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En 2010, la France célébrait la fin du commerce administré de l’électricité.
En 2010, la France célébrait la fin du commerce administré de l’électricité.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Marché de l'énergie

Comme la défense, la responsabilité de l’approvisionnement énergétique doit avant tout être nationale.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Ceci n’énonce pas un jugement mais, hélas, la prévisible évolution du constat fait par les Français depuis plus de 15 ans, dont ce qui suit révèle le caractère systémique de la pérennité.

Des augures inquiétants ne datant pas d’hier

Le rapport sénatorial d’octobre 2006 (au lien https://www.senat.fr/rap/l06-006/l06-0061.pdf) prévenait nos décideurs que le pays pouvait manquer d’électricité avant 2010 avec ceci en page 18 :

…la hausse constante de la consommation dans un contexte d’une insuffisance de l’offre soulève le problème d’une éventuelle pénurie de courant d’ici quelques années en l’absence de tout effort significatif en matière de nouveaux investissements.


Le Réseau de transport d’électricité (RTE) a récemment alerté les pouvoirs publics sur ce risque. Dans le cadre de son bilan portant sur la période 2006-2015, il a insisté sur la faiblesse de l’accroissement des capacités déjà programmé pour compenser l’augmentation anticipée de la demande et l’arrêt d’unités de production. Ainsi, selon le transporteur, « des besoins de production supplémentaires seront nécessaires dès l’automne 2009, pour un niveau évalué à 800 MW ; à partir de 2010, les besoins indispensables pour maintenir la sécurité d’approvisionnement seront de 1.000 à 1.200 MW supplémentaires par an ». Ces capacités de production manquantes sont considérables puisque 800 mégawatts représentent l’équivalent de la consommation en électricité d’une ville d’un million d’habitants. En outre, cette situation est d’autant plus préoccupante que ces prévisions prennent en compte la mise en service, à l’horizon 2012, d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération, dit EPR, sur le site de Flamanville.

Si les leçons de la panne de 1978 ont été tirées, ainsi qu’en témoigne la résistance du réseau français à la tempête de l’hiver 1999, la France ne peut compter sur son propre parc de production pour franchir les pics de consommation. Même si les centrales nucléaires françaises fournissent de l’électricité en niveau suffisant pour la consommation « de base », nos moyens de production en pointe sont, quant à eux, insuffisants pour satisfaire la demande en cas de grand froid ou de canicule. La chute des températures cet hiver a entraîné, le 27 janvier 2006, un nouveau record de consommation, le neuvième depuis la création de RTE en 2001. En effet, une baisse d’un degré provoque une hausse de la consommation de 1.450 MW, soit l’équivalent de la demande d’une agglomération comme Lyon.

En conséquence, pour écarter tout risque de rupture de l’équilibre du système électrique, comme celui qui a frappé l’Italie le 28 septembre 2003, il est indispensable d’augmenter les capacités d’investissements.

Quatre années plus tard, s’alarmant déjà de l’obligation de plus en plus insistante d’envisager le recours à l’effacement de préférence volontaire des consommateurs, le rapport Poignant-Sido du groupe de travail sur la maîtrise de la pointe électrique, disait ce qui suis à sa page 10, en avril 2010 :

…Depuis une dizaine d'années, la puissance appelée en période de pointe de consommation croit plus rapidement que la consommation. Entre 1997 et 2008, la différence entre la puissance moyenne appelée en hiver et la puissance maximale appelée est passée de 14 GW à 19 GW.

Les facteurs expliquant cette évolution sont multiples. On peut citer l'augmentation du nombre de ménages, qui tire la consommation résidentielle, le ressenti d'une volatilité des prix de l'énergie fossile qui rend l'électricité plus attractive, le développement d'usages nouveaux de l'électricité tels que l'informatique, les équipements « bruns » qui restent en veille, les appareils rechargeables multiples, les équipements de confort, la ventilation, la poursuite du développement du chauffage électrique, notamment des pompes à chaleur et le développement du transport électrique, ferroviaire ou routier.

Dans son bilan prévisionnel de l'équilibre offre-demande électrique, publié tous les deux ans, RTE établit notamment des prévisions de croissance de la pointe de consommation d'électricité. Ce document, qui relève exclusivement d’une problématique de sécurité d’approvisionnement, joue un rôle d'information et d’alerte : il s’agit d’établir des prévisions de consommation d’électricité et d’échanges entre la France et les autres pays, puis de confronter ces prévisions avec les perspectives connues d’évolution des moyens de production.

Dans la dernière version en date du bilan prévisionnel de RTE publiée en juillet 2009, RTE prévoit tout d'abord un rééquilibrage en hiver des pointes du matin et du soir, notamment du fait de la diffusion des ampoules à basse consommation qui réduisent la pointe du soir.

RTE souligne également que le développement du chauffage électrique, notamment des pompes à chaleur, va augmenter la sensibilité à la température de la consommation d'électricité en hiver. Cette sensibilité - qui atteint aujourd'hui 2 100 MW par °C en hiver - devrait atteindre 2 500 MW par °C en 2025.

Enfin RTE indique que la puissance de pointe "à une chance sur dix" croît très rapidement : il s'agit du niveau de puissance qui a une chance sur dix d'être dépassé au moins une heure au cours de l'hiver, ou dit autrement, du niveau de puissance atteint dans des conditions climatiques qui ne se présentent en moyenne que tous les dix ans. Dans son scénario dit de "Référence", RTE estime que la pointe "à une chance sur dix" devrait atteindre 104 GW sur l'hiver 2014-2015 et 108 GW sur l'hiver 2019-2020. Pour mémoire, le niveau maximal de consommation nationale réalisé à ce jour est de 92,4 GW et il a été atteint lors d’une vague de froid le 7 janvier 2009.

En 2010, la France n’en célébrait pas moins la fin du commerce administré de l’électricité

Cette année là, sourdes aux mises en garde précédentes, les instutions françaises ne trouvèrent rien de mieux qu’instaurer le principe économique UE selon lequel la formation du prix optimisé de tout KWh électrique et sa production en abondance ne peuvent résulter que de l’équilibre entre une offre et une demande purement commerciales. En vertu de ce principe, le 7 décembre 2010 naissait la loi n° 2010-1488 portant Nouvelle Organisation du Marché de l'Électricité – NOME – que, pour se convaincre et convaincre les Français de la solidité à toute éprouve, le gouvernement Fillon alla jusqu’à entraver par le handicap ARENH – Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique – de triste mémoire et dont on n’a pas mesuré toute l’étendue des dégâts.

Guère plus d’une semaine plus tard, la puissance électrique appelée comme un immanent coup de semonce par le pays atteignait le record de 96,71 GW, le mercredi 15 décembre à 19 heures où, restée inchangée depuis 2006, la puissance disponible de notre parc de production ne dépassait pas 78 GW. Sans surprise, les Français n’eurent à attendre que deux ans un second coup de semonce sonné avec le record toujours inégalé de 102,10 GW observé le mercredi 8 février 2012 à 19 heures.

Or, à l’heure où cet article est rédigé, soit 11 ans après la pointe historique, notre pays ne pourrait dans la même circonstance aligner que quelque 63 GW et pas plus de 76 GW le mois prochain, selon l’état précis de nos réserves hydrauliques. Comment en est-on arrivé là ? C’est que, nonobstant les déboires momentanément enregistrés par la maintenance de son parc nucléaire, une France aux mains des prévaricateurs prend depuis plus de 15 ans un soin méticuleux à brûler ses vaisseaux électroénergétiques : les 15 GW de puissance thermique classique – charbon, fioul – que comptaient, en 2006, les 78 GW de son parc de production ont été méthodiquement anéantis – unvéritable gâchis pour ce qui concerne les deux tranches fioul de 600 MW d’Aramon, parfaitement convertibles – de même que les 1800 MW des deux tranches de Fessenheim.

En guise de prétendue substitution à un type de production banni, entre autres renouvelables, les Français se sont vus gratifiés d’une fantasque puissance éolienne installée de près de 20 GW dont le facteur de charge moyen ne dépasse pas 22 % (1) et ayant produit 36,8 TWh sur un total de 522,9, en 2021, soit 7 % de la consommation du pays !

Bien se dire qu’appeler à la rescousse des pays de l’UE, tous engagés dans une transition énergétique à la française, équivaut désormais à recourir très largement à la production électro-charbonnière allemande.

La conduite du système électrique garantissant la continuité du service et de laquelle doit constamment découler son développement

Non seulement le regretté Marcel Boiteux (2) avait parfaitement théorisé cette conduite et ce développement, mais, 25 années durant, il en a brillamment démontré le bien-fondé à l’aide d’un système production-consommation que le monde nous a envié, de même qu’il a démontré combien, sortie du cadre national, la pratique aveugle du Merit Order – la rémunération de tous les producteurs au coût marginal du dernier KW entré – pouvait se révéler dévastatrice.

Le principe fondamental d’une telle conduite consiste à accorder la souveraineté absolue à la maîtrise permanente de l’équilibre production-consommation, à laquelle toute préoccupation commerciale et/ou environnementale doit être inféodée. La grandeur réglante de cet équilibre est une fréquence du courant pour laquelle la production éolienne est un véritable poison, en plus de bénéficier de la falsification notoire du marché des KWh honteusement perpétrée par tous les pays membres de l’UE, sur le dos de leurs consommateurs et de leurs contribuables.

Quant au Merit Order, il se confirme aujourd’hui que, sorti du cadre d’un système production-consommation national intégré, comme l’était celui d’EDF où charges et gains de production étaient rationnellement mutualisés pour le plus grand bénéfice de la facture finale présentée au consommateur, sa pratique sans discernement, voire frelatée à l’échelle d’un marché européen prétendument libre et non faussé, est particulièrement dévastatrice pour la clientèle française. Outre l’avantage précité, il convient de préciser que l’ancien système dont bénéficiait cette dernière tendait à rendre le nucléaire de plus en plus souvent marginal et par conséquent les KWh de moins en moins chers.

Une électricité européenne voulue moins française 

CfL’accord des 27 pour réformer le marché de l'électricité, compromis sur le nucléaire(3) : «…Les CFD (4) pourraient s’appliquer au parc nucléaire français, mais, le cas échéant, la France devra se soumettre aux règles de l'UE sur les aides d’État, et la Commission veillera à ce que de tels instruments soient adéquatement conçus, sans générer de distorsions de concurrence indésirables et de rupture d'équité sur le marché intérieur… La Commission sera le juge [de paix] de la sincérité du prix fixé...
[…] nos partenaires allemands avaient besoin de ré-assurances sur le fonctionnement du marché français, cela leur donne un certain nombre de garanties
, a observé l’Élysée… »

Autrement dit, si, comme c’est probable, la France se disposait à financer son nouveau nucléaire avec les marges dégagées de la vente d’un KWh dont les cours ont toutes les chances de se maintenir haut, imaginer que l’Allemagne demeure stoïquement sur la réserve, sans faire appel à ses Casques Bleus de la Commission de Bruxelles, est un doux rêve. Bref, on souhaite bien du plaisir au(x) préposé(s) chargé(s) de réunir le tour de table convié à financer des EPR2 pas pour demain et, de toute façon, plus chers (et donc moins prioritaires) qu’éolien et photovoltaïque, aux dires mêmes de madame Pannier-Runacher.

Conclusion

Certes, un marché de l’électricité doit toujours exister sous une forme ou sous une autre, dans l’intérêt de tout consommateur et dans celui de la collectivité organisée à laquelle il appartient. Mais la concurrence doit moins s’y exercer entre fournisseurs qu’entre sources d’énergies primaires générant cette électricité et, surtout, la générant à bon escient. Un long retour d’expérience français ayant incontestablement respecté ce cahier des charges a montré que la bonne échelle de ce marché est l’échelle nationale, une exigence conforme au principe de subsidiarité voulant que, comme la défense, la responsabilité de l’approvisionnement énergétique soit avant tout nationale.

Partant, s’agissant de la conception du fameux smart grid européen, les Français doivent trouver le moyen d’imposer à l’UE le principe de l’interconnexion intelligente de blocs technico commerciaux indépendants n’obéissant qu’à des politiques énergétiques nationales ouvertes à la concertation avec leurs homologues.

Chez nous, un RTE partisan et drapé de mobilisation climatique se fait sans réserve l’agent de la prescription de l’intenable schéma de production l’UE. Aussi, y a-t-il plus que jamais urgence à limiter les prérogatives de cet organe hautement stratégique à celles du Service des Mouvements [optimisés] d’Énergie qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Les Français lui donnent rendez-vous au prochain programme de délestage… 

(1)Production ramenée au pourcentage de la durée annuelle en fonctionnement à pleine puissance

(2)Marcel Boiteux, revue Futuribles-n°331- Juin 2007-https://www.futuribles.com/les-ambiguites-de-la-concurrence-electricite-de-fr/

(3)https://www.la-croix.com/Nucleaire-27-tentent-debloquer-reforme-marche-electricite-2023-10-16-1301287133

(4)"Contrat pour la différence" à prix garanti par l’État pour tout soutien public à des investissements…

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