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Vers un nouveau haut commissaire au plan : singer De Gaulle ne peut tenir lieu d’action
©HANNAH MCKAY / POOL / AFP

Vieille recette

Pour relever l'économie, Jean Castex a annoncé la création d'un poste de Haut-commissaire au plan, rôle qui avait été créé au lendemain de la dernière guerre afin de relever l'économie par le général de Gaulle

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico.fr : Au delà du symbole gaullien, quelle fonction est sensée remplir ce nouveau "Haut-Commissariat ? 
Pierre Bentata : Comme l'a expliqué le Premier Ministre, l'objectif est de "rééclairer l'action publique d'une vision de long terme". L'idée est claire: doter l'Etat d'une "boussole", comme l'a qualifié Bruno Le Maire, afin de définir les grandes orientations stratégiques de l'Etat, en matière d'industrie, d'écologie, et de réformes structurelles. 
Cela correspond bien à la notion d'Etat stratège à présent plébiscité par la majorité de la classe politique; mais en même temps, pour reprendre une expression consacrée, on peut être dubitatif sur le nom et le sens d'une telle initiative. 
En effet, au-delà du symbole gaullien, on ne peut pas ignorer le symbole profondément socialiste, voire communiste, car on parle tout de même d'un "Haut Commissariat au Plan". Or, ce projet apparaît quelques semaines à peine après une allocution du Président qui laisser entendre une volonté de décentraliser les pouvoirs, de redonner de l'autonomie aux territoires, dans la plupart des domaines, et de réduire la bureaucratie. 
On est donc face à une illustration du "en même temps", très difficile à suivre, aussi bien pour les bureaucrates que pour les entreprises et la population en général. Alors, bien sûr, certains mettront en avant la richesse de la pensée complexe du Président, mais tout de même: s'il s'agit de créer un Commissariat au plan pour décentraliser les pouvoirs, on voit bien qu'il y a un problème!
Parviendra-t-il réellement à recréer un "Etat Stratège", comme voulus par le Président ? Est-il conforme aux besoins du pays ?
Pierre Bentata : Vouloir créer une nouvelle agence pour définir des stratégies de long terme n'est pas une mauvaise chose en soi. Comme l'a démontré la crise sanitaire, il est nécessaire d'avoir des plans très clairs pour faire face à certains événements et il est essentiel d'avoir un cap, notamment pour se préparer aux défis techniques, technologiques et médicaux qui arrivent.
Cela étant dit, si ce Haut Commissariat se borne à identifier les grands enjeux d'avenir, on se demande à quoi servent les décideurs politiques eux-mêmes; pourquoi ont-ils des programmes, que font-ils? Il y a là un aveu d'une vision court-termiste des décideurs. A l'inverse, si le Haut Commissariat a un rôle plus opérationnel, alors il va à l'encontre des besoins du pays. 
En effet, tout pousse vers davantage de décentralisation, d'indépendance et d'autonomie des territoires aujourd'hui. Les conclusions, encore préliminaires, du Ségur vont dans ce sens, avec un large consensus qui se dégage, de tous les acteurs, pour prendre en considération les spécificités des territoires et des populations, libérer les hôpitaux des contraintes administratives qui les entravent et simplifier le millefeuille bureaucratique national et régional qui a fait tant de dégâts durant l'épidémie.
A un niveau plus général, on voit bien que la globalisation de l'économie fait apparaître davantage d'événements incertains, de "signes noirs", et que face à cela, les systèmes les plus efficaces, ou "antifragiles" sont souvent les plus flexibles, donc les plus autonomes et décentralisés. 
Dans un tel contexte, un Etat stratège peut-être légitime à condition qu'il organise la décentralisation des décisions, qu'il se comporte uniquement en chef d'orchestre, définissant des objectifs de politiques publiques mais qu'il se désengagent de leur mise en oeuvre. Or, l'idée même de "Plan" apparaît soit inutile, car les décideurs peuvent déjà mettre cela en place sans agence supplémentaire, soit contreproductive. 
Est-ce le signe d'un pilotage à vue du gouvernement qui préfère les symboles à des actions plus courageuses ?
Pierre Bentata : On peut en effet le craindre lorsqu'on réécoute les dernières interventions du Président. Entre la tonalité girondine des dernières allocutions, et la création de l'organe jacobin par excellence - le Plan, hérité de l'URSS - il y a un gouffre pour ne pas dire une véritable contradiction. 
Alors, évidemment, on ne peut que s'interroger sur l'aspect purement politicien d'un tel mouvement: après avoir nommé un nouveau Premier ministre de droite, qui a lui-même remanié le gouvernement avec une majorité de personnalités de gauche, le gouvernement promeut une agence qui rappelle simultanément De Gaulle et Marx. Voilà une façon de séduire un électorat très large et de rejouer la carte du en même temps qui avait si bien fonctionné en 2017. 
Espérons donc que tout cela ne soit pas de la basse politique.

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