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Le Tour de France est-il l’épreuve sportive la plus dure au monde
pour les organismes ?
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Vélo boulot bobo

Le cyclisme est souvent présenté comme le sport le plus difficile qui soit. Alors que le Tour de France s'est élancé ce samedi de Liège, pour trois semaines de compétition, risque-t-on de voir des blessures graves ? Le corps humain peut-il supporter un tel effort ?

Gérard Porte

Gérard Porte

Gérard Porte est l'ancien médecin-chef du Tour de France cycliste. Il a exercé pendant 39 ans sur la Grande boucle.

Il est l'auteur de Médecin du tour (Albin Michel, 2011). Un ouvrage dans lequel il livre ses anecdotes, ses aventures, ses petits secrets et avant tout sa passion du cyclisme.

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Atlantico : L’édition 2012 du Tour de France a démarré ce samedi. Le cyclisme, et plus particulièrement le Tour de France, est-il le sport le plus exigeant qui existe ?

Gérard Porte : Beaucoup de sports sont extrêmement difficiles. Faire un marathon, un triathlon, c’est loin d’être facile. Parmi les grands sports populaires, on a effectivement coutume de dire que le cyclisme est le sport le plus dur avec la boxe. L’entrainement pour ces deux pratiques est très exigeant.

La particularité du sport cycliste est dans le caractère quotidien de la compétition. Les trois grands tours (Tour de France, Giro et Vuelta) se déroulent sur trois semaines et n’accordent que deux à trois jours de repos. Il faut être présent tous les jours, les étapes sont très longues et on a beau dire que le cyclisme est un sport d’équipe, au bout du compte, on est seul sur son vélo. Un jour de méforme, il faudra quand même réussir à terminer soi-même sur son vélo dans les délais imposés. De plus, il n’y a pas d’ « arrêt de jeu » comme dans un match de foot où les joueurs peuvent sortir 5 minutes pour se faire soigner.

Enfin, le cyclisme est un sport qui se déroule quelles que soient les conditions atmosphériques. Il est très rare que les épreuves soient neutralisées à cause de la météo. S’il pleut des cordes au départ, on partira sous la pluie, et on passera la ligne d’arrivée coûte que coûte. Le lendemain, il faudra repartir peut-être sous la canicule, et les gars y laisseront des plumes car la chaleur et le changement de condition fatiguent beaucoup les organismes.

Les abandons étaient-ils plus nombreux autrefois ?

Dans les premiers tours que j’ai suivis, on pouvait recenser environ 30% d’abandon. Maintenant, si on enlève les chutes, il n’y a plus beaucoup d’abandons dus à la fatigue. Autrefois, on comptait sur les doigts d’une main le nombre d’étapes de moins de 200 km. Certaines étapes dépassaient les 300 km, voire plus (8 à 9h en selle tous les jours…). Aujourd’hui cela s’est beaucoup réduit, rares sont les étapes qui dépassent les 200 km.

Les coureurs ont également plus de temps de récupération, le bus les attends dès la ligne d’arrivée, ils peuvent y prendre une douche, se reposer etc. A l’époque, les cyclistes devaient systématiquement rajouter des kilomètres à leur effort pour atteindre l’hôtel de l’équipe.

De plus, les coureurs sont bien mieux préparés, l’entrainement est beaucoup plus exigeant. Les garçons disposent de kinés, de médecins, de préparateurs physiques, etc. Toute une pléthore de spécialistes est au petit soin pour eux. Avant, les coureurs cyclistes avaient la vie dure du matin au soir.

L’évolution du dopage n’a-t-elle pas aussi joué un rôle dans tout cela ?

On impute souvent les belles moyennes de vitesse des coureurs au dopage. Je crois que cela vient principalement du fait qu’on ait raccourci les épreuves. Les coureurs, mieux préparés, sont plus nerveux et démarrent plus vite. On ne voit plus, comme avant, des pelotons « en ballade » dans lesquels les coureurs pouvaient discuter pendant les 50 premiers kilomètres de l’étape.

La morphologie des coureurs a-t-elle évolué dans le temps ?

Je ne crois pas. Eddy Merckx, qui dépasse 1m80, a toujours été un bel athlète, tout comme Fabian Cancellara aujourd’hui. On a aussi toujours eu des petits gabarits, comme le colombien "Lucho" Herrera ou  le français Charly Mottet dans les années 80. En ce qui concerne les vainqueurs, on a vu monter sur la première marche du podium des grands comme des petits.

Le cyclisme est un sport pour lequel nous n’avons jamais défini une morphologie type. Il est évident que celui qui est léger et petit aura moins de poids à trainer dans les cols mais celui de plus de 90 kilos sera plus favorisé dans les étapes de plaine ou sur des classiques d’un jour comme Paris-Roubaix.

Par exemple, les sprinteurs ont plus de fibres musculaires rapides que les grimpeurs ou les rouleurs. Cela correspond à la rapidité de contraction du muscle. C’est pour cela qu’on peut voir certains sprinteurs complétement lâchés dans les cols, qui paraissent au bout du rouleau, et qui parviennent, à la faveur d’une descente ou d’un morceau plus plat, à rattraper la tête de course et même remporter l’épreuve sur le fil, grâce au réveil de ces fibres musculaires rapides.

La hiérarchie des valeurs se fait voir dans le contre-la-montre mais surtout dans la montagne, le seul véritable juge de paix.

Quels types de séquelles physiques avez-vous remarqué sur les coureurs cyclistes à la retraite ?

Je ne pense pas qu’il y ait de séquelles particulières que l’on puisse associer à la pratique du cyclisme. Le cyclisme est un sport porté, enchainé, le mouvement est régulier. L’organisme humain n’est pas malmené ou usé dans la pratique du vélo. Bien sûr, si le coureur a fait de mauvaises chutes, s’est cassé quelque chose, il est évident que les séquelles peuvent être nombreuses.

Mais en théorie, en fin de carrière, l’usure est plus psychologique que clinique. Je tiens à dire que les coureurs font rarement d’abus. Ils ne sortent pas, ne vont pas picoler après l’étape… Il est très agréable d’accompagner une équipe de cyclisme, on n’a pas besoin de faire le gendarme. Les gars savent que tout abus va se payer dès le lendemain. Spontanément, ils adoptent l’hygiène de vie nécessaire à la pratique du sport.

Au bout de 10 à 12 ans de pratique au plus haut niveau, certains en ont ras-le bol de cette hygiène de vie, de toutes les exigences des déplacements permanents, des changements d’hôtels tous les jours. C’est là que les gars se relâchent et que l’on peut voir apparaitre des séquelles. Ils se mettent à bien manger, à boire du vin, à faire la fête et prennent logiquement du poids. Leur carrière de cycliste n’est pas du tout protectrice pour l’organisme et ils rejoignent le commun des mortels face aux problèmes de cholestérol et de tension artérielle. Beaucoup de cyclistes vieillissent mal car ils n’ont pas eu d’hygiène de vie à partir de la fin de leur carrière.

S’il n’y a pas de séquelles récurrentes associées à la pratique du cyclisme, le cas des coureurs décédés jeunes (comme Marco Pantani ou Frank Vandenbroucke) parait alors logiquement une conséquence de la prise de produits dopants, non ?

Il faudrait d’abord pouvoir prouver que tous ceux qui meurent jeunes, meurent à cause du dopage. Ce n’est pas évident. Si un cycliste meurt à 24 ans sur ce Tour de France on mettra certainement le dopage en cause. Si un footballeur du même âge meurt pendant un match, on parlera de « malformation de cardiaque ». Prenez la rubrique nécrologique d’un journal et regardez combien de personnes meurent à moins de 30 ans chaque jour. Des facteurs, des ouvriers avec des vies ordinaires. On peut tous avoir une malformation cardiaque, un anévrisme qui donne la mort brutalement. Le cycliste n’est pas plus protégé que le footballeur ou que le facteur.

On ne peut cependant nier le dopage. Il est certain qu’il y a eu des morts à cause du dopage. Soit à court terme parce que le coureur avait trop pris de produits (il y a eu autrefois des cas de coureurs qui avaient trop pris d’amphétamines et qui ont fait des collapsus cardio-vasculaires), soit à long terme avec la prise régulière des produits dopants (EPO, cortisone et autres) qui sont des hormones naturelles et dont il est difficile de mesurer les effets à très court terme. Il est possible que l’on s’aperçoive dans quelques temps que les coureurs des « années EPO » meurent globalement plus jeunes que d’autres.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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