Vers qui se tourner à la mort d’un animal de compagnie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd’hui, les chats, les chiens et même les NAC (rongeurs ou lapins par exemple) sont considérés comme de véritables membres de la famille.
Aujourd’hui, les chats, les chiens et même les NAC (rongeurs ou lapins par exemple) sont considérés comme de véritables membres de la famille.
©Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Attachement

Lorsque leur animal de compagnie décède, bon nombre de propriétaires sont profondément touchés voire meurtris par la nouvelle.

Jessica Serra

Titulaire d’un doctorat en éthologie, Jessica Serra est spécialiste de l’étude du comportement des mammifères. Elle s’est spécialisée dans l’étude de la cognition animale et a travaillé en tant que chercheuse pendant plus de 15 ans. Elle est l’auteure de plusieurs essais scientifiques dont « Dans la tête d’un chat », « La bête en nous » ainsi que d’autres ouvrages de vulgarisation scientifique. Elle dirige la collection d’essais scientifiques « Mondes Animaux » qui regroupe des chercheurs en éthologie et propose à travers des livres accessibles au grand public de nous projeter dans les univers sensoriels et cognitifs des non-humains en évitant l’écueil de l’anthropomorphisme : « Et si, au lieu de regarder les animaux avec nos yeux, nous les regardions avec les leurs ? ».” Retrouvez son site internet : www.jessica-serra.com

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Atlantico : Lorsque leur animal de compagnie décède, bon nombre de propriétaires sont profondément touchés voire meurtris par la nouvelle. Comment expliquer cet attachement si profond que l’on peut avoir pour un animal ?

Jessica Serra : Aujourd’hui, les chats, les chiens et même les NAC (rongeurs ou lapins par exemple) sont considérés comme de véritables membres de la famille. La plupart ne sont perçus ni comme des choses, ni comme des êtres inférieurs, mais comme des individus sensibles, qui illuminent nos vies de bien des manières. Ils sont des confidents, des amis, ceux à qui l’on dit tout et qui ne jugent jamais en retour. Certains les considèrent même comme leurs enfants. Il faut dire qu’ils transforment les petits instants en grands moments !

Les émotions et comportements du propriétaire de l’animal décédé peuvent-ils être comparables à ceux vécus lors du décès d’un humain proche ? Les étapes du deuil sont-elles les mêmes ?

Nous cherchons souvent à comparer l’amour qui nous lie à nos animaux à celui qui nous lie aux autres êtres humains, comme s’il existait une échelle de valeurs dans laquelle aimer un animal serait moins noble qu’aimer un être humain. Pourtant, comme évoqué dans mon livre Mon chat et moi, le lien d’attachement créé avec les animaux de compagnie est aussi fort que celui que nous créons avec les membres de notre propre espèce. Certains comparent la douleur ressentie à celle de la perte d’un ami proche, voire d’un enfant. Et pour cause ! Lorsque l’animal de compagnie décède, il laisse un grand vide derrière lui. Comme pour le deuil d’un être humain, il y a, d’abord, l’absence de celui qu’on chérissait tant. Mais c’est aussi une foultitude de petites habitudes qui s’envolent avec lui : son odeur, son adorable minois, sa façon de se frotter contre nous, sa manie de passer entre nos jambes, et tous ces moments de gaieté et de légèreté qui illuminaient nos journées. Nos animaux de compagnie ne sont pas seulement des compagnons de vie : ils incarnent à eux seuls des pans de l’existence. 

Les étapes du deuil d’un animal de compagnie sont en tout point comparables à celles d’un être humain. Elles débutent généralement par le choc de la perte : le propriétaire est dans un état de sidération. Il a du mal à croire à l’évènement qui vient de se produire. Parfois, un sentiment d’injustice apparaît. Le maître revit ou imagine les derniers instants de son chien ou de son chat, selon qu’il a été présent ou pas. Cette étape se poursuit par une phase de déni, durant laquelle le propriétaire refuse de croire en la disparition de son animal. Ensuite arrive la colère. Plus rien n’a de sens, le maître en veut à la terre entière ou à lui-même, de ne pas avoir passé assez de temps avec son animal, de n’avoir pas été là quand il le fallait…Dans ce flot d’émotions, la tristesse emplit progressivement le cœur. Viendront ensuite la résignation et petit à petit, la reconstruction.

Est-il aussi facile de confier son chagrin, sa peine et plus largement ses émotions lorsque l’on perd un animal ? Ou est-ce que cela génère de la honte ou la peur d’être ridicule ?

Malgré des mœurs changeantes, notamment concernant la place des animaux dans nos sociétés, il reste encore beaucoup à faire concernant la question du deuil de l’animal de compagnie. Par peur du ridicule, de nombreuses personnes cachent leur chagrin, se forçant à se rendre au travail la gorge nouée, alors qu’elles viennent de dire adieu à leur animal de compagnie. Cette peur est justifiée. Certains humains, qui n’ont pour la plupart jamais eu d’animal de compagnie, jugent sévèrement leurs semblables, les taxant de sensiblerie. Ces personnes oublient l’essentiel : la douleur ressentie par l’humain lors de la perte de son animal de compagnie est réelle. En outre, stigmatiser la personne endeuillée en l’obligeant à dissimuler sa tristesse ajoute à la douleur.  Dans cette perspective, une charte créée par les élues Béatrice Lavalette et Marie Le Lan, a vu le jour, pour reconnaître la douleur engendrée par la perte de son animal, et proposer aux employeurs qui le souhaitent, de mettre en place une journée de congé payé lors du décès.

Aux États-Unis, de plus en plus d’organisations proposent des groupes de soutien, des discussions en ligne et d’autres événements pour aider les personnes qui ont perdu un animal. Pourquoi est-il important de se confier au moment de la mort d’un animal de compagnie ? A qui faut-il se confier dans ces moments difficiles ?

Les personnes qui ont perdu leur animal ressentent une douleur intense, qu’elles confient peu à leurs proches, par crainte du ridicule. Il est pourtant essentiel de pouvoir se confier pour exprimer son chagrin et faire son deuil. Cela explique la naissance de nombreux groupes de soutien, sur les réseaux sociaux notamment, dans lesquels les participants peuvent s’exprimer librement, sans crainte du jugement. Pour ma part, je conseille toujours de trouver une épaule bienveillante où s’épancher. S’inscrire à ces groupes de soutien peut être d’un grand secours. Il ne faut pas, non plus, hésiter à faire appel à un spécialiste si le besoin se fait sentir. 

Quels conseils donneriez-vous à une personne traversant le deuil d’un animal, pour qu’elle se sente mieux ? A l’inverse, que lui déconseilleriez-vous ?

D’abord, je dirais qu’il faut ne pas craindre le jugement en osant dire qu’on pleure son animal. Ensuite, il ne faut ne pas chercher à fuir ses émotions, qui, aussi douloureuses soient-elles, font partie d’un cheminement nécessaire. Que cela prenne des jours, des semaines ou des mois, il faut aussi dire au revoir à son animal, en lui écrivant une lettre ou un poème, en glissant une photo dans son cercueil, en plantant un arbre en sa mémoire, en choisissant un lieu où se recueillir. En bref, il faut ritualiser son départ. Ne nous y méprenons pas : dire au revoir n'est pas oublier ! C’est au contraire une manière d’honorer le lien qui nous unissait, que rien ne saura effacer. Enfin, plutôt que de nous convaincre que « jamais on ne nous y reprendra », rappelons-nous qu’au-delà d’être des « bêtes à chagrin », nos animaux de compagnie sont avant tout, de grands pourvoyeurs de bonheur.

Jessica Serra a publié "Mon Chat & moi" aux éditions Belin

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