Valérie Pécresse s’inspire de David Cameron. Et voilà ce qu’elle gagnerait à s’inspirer (aussi) de Boris Johnson <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Valérie Pécresse lors d'une cérémonie à l'Arc de Triomphe dans le cadre des commémorations du 103e anniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918.
Valérie Pécresse lors d'une cérémonie à l'Arc de Triomphe dans le cadre des commémorations du 103e anniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

« Don’t play it sur ta droite »… ou pas

La candidate désignée par le congrès LR pour la présidentielle aime à mentionner le conseil que lui avait donné l’ancien premier ministre britannique pour battre un adversaire solidement installé au centre de l’échiquier politique comme l’était Tony Blair et comme l’est Emmanuel Macron.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Lors de la pré-campagne électorale et alors qu’Eric Zemmour imposait ses thèmes ces dernières semaines, Valérie Pécresse s’est emparée des sujets identitaires ou bien encore du thème de l’immigration. Pourtant, Valérie Pécresse a souvent fait référence à un échange qu’elle avait eu avec David Cameron. L’ancien Premier ministre britannique lui avait expliqué que les Tories s’étaient lourdement trompés quand Tony Blair était au pouvoir. Celui-ci occupant l’espace central, le parti conservateur s’était déporté à droite, s’emparant de tous les sujets les plus réactionnaires, condamnant le parti à l’échec. Ce n’est que quand il en avait repris les rênes et repositionné la boussole politique que les Tories avaient retrouvé le chemin du pouvoir. Dans quelle mesure les situations sont-elles comparables ? 

Christophe Boutin : Les deux situations peuvent de prime abord sembler bien peu comparables à partir du moment où, au Royaume-Uni, le système politique se caractérise par le bipartisme, et où, en France, la tentative pour mettre en place un tel bipartisme, autour du PS à gauche et de l’UMP puis LR à droite, a volé en éclats. Aujourd’hui ce sont quatre à cinq candidats qui sont à même de dépasser les 10 % au premier tour de la présidentielle, et l’on a donc un multipartisme très clair. Reste que réfléchir à ce qui a pu se passer au Royaume-Uni peut être instructif, car il est vrai que conservateurs et travaillistes se posaient effectivement la question du contrôle d’un centre qui pouvait sinon faire les rois, au moins apporter la victoire aux partis. 

À Lire Aussi

LR : le Pécressisme pourrait-il être le logiciel politique qui mette (enfin) un terme aux vraies fausses querelles de la droite ?

Or, de manière finalement assez classique dans l'Europe des années 90, Tony Blair, arrivé au pouvoir en 1997 appuyé sur une base politiquement à gauche, celle du parti travailliste, avait réussi une OPA sur le centre. Un peu comme dans le cas du parti socialiste français des années 80, il s’était s’agi pour cela de convertir ses troupes à une doctrine économique libérale permettant l’essor du mondialisme, préférant la finance à l’industrie et ne défaisant rien des transferts opérés vers le secteur privé par les conservateurs des années précédentes. Et, comme ailleurs encore, il s’était agi aussi, pour compenser l’absence de doctrine sociale, d’ouvrir grand la porte aux réformes sociétales, et notamment aux revendications de minorités de moins en moins minoritaires. Face à cette démarche, les conservateurs ont été un temps incapacités. Leurs réactions aux excès des réformes sociétales, alors que ces dernières avaient l’appui de nombreux médias – même si l’on trouve traditionnellement Outre-Manche une diversité dans ce domaine qui n’est que récemment revenue en France, et demande encore à être renforcée – leur valaient vite les accusations de passéisme et de repli sur soi. 

David Cameron a-t-il cependant, comme le pense Valérie Pécresse, gagné la bataille au centre ? Les choses sont loin d’être aussi simples. Pour expliquer sa victoire il faudrait en effet évoquer aussi la lassitude de l'électorat travailliste devant les jeux de pouvoir au sein du parti, ou le peu de charisme de Gordon Brown. Il faudrait surtout rappeler qu’initialement Cameron ne gagne pas seul, mais allié aux « lib-dems », les libéraux démocrates, un parti qui s’était un temps situé à la gauche des travaillistes, estimant que ces derniers prenaient en économie un chemin par trop libéral, avant de se repositionner ensuite au centre.

Mais ce positionnement centriste de Cameron, avec les nécessaires acceptations des dérives sociétales, allait sans doute aussi causer sa perte, en lui interdisant de comprendre l’angoisse identitaire qui montait dans le Royaume-Uni et qui allait se cristalliser sur la question du maintien ou non du pays dans l’Union européenne. Confiant dans le caractère inéluctable de ces choix progressistes auxquels il souscrivait au moins partiellement, David Cameron proposa on le sait au peuple un référendum, le perdit, et laissa le pouvoir à Teresa May qui, à la différence de ce qui se passa en France après le référendum de 2005, joua la carte de la souveraineté populaire et permit aux négociations d’aller à leur terme. Mais c'est finalement Boris Johnson qui réveillera vraiment le parti conservateur, cette fois en lui proposant un discours sinon populiste, au moins populaire.

Dans cette campagne qui s’ouvre, l’ancrage au « centre »  peut-il effectivement être une stratégie pour Valérie Pécresse  face à la tentative d’OPA d’Eric Zemmour et à la présence de Macron au pouvoir ?

On peut toujours s’amuser à filer des comparaisons. Certes, comme Tony Blair, Emmanuel Macron s’est lui aussi assis sur les structures venues d’un parti de gauche – même s’il n’a pas le conquis le PS mais l’a phagocyté – pour ensuite absorber les survivances centristes, UDI ou MoDem. Il est même allé plus loin, réussissant à fracturer le pari rival de droite en attirant auprès de lui certains de ses membres, dont une partie se retrouve aujourd’hui autour d'Édouard Philippe et de son nouveau parti, Horizons. Mais, contrairement à Valérie Pécresse, David Cameron pouvait d’autant plus facilement se poser la question du recentrage de son parti qu’il n'avait rien sur sa droite, ou peu de choses, quand la présidente d’Ile-de-France doit plutôt compter sur un trop-plein de ce côté. 

Chercher à assoir sa base électorale en revenant au centre serait en tout cas risqué pour Valérie Pécresse  pour trois raisons. La première, c'est que la France de 2021 est largement à droite : si l’on regarde les attentes des Français sur des thématiques qui sont classiquement des thématiques de la droite, celles de l’identité nationale, de l’ordre ou de l’autorité par exemple, on constate qu’ils attendent des choix affirmés, et des actes. La seconde est qu’en agissant ainsi Valérie Pécresse se couperait même d’une parti des militants de son propre parti – enfin de celui dans lequel elle vient de revenir -, beaucoup moins « centristes » que leurs élus, comme l’a amplement prouvé l'arrivée en première place d'Éric Ciotti au premier tour du vote de désignation du candidat à la présidentielle. La troisième, plus évidente encore, est qu’elle devra faire face au discours d’Emmanuel Macron dont elle se différencierait d’autant moins qu’elle se recentrerait, et que le maître des horloges reste un bon communicant et usera de tous les avantages de son double statut de Président-candidat dans la bataille.

Valérie Pécresse souffre en fait ici d'appartenir à la droite progressiste, et donc, en tant que progressiste, d'avoir de nombreux points communs idéologiques avec Emmanuel Macron. Certes, des différences existent bel et bien, que l'on ne saurait nier, mais sur un certain nombre de points particulièrement sensibles ces derniers temps, comme par exemple la question de la place de la France dans l'Union européenne, ou celle de la sujétion un « État de droit » imposé par ce que certains n'hésitent plus à désigner comme un gouvernement des juges, il y a accord sur le fond. Ajoutons que, comme Emmanuel Macron, Valérie Pécresse est par son parcours la candidate des métropoles, celle des gagnants de la mondialisation. Et si sa seule différence d’avec l’hôte de l’Élysée finit par être, comme on le lit parfois chez ses partisans même, qu’elle est une femme et que la France devrait enfin accéder à cette modernité d’avoir une dirigeante à sa tête, il n’est pas certain que cela rencontre les priorités des Français.

Quitte à regarder outre-manche, Valérie Pécresse devrait-elle aussi s’inspirer de la stratégie de Boris Johnson et orienter son programme véritablement à droite, dans la voie d’un populisme intelligent, voire se concentrer sur cette stratégie ?

Le problème est que sur ce plan, manifestement, les choses sont déjà très largement préemptées. Ce que l'on appelle le « populisme intelligent » est en fait actuellement l'alliance passée entre les conservateurs et les populistes contre le progressisme et ses dérives. Elle existe chez Marine Le Pen, avec un électorat populaire qui a rejoint le RN parce qu’il avait conscience d’être sacrifié et qu’il voulait continuer à persister dans son être. Elle existe de manière tout aussi évidente, sinon plus, derrière Éric Zemmour : on a vu au meeting de Villepinte se succéder à la tribune Laurence Trochu, la présidente d’un Sens commun devenu le Mouvement conservateur, dont le nom indique bien les choix et qui avait porté à bout de bras, et même aux pires moments, la candidature de François Fillon, puis Jacline Mouraud, une figure des Gilets jaunes, mouvement populiste s’il en est. On conviendra que le créneau ouvert à Valérie Pécresse est particulièrement limité, et ce d’autant plus que, ni dans ses discours ni dans ses choix elle ne s’est jamais revendiquée ni du conservatisme ni du populisme, bien au contraire. 

Dans ce cadre, pour être entre droite et centre, ou, pour parler comme Emmanuel Macron, pour être « en même temps » de droite et du centre, il est permis de penser que le discours de Valérie Pécresse sera composé de trois tiers. Le premier, à dominante économique, mais avec aussi des perspectives internationales, serait essentiellement destiné à rassurer ceux qui pourraient être encore séduits par le Président sortant en expliquant que rien ne changera pour eux si elle accède au pouvoir. Le second, par lequel elle pourrait espérer se démarquer un peu de son aile droite, serait un discours portant non pas sur l'écologie au sens large, une thématique dont on peut estimer à bon droit qu'elle est non seulement autant de droite que de gauche mais sans doute même beaucoup plus de droite que de gauche, mais sur les conséquences supposées du fameux changement climatique en termes de modifications structurelles - l'éolien est un sujet qu’elle connaît bien. Le troisième tiers enfin, destiné lui à rassurer l’aile droite, serait consacré au rétablissement de la sécurité, demande effectivement récurrente de très nombreux Français, mais en l’axant sur la mise en œuvre de moyens de surveillance de l'ensemble de la population – elle est par exemple favorable à l'utilisation de la reconnaissance faciale et de l'intelligence artificielle pour ce faire.

L’humeur des démocraties occidentales a changé et la France n’est pas le Royaume-Uni, Emmanuel Macron n’est pas Tony Blair et n’occupe pas le pouvoir depuis 10 ans. Y-a-t-il néanmoins quelque chose à tirer de l’expérience anglo-saxonne de ces vingt dernières années pour la campagne de Valérie Pécresse ? 

Que, même fort respectueux des intérêts qui ont contribué à le porter au pouvoir, un dirigeant peut lasser, et que, lorsqu’il est par trop démonétisé, il arrive qu’on le change « pour que rien ne change », en lui offrant une retraite dorée faite de conférences grassement payées ? Ce serait peut être l’une des leçons à tirer du blairisme, et Valérie Pécresse peut effectivement se demander si une telle évolution ne pourrait pas advenir en France. 

Que l’on ne gouverne pas contre le peuple quand celui-ci sait défendre ses libertés, et qu’il est donc risqué de lui donner la parole ? Ce serait cette fois la leçon à tirer de l’expérience Cameron, fracassée sur le Breixit. Nul doute qu’elle soit entendue.

Qu’il faudrait, pour prendre le pouvoir en s’axant au centre, trouver un soutien ? Ce serait la leçon de l’alliance des conservateurs avec les « lib-dems », mais où sont ces derniers dans le paysage politique français ? UDI et MoDem ? Combien de divisions ? Quel appui peuvent apporter dans l’élection présidentielle de 2022 les soutiens de François Bayrou ou Jean-Christophe Lagarde ? Horizons ? La structure est encore une coquille bien vide. Et encore faudrait-il dans tous les cas que les mouches changent d’âne, or, pour l’instant, c’est encore Emmanuel Macron qui est en tête dans les sondages, ce qui ne conduit pas nécessairement à cesser de soutenir celui qui pourrait rester en place pour cinq années.

On pourrait se demander pour conclure si la vraie leçon à retenir des dix années politique au Royaume-Uni ne serait pas avant tout que, lorsque l’insécurité identitaire atteint un certain seuil, la question de l’éventuel risque économique elle-même devient secondaire pour les populations concernées. Mais ceci est une autre histoire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !