Traitement contre la dépression : les champignons magiques, l’innovation la plus importante depuis le Prozac ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Une neurologue observe les résultats d'un examen de l'un de ses patients.
Une neurologue observe les résultats d'un examen de l'un de ses patients.
©Fred TANNEAU / AFP

Solution miracle ?

Plusieurs travaux scientifiques de l’université Johns Hopkins et dans le New England Journal of Medecine ont étudié l’effet de champignons psychotropes pour traiter la dépression, avec des résultats prometteurs. A quel point ce traitement est-il efficace ?

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Plusieurs essais dont une étude de l’université Johns Hopkins parue l’an dernier et une étude parue dans le New England Journal of Medecine en avril 2021 étudient l’effet de champignons psychotropes pour traiter la dépression, avec des résultats prometteurs. A quel point ce traitement est-il efficace ? Certains voient dans cette méthode une des plus grandes avancées dans la lutte contre la dépression depuis le Prozac. Est-on véritablement face à un changement aussi révolutionnaire ?

Jean-Paul Mialet : Chaque époque a sa culture et ses drogues : aujourd’hui le hip hop et le crack, hier la beat génération et ses champignons psychédéliques. Accordons à cette dernière le mérite de la couleur : les expériences perceptives provoquées par le LSD et la psilocybine (principe actif des champignons hallucinogènes) inspiraient à leurs utilisateurs un univers de colorations acidulées intenses dont l’art des années 70 - et les pochettes de disque des Beatles - gardent la trace.

Sur la côte Ouest des États-Unis, mais aussi un peu partout dans le monde, nombreux étaient ceux qui s’offraient un voyage dans la planète à laquelle permettent d’accéder ces drogues : une planète où l’exaspération des sens immerge l’esprit dans environnement irréel aux déformations chromatiques et morphologiques vertigineuses. Pour en faire un bref historique, le premier à ouvrir la porte fut Albert Hoffman, en 1943, un chimiste des laboratoires Sandoz, qui absorba accidentellement du diéthylamide de l’acide lysergique (LSD) et se vit instantanément précipité dans un état semblable au rêve, animé par « un courant ininterrompu d’images fantastiques et de formes extraordinaires avec des jeux kaléidoscopiques de couleurs intenses ». Peu après, un banquier américain du nom de Gordon Wasson publiait dans Life magazine, au retour d’un voyage au Mexique, une modification semblable de l’état de conscience provoquée par des champignons hallucinogènes contenant de la psilocybine. L’expérience psychédélique, désormais connue du grand public, se répandit largement, menant certains à en faire un véritable voyage initiatique mystique (Aldous Huxley, Les portes de la perception, 1954) - mais incitant d’autres à profiter de la mode pour s’assurer une célébrité à bon compte (L’herbe du diable et la petite fumée, Carlos Casteneda, 1961 : présenté comme la thèse d’anthropologie d’un étudiant que personne n’a jamais connu…).

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Ce bref rappel permet de mesurer l’enthousiasme suscité par la découverte des psychotropes hallucinogènes dans les années 50-70. La psychiatrie n’était pas en reste ; dans une étude rétrospective, un auteur américain estime à 10.000 le nombre de patients que des praticiens auraient traité par des hallucinogènes, à quoi il faut ajouter plusieurs milliers de sujets qui se sont prêtés à des recherches sur ces drogues.

Ce n’est pas rien. L’humeur était à la quête d’un au-delà des sens, au mépris des risques. Mais en se répandant, l’usage récréatif de ces substances a permis aussi d’en mesurer les dangers : attaques de panique, perception hallucinatoire persistante (après un essai de LSD, Sartre prétendait s’être senti suivi par un homard pendant plusieurs semaines…), mais aussi suicides, meurtres, automutilation. Bien que ces conséquences graves soient rares et leur lien avec la drogue incertain, l’usage des hallucinogènes a été interdit aux USA dès 68, et les laboratoires Sandoz qui fabriquaient la psilocybine et le LSD, en ont stoppé la production. Les recherches scientifiques restaient possibles, mais délicates. De sorte que, la question étant passée de mode, le grand livre haut en couleur des hallucinations psychédéliques a été refermé pendant trente ans.

Pourquoi l’a-t-on rouvert ? Plusieurs organisations privées de recherche aux Etats-Unis (tel que le Hefter Research Institute ou la Beckley Foundation), ont continué à soutenir des études démontrant l’intérêt de l’usage des hallucinogènes dans des troubles psychiatriques. Et puis sans doute trente ans est-il un délai favorable pour apaiser les esprits… Quoiqu’il en soit, en 2011 apparaissait la première recherche approuvée par la FDA[1], indiquant que le MDMA[2] en association avec la psychothérapie avait des effets bénéfiques sur le stress post traumatique. Dès lors, les expérimentations se sont multipliées, s’étendant à de nombreuses universités aux États-Unis, puis en Europe et un peu partout dans le monde (60 pays seraient aujourd’hui concernés). La France s’y joint désormais avec l’équipe du Pr Raphaël Gaillard (Hôpital Sainte-Anne, Paris).

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Une étude suisse de 2013 a confirmé l’intérêt de l’association MDMA et psychothérapie pour le stress post traumatique, cependant qu’une autre indiquait que l’efficacité se maintenait dans la durée. D’autres recherches montrent des effets favorables de la psilocybine associée à la psychothérapie sur la dépendance alcoolique et nicotinique. Mais les résultats les plus frappants sont obtenus sur les dépressions majeures chez les cancéreux en phase terminale : la psilocybine, après une modification aigüe de l’état de conscience pendant plusieurs heures, produit une transformation profonde de la disposition d’esprit avec une disparition durable des symptômes dépressifs. Ces résultats spectaculaires, confirmés par plusieurs recherches, ont encouragé à employer la psilocybine dans les dépressions résistantes, celles qu’aucun traitement ne parvient à soulager après des mois. Très récemment, l’année dernière, une recherche publiée dans le JAMA Psychiatry par l’équipe de l’université John Hopkins, conclut que l’effet de la thérapie assistée par la psilocybine est plus de 2 fois supérieur à la psychothérapie seule et 4 fois supérieur aux antidépresseurs ! Et dans le New England Journal of Medicine cette année, une comparaison entre patients traités pour un épisode dépressif majeur par la psilocybine et par un antidépresseur sérotoninergique classique est encore favorable à la psilocybine. Aujourd’hui, c’est vers l’anxiété que l’on se tourne avec semble-t-il, encore, des résultats encourageants.

On voit que le champ des recherches s’est considérablement étendu et qu’il soulève l’espoir de venir à bout de bien des souffrances mentales. La FDA a admis en 2018 que les psychédéliques représentaient une percée majeure, et certains en font un nouveau Prozac ! Beaucoup considèrent que l’action des psychédéliques peut en apprendre énormément sur le fonctionnement du cerveau et les troubles mentaux. Parmi les hypothèses proposées, on avance un blocage profond et durable des récepteurs sérotoninergiques, ceux sur lesquels agissent un grand nombre d’antidépresseur. On propose aussi une libération de certains réseaux neuronaux qui tourneraient en boucle dans certaines pathologies, constituant le réseau par défaut du patient : les hallucinogènes provoqueraient un bienfaisant « reset ». On a également montré chez la souris une prolifération des connexions interneuronales… Bref, de nombreuses voies sont ouvertes.

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Quoiqu’il en soit, avec une estimation de 320 millions de dépressions sur la planète, les hallucinogènes, s’ils se révèlent à la hauteur de l’efficacité qu’on leur prête, ont de beaux jours devant eux ; les années 70 paraîtront fades à leurs anciens adeptes, au regard de l‘accueil que leur ménagerait alors ce troisième millénaire. On permettra toutefois à un psychiatre suffisamment âgé pour avoir vécu ces années psychédéliques d’exprimer un point de vue distancié.

Premièrement, l’emballement pour les voies prometteuses est fréquent dans le domaine de la souffrance mentale. Durant mes 40 ans d’exercice, j’ai connu de nombreuses thérapies dites révolutionnaires. Aucune, à mon sens, n’a tenu ses promesses. Mais elles contribuent à enrichir la liste des procédés que l’on peut mettre en œuvre face à un patient déterminé dans une situation précise – la « boîte à outil », comme on dit. J’adopte là, bien entendu, le point de vue d’un praticien qui continue à voir ses patients un par un et non en large groupe.

Un praticien de terrain qui n’a donc pas autorité pour se prononcer scientifiquement, à l’inverse des études qui viennent d’être évoquées. Mais précisément, ces études, du point de vue scientifique, appellent une remarque. L’intérêt du grand groupe est d’offrir des références statistiques et d’exclure l’influence du prescripteur en comparant le produit à un placebo. Or dans le cas des hallucinogènes, l’effet de la substance active est tellement puissant qu’on a du mal à deviner comment elle peut être comparée à un placebo.

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Quant aux hypothèses psychopharmacologiques, elles méritent sans doute d’être creusées et apporteront leur lot d’ouvertures nouvelles sur le fonctionnement du cerveau. Mais force est de constater que l’on trouve à chaque fois le réseau de neurone qui convient quand quelque chose a un effet sur l’esprit… Pourtant, dans la pratique, en matière de dépression, après plus de 50 ans d’utilisation des antidépresseurs, bien des obscurités subsistent. On ne sait toujours pas, notamment, pourquoi les électrochocs se montrent si efficaces et comment agit le lithium qui stabilise l’humeur.

N’allons pas croire toutefois que ce scepticisme fait de moi un adversaire de ces explorations prometteuses, au contraire. Pour ma part, au-delà des spéculations neurobiologiques, j’en retiendrai plutôt certains aspects phénoménologiques que mentionne l’équipe du John Hopkins dans sa recherche du JAMA : on y signale que l’intensité de l’expérience mystique lors de la prise de psilocybine est associée à un pronostic favorable, et ce d’autant plus qu’elle contribue à alimenter une intériorité signifiante pour la personne[3]. Un patient rapporte, par exemple, qu’il a revécu un sermon dominical à l’âge de 7 ans, pris entre deux frères qui voulaient le faire pouffer de rire : « Je pouvais les sentir de chaque côté, et combien c’était drôle. Je ressentais aussi l’amour que j’avais pour mes parents ». Cette scène se transforme en une vision des funérailles de ses parents, de ses propres funérailles, d’amis qu’il n’a pas encore perdus… La vie, la mort, l’amour, ces fondamentaux de l’existence, ressentis sans le filtre de la conscience, avec l’intensité bruyante du rêve, le débordement de rires et de sanglots : il n’en faut pas plus pour que ce patient se réapproprie, avec l’aide du thérapeute, une vie émotionnelle qui a du sens. Et qui s’était donc absentée ?

Risquons une hypothèse personnelle. Ce qui me frappe après tant d’années d’expérience, c’est que l’intériorité semble aujourd’hui communément atteinte d’une singulière atrophie. Mes patients d’autrefois se sentaient animés par une histoire qu’ils remettaient en question ; ceux que je vois à présent subissent leur histoire et cherchent l’échappatoire, ou se laissent balloter par leurs impulsions. Le monde intérieur s’est appauvri. Faut-il des hallucinogènes pour le ranimer ?


[1] Food and Drug Administration : l’équivalent américain de notre Agence des Médicaments

[2] Methylènedioxymétamphétamine, un hallucinogène de découverte récente considéré comme « non classisique » par rapport aux « classiques » que sont LSD, psilocybine, mescaline, ayahuasca, etc.

[3] « personnally meaningful and insightful experiences »

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