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Ukraine : ces autres pays qui ont peur de leurs minorités russes
©REUTERS/Gleb Garanich

L'ennemi intérieur

Si la majorité de la population de Crimée pouvait se sentir culturellement plus proche de la Russie que de l'Ukraine, d'autres régions du monde ont aussi une partie de leurs habitants sensibles aux intérêts de Moscou.

Laurent Chamontin

Laurent Chamontin

Laurent Chamontin est écrivain. Il a publié  auteur de "L'empire sans limites - pouvoir et société dans le monde russe" (Éditions de l'Aube)

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Atlantico : La semaine dernière, une pétition intitulée "Alaska back to Russia" initiée par des descendants russes installés en Alaska et demandant le retour du territoire aux mains du Kremlin aurait récolté plus de 17 000 signatures en trois jours. S'il est difficile d'établir l'authenticité de ces signatures, il semblerait que certaines personnes prennent le sujet très au sérieux, soulignant les liens historiques entre cet Etat avec la Russie. Quels sont les autres territoires occupés par une forte diaspora qui pourraient être animés par une même volonté de rattachement à la Russie ?

Laurent Chamontin : Commençons si vous le voulez bien par dire deux mots de l’Alaska. Il s’agit d’un territoire que la Russie a cédé aux États-Unis par traité en 1867. Que le gouvernement américain accepte de revenir là-dessus est tout bonnement inimaginable ; en Crimée, l’armée russe était déjà sur place grâce à la location de la base navale de Sébastopol, et le Kremlin a su profiter de l’irrésolution ukrainienne. L’Alaska, c’est une autre histoire ! Pour en revenir à votre question, il y a des minorités russes dans toutes les anciennes républiques soviétiques, en particulier dans le nord du Kazakhstan et dans l’est de l’Ukraine, qui sont des zones frontalières de la Russie. Ce qui veut dire que dans la situation actuelle, hors du cas de l’Ukraine, la Russie doit éviter d’inquiéter ses autres voisins quant à d’éventuelles visées déstabilisatrices. En particulier au Kazakhstan et ailleurs en Asie Centrale, utiliser ce genre de levier reviendrait à donner à la Chine sur un plateau les moyens d’étendre son influence, alors qu’elle est déjà très présente – je suis sûr que Moscou en est très conscient.

Existe-t-il des tensions entre la diaspora russe et les locales dans tous ces territoires ? Constate-t-on un activisme pro-russe ?

Dans l’est de l’Ukraine, là où la population ethniquement russe est présente, la volonté de rattachement à la Russie est faible. C’est ce qui ressort de mon expérience personnelle (j’ai vécu 3 ans dans la région) comme de la littérature consacrée au sujet, et on le voit aujourd’hui quand on regarde les images des manifestations pro-russes à Kharkiv ou à Donetsk, qui ne rassemblent visiblement pas plus de 2 à 3000 participants.

Pour les autres territoires, je ne pense pas qu’il y ait de mouvements très virulents, d’autant moins que la liberté d’expression y est souvent lourdement contrôlée. Cependant je crois si vous me permettez que la question n’est pas là : l’annexion de la Crimée ne résulte pas d’un mouvement populaire (d’après un sondage mentionné par Anne De Tinguy, 23% seulement d’habitants souhaitaient un rattachement à la Russie en Mai 2013), mais d’un mélange entre propagande, intimidation, achat de votes et manipulations de scrutin dont on ne connaitra sans doute jamais les proportions.

D’autre part, nous sommes dans des pays où la position vis à vis de l’État est paradoxale : l’héritage de la période soviétique fait que la première demande de beaucoup de citoyens, c’est que l’État les laisse tranquilles. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de nationalistes : ce que fait aujourd’hui Vladimir Poutine, avec les JO de Sotchi et l’annexion de la Crimée, c’est caresser dans le sens du poil un électorat nostalgique de l’URSS. Mais le bruit des nationalistes ne doit pas faire oublier la masse des indifférents qui essaient de s’en sortir le plus loin possible de l’État.

Les pays Baltes connaissent également une forte diaspora russe, en raison de son héritage soviétique. Qu'est ce qui pourrait motiver leur volonté de rattachement à la Russie ? Quelle est l'influence des pro-russes ?

Il peut subsister encore aujourd’hui des tensions linguistiques entre russophones et autochtones en Lettonie et en Estonie, où les russes ethniques représentent des minorités de l’ordre de 25 – 30%. Mais nous sommes là dans un autre monde : des sociétés démocratiques, avec des sentiments nationaux lettons et estoniens forts, et le parapluie de l’OTAN…

Ossétie du Sud, Abkhazie, Crimée... Pourquoi les rattachements à la Russie (qu'ils soient officiels ou officieux) s'arrêteraient-ils là ? Certains territoires, comme la Transnistrie, peuvent-ils être tentés d'attirer chez eux le "grand-frère" russe ?

Je dirais qu’effectivement la Transnistrie est le cas qui mérite le plus d’attention. Comme je l’ai déjà souligné, le coup joué en Crimée par Vladimir Poutine lui permet d’engranger un bénéfice sur le plan intérieur, de relativiser l’effet désastreux pour lui des images où les Ukrainiens découvrent la luxueuse villa de Yanoukovitch, le tout pour un coût minime.

S’il va plus loin, en Ukraine ou ailleurs, le coût diplomatique et économique, voire militaire va vite devenir insupportable… sauf en Transnistrie, où l’armée russe est déjà présente. Il peut donc faire à peu de frais une déclaration de rattachement, et ainsi augmenter la pression psychologique sur l’Ukraine, cette fois-ci sur sa frontière ouest. Mais il lui faut rester prudent, car l’Ukraine finira bien par se ressaisir, et la Transnistrie est un territoire enclavé entre cette dernière et la Moldavie.

Au total, je vois beaucoup de mise en scène dans ce spectacle de la Russie conquérante, mais il ne faut jamais oublier que le pays reste plombé par une économie poussive, par une démographie en déclin et des conditions sociales peu enviables. L’ère de l’expansion est derrière lui depuis 1989.

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