or, les aérosols secs sont très dangereux ; jusqu’à avant le SARS, on admettait que seuls, les virus de la rougeole et de la varicelle (deux maladies virales très contagieuses) et les bacilles tuberculeux, pouvaient être transmis à la fois par des microgouttelettes et des noyaux de condensation, et que tous les autres agents infectieux respiratoires ne pouvaient l’être que par des microgouttelettes. Mais aucune étude n’a été réalisée récemment. Dans le doute, on a pris en compte le risque d’aérosols secs, d’où la grande confusion à propos des différents types de masques à préconiser.

Dans le même ordre d’idées, la portée exacte des microgouttelettes reste inconnue : il est troublant de constater qu’en France, la distance de sécurité est d’un mètre, alors qu’elle est d’un mètre cinquante dans de nombreux pays, voire d’un mètre quatre-vingt (six pieds) et même parfois deux mètres (six pieds et demi). En pratique, en France, la distance d’un mètre a une fâcheuse tendance à se rétrécir au quotidien : la sécurité microbienne n’est alors plus du tout assurée.

La réceptivité des animaux au pouvoir pathogène du SARS-CoV-2.

On a de bonnes raisons de penser que le réservoir principal en est la chauve-souris, qui en est porteuse saine, et que le pangolin en est un réservoir intermédiaire permettant le franchissement de la barrière d’espèce vers l’Homme. Mais l’on ignore si le pangolin en est malade ou pas, et si les animaux domestiques qui nous entourent sont ou pas réceptifs à ce virus. Il faut préciser que les chats sont très sensibles à un coronavirus félin (alpha coronavirus, groupe 1) qui leur cause une péritonite aiguë sévère et pouvant être mortelle.

La confirmation ou l’infirmation de l’existence d’une immunité croisée, entre les coronavirus humains des rhumes, des rhinopharyngites et de certaines gastroentérites aiguës, et le SARS-CoV-2.

Ces alpha coronavirus humains sont connus de longue date, mais pratiquement pas étudiés, car considérés comme non dangereux et sans intérêt. Ce n’est que très récemment que l’on a mis en évidence qu’il pouvait peut-être exister une immunité croisée chez les personnes ayant été atteintes de rhume, de rhinopharyngite ou de gastroentérite aiguë à alpha coronavirus. Cette immunité croisée signifierait que ces personnes seraient moins sensibles au SARS-CoV-2 et feraient donc une CoVid-19 très atténuée.

Les mécanismes exacts du pouvoir pathogène du SARS-CoV-2.

Pourquoi le tabagisme actif protège-t-il de l’infection, alors que les lésions provoquées par le tabagisme favorisent les formes graves ? Pourquoi certaines personnes développent-elles une hyper réaction à l’infection virale, avec les phénomènes hyper inflammatoires qui en découlent, à l’origine des graves complications pulmonaires souvent mortelles ? Quel est donc le terrain particulier de ces personnes qui sont parfois assez jeunes ? Pourquoi certaines personnes souvent jeunes, développent-elles des thromboses artérielles et veineuses graves et parfois mortelles ? Quel est le mécanisme précis de l’anosmie (perte de l’odorat) et celui de l’agueusie (perte du goût) ?

On est aujourd’hui certain que la CoVid-19 est immunisante. Mais quelle est la durée de l’immunité ? (on a évoqué six mois, un an, un an et demi, deux ans, plus…)

On se rend compte finalement que l’on ignore encore beaucoup de ce virus. Nous sommes pourtant presque en juin 2020, l’épidémie a commencé en Chine en décembre 2019 et probablement plus tôt : pourquoi ce retard ?

En comparaison de la progression de la recherche face aux précédentes épidémies, avons-nous pris du retard face à la CoVid 19 ? Quelles avancées ont été faites sur ce virus ?

Christopher Payan : Retard, non je ne pense pas, le virus a été identifié très tôt, des tests étaient au point dès janvier, on connaissait les modalités de transmission et donc les axes de prévention à mettre en place ; on n’a pas de traitement spécifique ni de vaccin mais cela prends d’habitude plusieurs années de développement.

Stéphane Gayet : Comme nous l’avons vu en première partie, trop peu de recherches virologiques ont été effectuées sur le SARS-CoV-2 depuis le début de l’année 2020. Il est toutefois difficile d’affirmer que nous avons effectivement pris du retard en comparaison à de précédentes épidémies ; mais eu égard à la gravité de celle-ci qui est devenue pandémique, on ne peut que déplorer l’insuffisance des travaux virologiques.

On ne peut même pas dire que l’on ait fait de réelles avancées concernant la connaissance de ce virus. Depuis janvier 2020, il existe une compétition mondiale pour la mise au point de traitements curatifs de celle de vaccins. Car ce sont là les médicaments qui rapportent, c’est cela qui peut faire espérer de gros profits. Alors que les études virologiques visant à mieux caractériser le virus, à mieux connaître sa résistance physique et ses modalités de transmission interhumaine, ces études-là ne rapportent rien : elles ne déboucheraient sur la mise au point d’aucun dispositif médical ni d’aucun médicament préventif ou curatif (du moins, dans l’état actuel de nos connaissances).

Tout se passe donc comme si le profit financier était l’unique moteur de la recherche appliquée. Dans l’esprit des grands décideurs financiers, comme le directeur général de la banque d’affaires Goldman Sachs, ce qui compte, ce n’est pas du tout de sauver des vies humaines, ni même de soigner des individus malades, mais c’est de générer le plus possible de profits ; or, guérir une personne malade ne rapporte rien ; l’idéal est de la soigner modérément, de façon à la maintenir en vie, mais encore malade, car ainsi elle continuera à consommer des médicaments. C’est certes profondément cynique, mais c’est le mode de pensée déshumanisée des investisseurs financiers.

De ce fait, on a largement privilégié la recherche appliquée en direction des médicaments antiviraux modernes et très coûteux et en direction des vaccins. L’hydroxy chloroquine ne présente aucun intérêt pour les trusts pharmaceutiques, car elle ne rapporte rien ; il est donc préférable que l’on ignore qu’elle est efficace dans certaines circonstances (ce qui laisse la porte ouverte aux médicaments lucratifs).

À plusieurs reprises, nous avons cru à une progression de la recherche sur un traitement pour combattre le virus, qui se sont révélées être de fausses pistes. Comment l'expliquer ?

Christopher Payan : A ce jour que je sache, nous ne disposons pas d’antiviraux ayant fait leur preuve chez les coronavirus, qui ciblent ce virus spécifiquement, il n’y a donc rien d’étonnant que des médicaments ayant des effets potentiels contre la maladie (mais pas directement sur le virus) ne donnent pas entière satisfaction, il a fallu des années pour obtenir des traitements efficaces contre le VIH avec la combinaison de plusieurs molécules, il en est de même pour la grippe avec de nouvelles molécules qui arrivent.

Stéphane Gayet : Les laboratoires pharmaceutiques se sont évertués à essayer de prouver que des antiviraux modernes et très coûteux, déjà commercialisés pour traiter des maladies virales graves (hépatites chroniques agressives, infection à VIH…), étaient efficaces sur le SARS-CoV-2, mais en vain. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir investi dans des essais thérapeutiques…

Sans entrer dans le fond de la polémique à propos de l’hydroxy chloroquine, il est évident que l’efficacité de cette molécule dans les formes peu évoluées et encore sans gravité de CoVid-19 ne peut que déranger les laboratoires pharmaceutiques. Car c’est un médicament qui ne génère pas de profits significatifs.

Le temps étant trop court, il n’y a pas eu de recherches dans le sens de la mise au point de nouvelles molécules antivirales (cela ne pouvant se faire en pratique que pour des maladies chroniques, étant donné que les études sont très longues).

Quant à la mise au point de vaccins, la durée minimale des travaux est de 18 mois, cette durée étant incompressible.

Finalement, on peut dire qu’il y a, d’un côté, des médecins et des soignants paramédicaux qui se battent pour essayer de guérir les malades ; de l’autre côté, des laboratoires pharmaceutiques et tous ceux qui ont des liens d’intérêt avec eux, qui se battent pour inventer, mettre en œuvre et protéger des stratégies de recherche et de commercialisation les plus lucratives possible.

À ce stade de l'épidémie, quelles leçons pouvons-nous tirer de ce virus ? Quelles prédictions pouvons-nous faire sur l'évolution de la maladie ?

Christopher Payan : Difficile à dire, a-t-on été suffisamment rapide pour limiter la diffusion, sans doute que non puisque les premiers cas se seraient manifestés dès novembre 2019, qu’il faudra attendre fin décembre pour une première alerte de l’OMS et que des décisions de confinement sur Wuhan à l’origine de la pandémie qu’à partir de mi-janvier 2020. Autre problème, le contact récurrent avec les animaux sauvages vivants sans doute à l’origine de cette pandémie comme l’avait été le SRAS en 2003, avec les civettes retrouvées sur les marchés dans le centre de la Chine potentiellement porteuses du virus à l’époque, il ne semble pas que cette pratique a fait l’objet de changement depuis, donc à même cause, même effet. Maintenant que le virus diffuse dans la population humaine, sur tous les continents, il est fort probable qu’il y reste avec des allers-retours possible chez les animaux, notamment la mise en évidence chez les animaux domestiques en contact avec les humains infectés, augmentant ainsi l’immunité de population. Il est prévu d’après les modèles une baisse pendant la période estivale, qui voit chaque année une quasi disparition des infections respiratoires virales, avec une recrudescence à l’automne, on peut s’attendre ensuite à installation saisonnière chaque année comme pour la grippe, en espérant avec l’immunité de population voir diminuer la virulence, on n’est pas sorti de l’auberge !

Stéphane Gayet : Ce virus nous a beaucoup surpris. On l’a manifestement sous-estimé de prime abord. Son pouvoir pathogène est singulier et présente des aspects nouveaux, que nous ne connaissions pas (hyper réaction inflammatoire, thromboses, anosmie, agueusie, etc.). Ce virus nous a vraiment étonnés et nous en apprenons presque tous les jours sur lui.

Cette pandémie avec son virus insolite devrait nous rendre plus humbles et beaucoup plus prudents et méfiants à l’avenir face à de nouveaux risques infectieux.

Le mode de propagation de la pandémie (personnes infectées paucisymptomatiques, c’est-à-dire presque pas malades, mais néanmoins contagieuses) avec tout ce qu’il comporte encore d’inconnu, ainsi que son pouvoir pathogène, nous ouvrent des perspectives de travaux pleins d’intérêt scientifique et médical.

Maintenant, concernant l’évolution à venir de la maladie, il y a plus d’arguments à ce jour en défaveur d’une deuxième vague épidémique, que d’arguments en sa faveur. Mais on ne peut rien affirmer. Nous sommes honnêtement dans l’incertitude et notre vanité comme notre sérénité en souffrent.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !