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Vacances en familles, la saison des secrets ? Pourquoi nous avons (presque) tous des choses à cacher à nos proches
©Reuters

L'art de la dissimulation

Nombreux sont les individus qui cachent des choses, du simple examen ratés au mariage ou à l'enfant dissimulé. L'heure du 2.0 et de la transparence a marqué le début de l'air de la transparence. Pourtant, les secrets demeurent.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Trois personnes sur cinq auraient des secrets qu'elles seraient prêtes à cacher à tous prix. Quels peuvent être ces types de secrets ? Pourquoi vouloir tant les protéger ?

Jean-Paul Mialet : Permettez-moi une remarque : la question m’étonne par sa naïveté. Peut-être parce que ma pratique de psychiatre m’a rendu trop accoutumé aux secrets. En fait, cinq personnes sur cinq gardent pour elles certaines de leur pensées face à leurs interlocuteurs, et cela vaut mieux. Le grand Pascal nous mettait en garde : si nous pouvions pénétrer les esprits, nous n’aurions plus d’amis. Celui qui a passé sa vie à recueillir des confidences ne peut que confirmer. Nos pensées intimes ne doivent pas être mises à nu. Certains patients psychiatriques sont convaincus qu’on peut lire dans leur pensée et le vivent comme une torture. Bien qu’on ait tendance à l’oublier aujourd’hui, le secret est donc l’ordinaire de notre existence. Nous nous cachons beaucoup de choses – entre nous, certes, mais soyons justes, également vis à vis de nous-mêmes.

Toutefois ce que nous cachons ainsi - ce qui demeure secret - n’est pas un secret. Plutôt une innocente omission indispensable à l’harmonie de l’existence. Le secret est tout autre. Il représente une connaissance activement cachée, imposant des efforts de dissimulation ; sa révélation est redoutée. C’est pourquoi trois personnes sur cinq, et pas plus, déclarent qu’elles gardent en elles un secret : elles savent quelque chose qu’autour d’elles on ne doit surtout pas connaître. Pourquoi ? A tort ou à raison, elles imaginent que si l’on apprenait leur secret, leur univers s’effondrerait.

La gamme des secrets est trop large pour qu’on en fasse la liste. Souvent, le secret concerne un événement de son histoire personnelle, ou de l’histoire de sa famille. On tient à présenter une version honorable de son existence et de ses origines ; hélas, on n’a pas toujours été à la hauteur… Le secret peut aussi concerner une passion que l’on a gardée pour soi pour ne pas faire de mal – je me souviens d’une patiente évoquant en larmes, à plus de 80 ans, son grand amour pour un officier allemand rencontré pendant l’Occupation, dans le village où son mari avait éloigné sa famille pour la protéger. Plus banalement, beaucoup d’infidélités ne sont jamais avouées. Et les filiations accidentelles ne sont pas si souvent étalées au grand jour: les généticiens savent bien que 5% des enfants ne portent pas les chromosomes attendus. Des interruptions de grossesse, certains drames (je me rappelle des patients cancéreux taisant leur mal autour d’eux) ne sont pas non plus nécessairement révélés. Sans aller si loin, quelques patients qui viennent me consulter se gardent bien d’en toucher mot à leur entourage…

La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Il faut parfois survivre comme on peut au milieu des remous. Mais au fond, chacun attend de l’autre qu’il ne s’éloigne pas trop de l’idéal. Et chacun joue le jeu en trichant légèrement pour ne pas trop décevoir. Parfois, - soit parce que l’on a grandement défailli, soit parce que les attentes autour de soi sont excessives - l’écart est tellement important qu’il faut tricher beaucoup ; le secret et le mensonge sont alors appelés à la rescousse. Cela peut être aussi bien pour ménager son image que pour ménager l’autre et lui éviter des désillusions douloureuses.

Je ne parle là que des secrets les plus courants. Et pour simplifier, j’ai omis les secrets de ceux qui aiment le secret pour lui-même et le cultivent, non par nécessité, mais par goût. Pour le plaisir d’être seuls à connaître ce que d’autres ignorent, en jouissant d’une impression de liberté et de supériorité sur les autres.

A l'heure des réseaux sociaux, des téléphones portables, dissimuler des choses est-il encore possible ?

Aujourd’hui, la vie d’autrui peut en effet être scrutée à chaque instant grâce aux communications numériques. La vie privée est ouverte à tous. D’où de nombreuses déceptions. Je ne compte plus le nombre de crises de couples occasionnées par des divulgations numériques. Sur l’ordinateur, l’exploration des messageries et des sites fréquentés par le partenaire révèle volontiers des surprises. Sur le téléphone mobile, la liste des numéros composés, les SMS et même la géolocalisation mènent parfois à des découvertes inattendues. A l’accueil d’un message, le tintement d’un téléphone que l’on oublié d’éteindre pour la nuit suffit à éveiller les soupçons. Et pour mener l’enquête en cas de soupçon, il n’est plus nécessaire comme autrefois d’explorer les poches ou de vérifier la carte bleue, il suffit de surveiller les connexions.

Internet, réseaux sociaux et téléphones portables permettent un accès à des informations privées bien plus riches qu’autrefois, et c’est bien le malheur. Les enquêtes avec les moyens d’hier parvenaient à établir des preuves, tout en ne levant pas complètement le voile du mystère. Aujourd’hui lorsqu’une trahison est découverte, elle est vécue par le partenaire dans tous les détails et parfois en temps réel. Les dégâts sont alors considérables. C’est une chose de savoir que son partenaire a rejoint un(e) ami(e) dans sa chambre d’hôtel de cinq à sept, c’en est une autre de tout connaître de ce qu’ils s’échangent par mails et SMS. On découvre alors parfois une réalité très crue qu’il sera difficile d’oublier ou de pardonner.
Mais les secrets demeurent et ceux qui veulent les préserver en trouvent les moyens, même à notre époque.

Face à une mode de la transparence, dissimuler ses secrets est-il sain ? Ne s'agit-il pas d'un comportement pathogène pouvant avoir un terrible impact sur nous-mêmes ?

Il me semble que c’est la mode de la transparence qui a un terrible impact pathogène sur nous-mêmes et notre société. Elle nous entretient dans l’illusion que nous pouvons tout savoir de l’autre. Mais l’autre, précisément, est autre : il s’appartient aussi plus qu’on ne croit – ou du moins, plus qu’on ne veut l’admettre. Il n’est pas transparent ; comme je l’ai dit dès le début, une part de lui reste opaque. Il conserve au fond de lui, dans ses pensées les plus intimes, un espace de liberté où s’exerce un jeu nécessaire pour que le vrai « je », le « je » adulte et autonome,  s’affirme en choisissant ce qu’il révèle et ce qu’il garde pour lui.

Cet espace peut à l’occasion être partagé avec d’autres qui, pour un moment, participent au jeu, ceci dans l’intimité d’une relation ou d’une collaboration. J’ai été frappé par le scandale produit par les révélations de l’ex-compagne de notre Président. A-t-il réellement parlé des « sans dents « ? Je l’ignore, évidemment. Mais, au fond, quelle valeur cela a-t-il ? On nous en a fait grand cas comme s’il s’agissait de secrets bien cachés, comme si la vérité de l’homme tenait toute entière dans ces confidences. Or ce que l’on pense dans l’intimité n’est pas une vérité que l’on cache au public mais plutôt un jeu, les ébats d’une pensée qui s’affranchit des contraintes pour se déployer librement, sans conséquence. Une pensée récréative qui se joue du réel - un prolongement, sans doute, de nos jeux d’enfants. Si l’on savait ce que les chirurgiens disent pendant qu’ils opèrent leur patient, on serait effrayé. Pourtant, rien de méprisant ou de cynique chez la plupart d’entre eux, contrairement à ce que leurs propos de carabins habitués aux salles de garde pourrait laisser croire. Et même un très grand respect pour celui qui, étendu, endormi et heureusement des ignorant des échanges qui se déroulent autour de lui, place sa vie entre leurs mains.

Il me semble que la mode de la transparence nous a fait oublier la notion essentielle d’intimité. Notre monde intime est un monde de liberté. Lorsque l’intimité disparaît, le totalitarisme n’est pas loin. Est-ce que nous ne souffririons pas déjà d’un manque de liberté de penser – en ne nous accordant pas de penser différemment de ce qu’il est convenu officiellement ?

Les raisons qui nous poussent à cacher des choses incluent bien souvent le fait de ne vouloir heurter personne, quels risques pour nous et nos proches si ces secrets sont divulgués ?

Permettez-moi de répondre par deux exemples vécus. Un mari révèle à son épouse qu’il a un faible pour sa secrétaire. Ils s’étaient jurés de ne rien se cacher. L’épouse fait une forte dépression ; elle est hospitalisée. L’atmosphère devient irrespirable, le coup de cœur se transforme en liaison. Les dépressions s’enchaînent et le couple finit par divorcer. Ce sera le début d’une cascade de difficultés pour lui, pour elle et pour leurs enfants. N’y aurait-il pas eu lieu de garder pour soi ce qui n’était encore qu’à l’état d’ébauche ? Autre exemple, qui touche, cette fois au secret médical  - et rappelle que la transparence dans ce domaine doit être menée avec doigté. Des confrères révèlent sèchement à une femme que son mari fait un Alzheimer. Elle se suicide. Peu après, il apparaît que ce diagnostic était erroné… La vérité n’est pas toujours bonne à dire ; elle doit tenir compte du contexte, des sensibilités. Le respect d’une harmonie qu’il importe d’évaluer avant de parler l’emporte quelques fois sur la vérité.

Je suis conscient de m’engager là dans des propos qui sont à contre-courant des conventions contemporaines. Nous sommes aujourd’hui friands de grandes valeurs absolues comme la Vérité, la Liberté, l’Amour, etc. Soit dit en passant, ces idéaux sont parfois contradictoires et difficiles à poursuivre de front. Mais qu’on ne s’y trompe pas : je ne suis pas en train de soutenir que le secret doit être entretenu à tous propos. Dans ces dernières années, de nombreuses rencontres de psychanalystes se sont tenues autour des secrets de famille. J’ai pour ma part eu l’occasion de mesurer combien certains secrets peuvent altérer les échanges dans les familles et parfois même, continuer à peser dans l’inconscient de plusieurs générations. Et je n’oublie pas ce patient dont le père avait été tenu secret, et qui s’est mis à délirer quand il est devenu lui-même père.

Sans aller jusqu’à des exemples aussi extrême, il est clair que tout secret à un coût. Il faut mentir, dissimuler, les relations perdent de leur authenticité. Et plus le secret est lourd, plus il est obsédant et plus les efforts pour l’éviter entravent l’existence.

En fait, le secret n’est pas plus à cultiver que la vérité ; l’un et l’autre nous placent devant des décisions responsables  - dois-je (ou devons-nous, car il y a des secrets partagés) avouer, taire au contraire ? - où se marque notre liberté, ainsi que le respect que nous avons de nous-mêmes et d’autrui.

A l'approche des vacances et des départs en familles, doit-on assumer nos secrets ou les révéler au grand jour afin de garantir un climat serein ?

Je crois avoir déjà largement répondu à cette question. Deux observations brèves, pour conclure. Les vacances sont une période rapprochement familial où l’on peut prendre le temps de s’expliquer. C’est le moment d’aborder ce que l’on taisait par peur de ne pas être compris, de s’ouvrir à ceux que l’on aime, d’échanger des confidences – d’apprendre, au fond, à mieux se connaître en rangeant au second plan ses responsabilités habituelles. Mais les vacances sont également un moment de détente familiale qu’il n’est pas nécessaire de gâcher par des révélations inappropriées…

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