Transphobie : pourquoi l’accusation de “mégenrage” doit être maniée avec infiniment de précautions<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Transphobie : pourquoi l’accusation de “mégenrage” doit être maniée avec infiniment de précautions
©LUDOVIC MARIN / AFP

Polémique

Le terme de mégenrage sert à désigner le non respect du genre revendiqué par une personne.

Cecilia Lepine

Cecilia Lepine

Cécilia Lépine, née en 1991, est diplômée de l'université de la Sorbonne IV en lettres et civilisations anglophones. Elle s'est spécialisée sur les mouvements sociaux américains et s'est particulièrement intéressée au féminisme en rédigeant un mémoire sur les femmes amérindiennes et leur rapport au féminisme. Elle a collaboré avec Meghan Murphy pour le site canadien Feminist Current et écrit en tant que journaliste indépendante depuis 2018 sur Racine Rouge dans le but de proposer un point de vue féministe critique sur des sujets comme l'identité de genre et le sexe, la prostitution, la pornographie et la convergence des luttes.  

Voir la bio »

Atlantico : Alors qu'elle fait la couverture du Point, Zineb El Rhazoui a été accusée de transphobie pour un entretien dans lequel elle aurait pointé du doigt les dangers en termes notamment de pédocriminalité que recouvrait le concept LGBT de "mégenrage". Que signifie ce néologisme ? Quels dangers propre à la transidentité pointait du doigt Zineb El Rhazoui ?

Cecilia Lepine : Dans cet extrait de son passage sur CNEWS le 13 février dernier, l'argument de Zineb avait pour objectif d'appeler à la prudence quant aux revendications des minorités, qui parfois vont à l'encontre des intérêts du plus grande nombre. Elle donne pour exemple le principe de la transidentité, ou ce qu'on appelle l'identité de genre, selon lequel un individu ne se sent pas en adéquation avec son sexe de naissance. La plupart des organisations LGBT réclament ce qu'ils nomment le droit à l'autodétermination, soit la possibilité de se déclarer du sexe opposé, sans que personne ne trouve à y redire. Si un homme prétend "se sentir" femme au plus profond de lui-même, alors c'est une femme. Or, il existe un mouvement féministe, radical, dont je fais partie, farouchement opposé à cette idée. Nous considérons que le principe de l'identité de genre est une idéologie profondément régressive, anti-féministe, anti-matérialiste et anti-science, reposant sur le principe qu'être une femme, c'est "dans le coeur et la tête", que c'est une question de "sentiment" et que le sexe n'est qu'une insignifiante différence physique entre les êtres humains. L'exemple de Zineb fait référence aux répercussions que les lois visant à protéger l'identité de genre ont sur les femmes : Jonathan Yaniv, au Canada, a porté plainte pour discrimination au motif de son identité de femme contre 16 esthéticiennes de plusieurs salons de beauté pour femmes qui ont refusé de lui faire une épilation brésilienne. Par la suite, les captures d'une conversation privée entre Yaniv et une femme ont été publiées sur le net, dans laquelle il exprime le désir d'aider des jeunes filles aux alentours de 12 ans à mettre leur tampon, au prétexte délirant qu'il aimerait se lier à elles car lui-même aura bientôt "ses règles" grâce à son traitement hormonal. Sommes-nous censés croire pareil individu en toute bonne foi lorsqu'il dit être une femme ? N'y-a-t-il pas une discussion à avoir sur ce principe qu'on est un homme ou une femme selon des critères aussi flous que "l'identité profonde" d'une personne ? Remettre en question ces idées est cependant perçu comme transphobe, discriminatoire. Le concept du "mégenrage" vise à créer un délit selon lequel utiliser les "mauvais" pronoms à l'encontre des personnes trans constituerait une "violence inouïe", que l'on devrait punir, sous prétexte qu'en débattant de la transidentité, on participe à tuer des personnes trans. C'est ce dont Zineb a été accusée, au lendemain de l'agression de Julia. Mais elle n'a jamais dit que les personnes trans sont des pédocriminels. Elle relève une faille du concept qui permet à des hommes de s'adonner à des activités criminelles puisqu'on n'a pas le droit de douter de leur "identité".

Peut-on de fait distinguer un trans "véritable" d'un trans qui utiliserait cette identité pour commettre ses méfaits ?

C'est le problème de l'inscription du concept de "l'identité de genre" dans la loi. C'est un terme qui n'est pas clairement défini. Quand on demande à des militants transgenres ce que signifie ce terme, la seule réponse qu'on obtient c'est "C'est un sentiment. C'est comment on est à l'intérieur de soi, on sait qu'on est une femme et puis c'est tout". Je pense qu'il faut distinguer deux phénomènes : les transsexuels (terme honni mais qui mériterait de refaire surface), ceux qui souffrent vraiment d'une perception d'inadéquation par rapport à leur corps, et pour qui la dernière solution est d'entamer un traitement hormonal et parfois, la chirurgie esthétique. Et puis il y a la face déologique : le militantisme transgenre. C'est une nouvelle vision du transsexualisme, qui affirme qu'on peut être trans sans souffrir d'un décalage entre le corps et l'esprit, que c'est un phénomène tout à fait normal qui ne traduit aucun malaise d'ordre psychologique et qu'il y a autant de manières d'être trans que de personnes trans. Autrement dit, il n'existe aucun critère objectif de ce qu'est une "personne transgenre". Dans ce cas-là, tout le monde peut en être. Encore une fois, on parle de sentiment profond, d'identité toute personnelle et unique : "Je me sens femme, donc j'en suis une et puis c'est tout". Comment détecter les menteurs ? Bonne question... On se rend compte alors qu'on est dans le domaine du dogme. L'identité de genre est un concept dangereux précisément parce qu'il n'a aucune véritable définition. C'est quelque chose qui n'est pas vérifiable, qui relève de la perception mais on demande, on exige même, de la société toute entière, qu'elle y adhère. Quand elle est inscrite dans la loi, elle constitue une faille juridique énorme puisqu'elle entre en contradiction avec la notion de sexe, qui elle, est observable, matérielle, et par-dessus tout également protégée par la loi. Comment entend-on, en tant que féministe, protéger les femmes et les filles des violences masculines si on avance que tout le monde peut être une femme, qu'il faut croire des individus comme Yaniv sur parole ? Les espaces non-mixtes n'existent pas sans raison. De fait, rien ne distingue une "vraie" femme trans d'un homme qui prétend être une femme. Parce que dans les deux cas, ce sont des individus de sexe masculin qui n'ont de "preuve" que leur parole.

Zineb El Rhazoui a été attaquée pour avoir critiqué l'utilisation du terme "racisé" par SOS Homophobie sur Twitter, suite à l'agression d'une personne transexuelle lors d'une manifestation algérienne à Paris. Aujourd'hui, peut-on dire qu'une certaine forme de défense des droits LGBT, notamment celle qui défend le concept d'intersectionnalité, est devenue hostile au féminisme et à ses combats ?

Certainement. Au départ, le concept académique de l'intersectionnalité avait de la pertinence. Il relevait la double, voire la triple peine infligée aux femmes qui peuvent être aussi victimes de lesbophobie, de racisme, celles qui sont dans la précarité. Aujourd'hui, on assiste à une véritable perversion de ce concept. Il divise les féministes parce qu'il appauvrit l'analyse : interdiction de critiquer le voile si on est pas musulmane et si on a la peau blanche, interdiction de critiquer d'autres cultures si on est une occidentale, interdiction de critiquer l'identité de genre si on n'est pas trans, interdiction de critiquer la pornographie et la prostitution si on n'est pas actrice porno et prostituée, tout ceci sous couvert de liberté et, encore et toujours, d'autodéterminisme. On prétend que les femmes peuvent se libérer en prenant part à des systèmes qui les exploitent. On refuse de remettre en question l'idée que le choix n'est pas toujours synonyme de liberté réelle, on avance que les pratiques sexuelles violentes sont acceptables à partir du moment où on y consent, comme si le consentement était toujours éclairé. Il s'est construit une hiérarchie dans ce féminisme intersectionnel, qui prétend profiter à toutes les femmes, mais qui consiste en réalité à empiler tous les facteurs possibles d'oppression pour déterminer laquelle a le droit de s'exprimer sur tel sujet, au lieu de réfléchir ensemble. Lors de la manifestation "NousToutes", on a vu des femmes hurler "White féministes, vous êtes complices !". Où est la sororité ? À quoi ça rime, tout ça ? Plus que tout, c'est un féminisme bien plus préoccupé par la question raciale que la libération des femmes. Mais aussi, on médiatise excessivement des minorités LGBT inventées de toutes pièces comme les non-binaires, les genderfluid, les agenres et j'en passe, et on réclame de la lutte féministe qu'elle leur cède la priorité, qu'elle les "inclue". On attribue à toutes ces minorités une fragilité sociale extrême, que le mouvement féministe doit chouchouter. La question des rapports de sexe entre les hommes et les femmes a été reléguée au dernier plan. Les femmes, qui constituent la moitié mondiale de la population, ont été reléguées au dernier plan de leur propre mouvement, qui doit materner toutes les causes. C'est la confusion la plus totale. Le féminisme est pour les femmes, toutes les femmes, oui, et uniquement les femmes. L'angle d'analyse qui doit primer dans le féminisme, c'est le sexe. Dire que le féminisme est pour tout le monde n'a pas de sens : il est exclusif par principe puisqu'il a pour objectif de libérer les femmes. Ce n'est pas d'un féminisme intersectionnel dont nous avons besoin, mais d'un féminisme tout court.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !