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"Un narcissisme à peine croyable" : l'esprit de Donald Trump décortiqué par un psychologue
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Miroir miroir

La personnalité du candidat républicain peut sembler cryptique. Mais l'homme est en lice pour la présidence de la première puissance économique mondiale : il est essentiel de comprendre ses éventuelles réactions, pour aiguiller ses interlocuteurs.

A quoi pense Donald Trump quand il est seul ?

Michael D'Antonio, son biographe, décrit longuement son impression permanente que "Donald Trump joue à Donald Trump". Mark Singer, du New Yorker, est également interloqué : en privé, l'homme semble mener "une existence qui n'est pas tourmentée par le tumulte de l'âme".

Autrement dit, tout se passe comme si Trump vivait sous un projecteur permanent – et qu'il le savait. A ces impressions primaires, The Atlantic vient d'apporter un éclairage supplémentaire, d'ordre psychologique. En effet, que vous le teniez de Freud ou de la Bible, la recherche a mis au jour le fait suivant : l'idée que les gens se font d'eux-mêmes – tout comme leurs motivations et leur tempérament – sont des indices puissants de ce que chacun décidera. Alors, qu'en est-il de Donald Trump ?

Ses dispositions

Les psychologues ont établi le modèle dit des "Big Five" depuis une trentaine d'années, afin de servir de repères dans l'étude de la personnalité. Selon que vous êtes Ouvert (c'est-à-dire curieux, prêt à se remettre en question) ou non ; Consciencieux (c'est-à-dire organisé, plutôt que spontané) ou non ; Extraverti (c'est-à-dire cherchant la stimulation et la compagnie d'autrui) ou non ; Agréable (c'est-à-dire empathique, plutôt que soupçonneux) ou non ; Névrotique (c'est-à-dire émotionnellement instable, plutôt que d'humeur égale) ou non. Ces initiales expliquent son nom français : le modèle OCEAN.

Au sein de ce modèle, les gens ordinaires sont généralement situés au milieu des variables, et le restent pour la durée de leur existence. Mais chez les présidents américains, les indices s'affolent : il est généralement considéré que George W. Bush était extrêmement extraverti, mais fort peu ouvert aux leçons de l'expérience ; quant à Barack Obama, il est plutôt introverti, et d'une stabilité émotionnelle "quasiment préternaturelle". Et Donald Trump alors ? Incroyablement extraverti, mais terriblement peu agréable. L'homme est une "dynamo", qui dort très peu. En effet, l'extraversion est corrélée à des comportements qui veulent susciter la reconnaissance d'autrui. En 1987, Barbara Walters lui demande s'il aimerait être nommé président des Etats-Unis. L'homme d'affaires lui répond : "Non, je crois que ce que j'aime, c'est la chasse".

Bien entendu, cela ne précise pas les décisions qu'il prendra. Au soir des élections de 2000, nul n'aurait pu prédire que Bush envahirait l'Irak trois ans plus tard. Mais la personnalité de Trump peut nous éclairer sur le genre de ses décisions : autrement dit, l'invasion de l'Irak par Bush ressemblait à son caractère, car les extravertis tendent à prendre facilement de gros risques. Malgré tout, à la différence de Bush, Trump est d'abord un businessman : s'il aime prendre des risques, la succession d'échecs financiers qu'il a connu pendant les années 90 lui ont appris le temps de la réflexion.

Il n'en reste pas moins qu'il n'est pas agréable du tout. Il fait figure d'homme machiavélien – en somme, peu fiable, à la manière de Nixon. Politifact, le site internet qui vérifie la véracité des promesses et des engagements pris par les hommes politiques américains (et qui a gagné le prix Pulitzer en 2009), a recensé toutes les affirmations de Trump et donne les résultats suivants : 2% d'entre elles sont vraies. Globalement, 75% sont fausses, dont 18% sont du "pur n'importe quoi". Quoiqu'un tel organe soit forcément partiellement politisé, le poids des chiffres appuie le diagnostic du psychologue.

En somme, Trump est audacieux, son style est agressif, et il lui importe d'obtenir des résultats éclatants sans trop s'arrêter aux dommages collatéraux.

Ses habitudes mentales

Dans ses négociations – au sujet desquelles il a écrit un livre –, Trump se montre vigoureux, infatigable et intraitable, jusqu'aux plus petites clauses. Il a formé un réseau important de personnalités avec lesquelles il entretient des relations personnelles, et il négocie quasi toujours en tête-à-tête – comme à la vieille école. Pourtant, le travail d'un président dépasse l'ampleur d'un seul homme, puisqu'il est contraint par des cadres institutionnels que le networking ne peut seul faire changer. Au vu des habitudes professionnelles de Trump, le psychologue se permet donc de supposer qu'il n'est pas prêt à assurer une telle fonction.

Ses motivations

A la fin de l'année 2015, Vanity Fair a également publié un compte-rendu psychologique de Donald Trump. Howard Garner, professeur à Harvard, à qui on demandait de résumer la personnalité de l'homme d'affaires, a répondu : "Il est d'un narcissisme à peine croyable". En effet, les clients des produits Trump pourraient se demander pourquoi son nom est collé à tous les produits qu'il commercialise : ses casinos, ses steaks, son vin, ses immeubles, son université, et d'autres choses encore. Prononçant l'éloge funèbre de son père, Trump avait commencé par ces mots : "Ce jour est le pire jour de ma vie", avant de détailler la réussite de son père : avoir élevé un fils si riche et si célèbre.

Alors, que veut Donald Trump ? Dans la mythologie grecque, Narcisse ne rêve que de lui-même. Les narcissiques promeuvent en permanence leur propre grandeur. Socialement, la difficulté vient du fait que sa volonté d'être le meilleur (qui n'est pas du tout alimentée par un manque d'amour de ses parents) lui a empêché de faire preuve de la faiblesse que l'intimité requiert. Ceci explique l'absence de confidents, constatée dès l'école.

Soit. Peut-être que le narcissisme n'est pas une mauvaise caractéristique pour les présidents ? En 2013, une étude s'est penchée sur la question, et donne la conclusion suivante : le narcissisme est une épée à double-tranchant. En effet, il facilite la mise en place de nouvelles lois, il est corrélé à l'avancée d'un véritable agenda politique, et il fait toujours dire aux historiens qu'un président narcissique a été un président "impérial", "grandiose". Seulement, il est souvent associé à la commission d'actes immoraux, et à des tentatives d'impeachment. Dans les affaires où l'éthique est moins exigée, certains narcissiques ont été d'immenses PDG, à la manière de Steve Jobs. Mais en politique, un schéma récurrent se profile : initialement éclatants, ces hommes finissent toujours par lasser de leur égocentrisme, et la roche tarpéienne ne s'est pas éloignée du Capitole.

Sa conception de soi

L'héritage que nous laissons derrière nous est toujours façonné par les récits, ou narratives, qu'ils ont construit à leur propos. Ces récits donnent une cohérence à notre existence, et répondent à la question de savoir comment nous sommes devenus ce que nous sommes. Le mécanisme est généralement inconscient, et passe par une réinterprétation du passé et un avenir fantasmé.

Chez les présidents américains, le psychologue prend deux exemples : le récit de Georges W. Bush est celui d'un ancien alcoolique paresseux, qui s'est converti sur le tard. En politique intérieure, cela lui donnait l'impression que tout le monde profiterait d'un retour aux valeurs conservatrices ; en politique extérieure, il souhaitait participer à la rédemption de peuples opprimés (par Sadam Hussein par exemple). Quant à Barack Obama, son récit est plutôt celui de l'héritier de la lutte contre l'esclavage, en marche vers la libération aux côtés de Martin Luther King. Cela donne à ses mandats une couleur progressiste, orientée vers la liberté.

Et Donald Trump, dans tout ça ? L'homme a été élevé dans un imaginaire hobbesien, de guerre de tous contre tous. Cela peut être illustré par ses propos, à la mort de son grand frère alcoolique, à 43 ans, qui n'avait jamais su se mettre au niveau de sa famille : "Fred n'avait rien d'un tueur". Donald Trump voit Manhattan, dans laquelle il évolue, comme une jungle qu'il doit asservir pour s'affirmer. Envoyé à l'académie militaire de New York à l'âge de treize ans, il valorise la compétition pour elle-même et dit d'ailleurs : "L'argent n'a jamais vraiment été mon moteur ; il ne me sert qu'à compter les points". Mais une victoire économique n'est pas une victoire militaire, et Trump le sait : en 2003, il a vertement critiqué l'invasion de l'Irak, et encore récemment s'est montré très réticent à l'envoi de troupes en Syrie.

En somme, "son extraversion et son narcissisme suggèrent qu'il est prêt à prendre de gros risques, pour que l'histoire se rappelle de lui. Les discours musclés peuvent parfois prévenir les conflits militaires – quand, par exemple, un adversaire recule, intimidé. Mais ses paroles belliqueuses engendrent la colère chez ses partisans, et peuvent contribuer à provoquer effectivement les nations dont Trump se moque".

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