The Artist : preuve par le muet que le cinéma français est trop bavard ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Dujardin et Bérénice Béjo dans The Artist qui a récolté ce jeudi six nominations aux Golden Globes américains.
Jean Dujardin et Bérénice Béjo dans The Artist qui a récolté ce jeudi six nominations aux Golden Globes américains.
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Golden Globes

C'est le film qui a récolté le plus de nominations aux Golden Globes américains. L'hommage à Hollywood de Michel Hazanavicius se pose en favori dans la course aux Oscars. Film muet, il s'écarte d'une certaine tradition du cinéma français...

Léo Haddad

Léo Haddad

Léo Haddad est chef de la rubrique cinéma du magazine Technikart.

 

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Atlantico : Avec six citations, The Artist est le film qui a récolté ce jeudi le plus de nominations pour les Golden Globes américains. Comment expliquer que les Américains aiment autant ce film français ?

Léo Haddad : Ce succès ne m’étonne guère. Dès que j’ai vu le film, c’était une certitude pour moi, une évidence, car le film dispose de tous les attributs de ce que les Américains peuvent aimer chez les Français (l’élégance, le côté sophistiqué, le chic), mais aussi parce qu’il s’agit d’une déclaration d’amour au cinéma ; un film français sur Hollywood, tourné à Hollywood. Il s’agit donc d’un vrai pont entre deux pays qui entretiennent une relation d’amour-haine.

Et puis, le seul problème qui rétrécit le public potentiel d’un film français aux États-Unis tient à la langue étrangère. Ici, puisque le film est muet, la question ne se pose bien évidemment pas.


Bande-annonce de The Artist, réalisé par Michel Hazanavicius

Le film que la France a choisi pour être représentée cette année aux Oscars dans la catégorie "meilleur film étranger" est La Guerre est déclarée, réalisé par Valérie Donzelli. Pourtant, c’est The Artist qui pourrait bien récolter la statuette dans la prestigieuse catégorie "meilleur film". A-t-on eu tort de privilégier un film bavard à un film muet ?

Sur le papier, La Guerre est déclarée semble effectivement l’expression d’un certain cinéma français issu de la famille « FEMIS-Cahiers du cinéma », mais il faut reconnaître que ce film dépasse de loin les limites et les carcans de ce cinéma là : il a des idées, presque trop, il essaie d’avoir du rythme, de l’énergie, de ne pas reposer uniquement sur la parole.

Selon moi, il ne s’éloigne donc pas tant que ça de The Artist puisque tous les deux s’inscrivent dans un cinéma français qui cherche à s’extraire de cette famille traditionnelle du cinéma.


Il s’inscrit tout de même dans la filiation de la Nouvelle Vague, ou plus récemment d’un réalisateur comme Christophe Honoré. Dans La Guerre est déclarée, comme dans les films d’Honoré, non seulement les acteurs parlent beaucoup, mais en plus ils chantent…

Pour moi, La Guerre est déclarée n’est pas une caricature servile et contente de soi comme peuvent l’être les films de Christophe Honoré. J’aime moyennement le film de Valérie Donzelli, mais je reconnais qu’il essaie tout de même de secouer le cocotier. The Artist, c’est pareil : c’est un vrai objet de cinéma.

Bande-annonce de La Guerre est déclarée, réalisé par Valérie Donzelli

Vous considérez donc que le cinéma français n’est pas trop bavard…

Mais la plus grande qualité du cinéma français a justement été d’être bavard ! Certes, pendant de longues années – disons des années 1980 à la moitié des années 2000 - le cinéma français a été bâti sur le dialogue, sur le fait de lire le texte. Ce n’est même pas que les films français étaient trop bavards ou que les dialogues étaient mauvais. C’est plutôt que les acteurs étaient simplement là pour "dire le texte". Leur visage et leur façon de le prononcer définissaient le cinéma français.

Aujourd’hui, c’est en train de changer : des acteurs tels que Vincent Cassel, Tahar Rahim voire Jean Dujardin, sont capables d’incarner des choses simplement par leur posture. Ce sont des qualités qu’on a toujours retrouvées dans le cinéma américain, asiatique ou italien.

Selon vous, quand s’est réalisé ce basculement ? Lorsque des cinéastes comme Mathieu Kassovitz, Gaspard Noé ou Jan Kounen ont investi le cinéma français ?

Il y a des films qui rendent des choses possibles, des films qui ouvrent des portes qu’on avait pensé toujours fermées. Ainsi, Un Prophète de Jacques Audiard a rendu évidentes des choses qui paraissaient très compliquées : les gangsters ou les taulards, tout d’un coup, ne parlaient plus comme dans une pub pour le black jack. Jusque là, personne n’y arrivaient, et d’un coup…

Bande-annonce d'Un prophète, réalisé par Jacques Audiard

C’est tout de même étonnant que ce soit le fils de Michel Audiard - sans doute le dialoguiste le plus célèbre du cinéma français - qui rende notre cinéma moins"bavard"…

Jacques Audiard est lui-même un grand dialoguiste. Mais en fait, la clé du changement ne se trouve pas dans les scénaristes ou les metteurs en scène : elle réside plutôt dans les acteurs. Ce sont eux qui, d’un coup, ont commencé à parler différemment, à se réapproprier le phrasé.

Ces derniers temps, plusieurs personnes du cinéma français ont réussi à sortir de leurs milieux habituels. Il y a vraiment un mieux. Même Intouchables, un film labellisé TF1, est meilleur que les films TF1 ! C’est plus travaillé, il y a moins de mépris pour le public…

A vous écouter, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes au sein du cinéma français...

Non. Le cinéma français manque encore d’acteurs. Notre star-system est en crise. C’est d’ailleurs une question qui se pose mondialement car il existe une crise internationale de la célébrité.

Il n’y a pas de grand cinéma national sans grande industrie du cinéma. Le cinéma hollywoodien reposait sur un nombre conséquent d’acteurs qui suscitaient le glamour ou le mystère. L’industrie toute entière entretenait cela. Tous les cinémas dominants ont été bâtis sur le star system, même la Nouvelle Vague – qui fut un temps dominant d’un point de vue artistique – a été construite sur des stars (Belmondo, Delon, Jeanne Moreau, Catherine Deneuve,…). Donc, pour répondre précisément à votre question, ce qui manque au cinéma français, ce sont de vraies stars qui suscitent la curiosité du public.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy 

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